L’un des pères de la musique techno industrielle punk et allemande, ce qui revient presque à dire l’un des pères de la musique européenne, fondateur du groupe cultissime DAF nous a quitté avant hier et nous a tous laissés orphelins et sans voix.

En pleine pandémie mondiale de cette saloperie de Covid19, le chanteur de Deutsch-Amerikanische Freundschaft (« Amitié germano-américaine »), Gabriel « Gabi » Delgado-López, vient de quitter la terre pendant la nuit du 22 mars 2020, précédé il y a quelques jours à peine par un autre pionnier des musiques déviantes, Genesis P-Orridge (Throbbing Gristle / Psychic TV).

Gabi Delgado était natif de Córdoba (Andalousie) où il est né en 1958. Il vivait ces deux dernières années au Portugal avec sa femme qui le soutenait avec amour dans une difficile phase d’isolement social due à des problèmes psychologiques. Dès l’âge de 8 ans, Gabi et sa famille quittent l’Espagne franquiste et émigrent en Allemagne. Quelques années plus tard le jeune immigré espagnol rencontre Robert Görl au collège. Les deux comparses ne se quittent plus et forment l’un des groupes les plus novateurs des années 80. D.A.F. est né à Düsseldorf en 1978, en plein déferlante punk. Une époque pionnière où tout était encore à reconstruire sur les vestiges d’un passé révolu et brutal.

Constitué au départ de cinq membres, les autres musiciens effrayés par les provocations de Gabi autour des symboliques fascistes et nazies, finissent par quitter le groupe. En 1979 Kurt Dahlke (du projet Pyrolator) est remplacé par l’excellent Chrislo Haas (Liaisons Dangereuses, Crime & The City Solution) qui apportera un son plus électronique à Gabi Delgado et Robert Görl. « Produkt Der Deutsch-Amerikanischen Freundschaft » sort en 1979 et sonne comme un mélange de speed et de Jaggermeister, de punk et d’expérimental. La Neue Deutsche Welle est lancée, et des milliers d’adolescents allemands dilapident leur jeunesse, entre pilules d’amphétamines et clubs underground punks au pied du mur de Berlin.

Résultat de recherche d'images pour ""Produkt Der Deutsch-Amerikanischen Freundschaft""En 1980 le groupe passe à l’étape supérieure en signant chez Mute Records le deuxième album « Die Kleinen Und Die Bösen » produit par le génial Conny Plank (producteur de Kraftwerk, Neu!, Ultravox, Eurythmics, Killing Joke ou Rita Mitsouko entre autres …). Entre 1981 et 1982 le duo adopte une attitude homo friendly, un son minimaliste et électronique et publie trois excellents albums signés sur la multinationale Virgin Records (« Alles Ist Gut », « Gold Und Liebe » et « Für Immer »). Sous la férule de Conny Plank le groupe devient énorme, il produira la trilogie qui fera leur légende, reconnaissable entre mille, le son de D.A.F. combine la batterie de Görl qui tape sèchement et sans discontinuer sur une bassline au groove irrésistible et le chant en allemand ou espagnol déclamé, mi-chanté et mi-parlé de Gabi. En 1980 Gabi part s’installer à Londres où il réside jusqu’en 1984, mais à partir de 1986 il retourne à Berlin et devient DJ, il organisera d’ailleurs la première soirée House en Europe avec WestBam et fondera dans la foulée le label Delkom Club Control axé sur les clubs.

Des tubes en pagaille, du super célèbre Der Mussolini à El Que qui intègre des éléments tribaux – voire latino – dans leur son, du ténébreux Sato-Sato à la comptine new wave Der Räuber Und Der Prinz, de l’étrange Kebab-Träume au débridé et puissant Der Sheriff,  du martial Alles ist gut au superbe Als Wär’s Das Letzte Mal et des groovy Coco Pino ou Brothers (sur l’album « 1st Step To Heaven » de 1986 rejeté par les fans) à la bombe EBM Verschwende Deine Jugend (samplée 40 ans plus tard par Gesaffelstein dans sa tournée de 2012) le duo D.A.F., tout de cuir vêtu et cheveux courts bien dégagés derrière les oreilles façon légionnaire, marque son temps, envahit les clubs underground, puis homosexuels, du monde occidental en imposant leur style unique, une vision moderniste du son et une scansion EBM dont beaucoup de groupes s’inspireront plus tard avec plus au moins de talent (Nitzer Ebb étant le plus digne rejeton de D.A.F. d’après Gabi en personne).

Résultat de recherche d'images pour ""1st Step To Heaven""Discipline, boites à rythmes, séquences énergiques, lignes de basse électroniques et contondantes, paroles incisives en allemand (et parfois en espagnol à l’instar de leurs amis de Liaisons Dangereuses avec qui Gabi a chanté en live l’incontournable Los niños del parque). Delgado et Görl deviennent des figures emblématiques, l’ombre de leur silhouette va hanter toutes les années 80 et définira le style et la marche à suivre pour des wagons de groupes qui n’arriveront jamais à dépasser les maîtres.

Quand j’ai appris hier soir vers 21h00 le décès de Gabi Delgado, j’ai été profondément attristé, j’ai tout de suite envoyé un message à ses amis et fans, à Marc Hurtado qui était comme son frère et qui a longtemps travaillé avec lui, à The Hacker, David Carretta ou Terence Fixmer, qui sont tous fans, à des tas de gens unis et démolis par la nouvelle. La musique de Gabi Delgado issue du post punk et de la new wave a contribué à lancer l’EBM, elle a aussi influencé la Techno de Detroit et la House de Chicago. C’est l’un des plus grands précurseurs de son temps, un personnage que nous n’oublierons jamais. Un timbre de voix unique. Je me suis souvenu de nos chaleureux échanges en espagnol, fin 2014, quand je lui ai demandé directement un soir de chanter sur une reprise de Suicide que nous avions faite avec mon groupe pour l’hommage Suicide Tribute To Iconic New York Legends publié en octobre 2014 sur Unknown Pleasures Records. Il accepta, j’étais ce soir là l’un des fans de D.A.F. les plus heureux du monde. Ce sera d’ailleurs le dernier enregistrement officiel sur lequel Gabi Delgado posera son organe vocal, sa dernière empreinte sur un disque, pour feu Alan Vega, autre immense perte de la musique du vingtième siècle. Gabi oh Gabi !

J’ai eu l’immense privilège de voir le dernier concert de D.A.F. à Barcelone (le 30 novembre 2019 au Razzmatazz lors du festival Ombra) et c’était un moment magique, humain, magnifique… pas envie de m’étendre, ni de raconter, les souvenirs sont encore trop frais, c’était un moment unique pour moi, mes amis, le public comblé par tant de générosité (le groupe joua 30 minutes de plus que le temps prévu). Restons-en là. 2020 année de merde, vraiment.

(C) Xavi Montojo Studio

 

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