Le mois prochain, l’étoile suédoise, responsable de merveilles confidentielles durant les 90’s, atteindra l’âge canonique de 55 ans. Où est-elle ? Que fait-elle ? Histoire de fêter 20 années d’un inexplicable silence, retour sur l’histoire d’une femme pas comme les autres : Stina Nordenstam.
Juillet 1993. Portée par un accueil critique dithyrambique et une carrière de jeunesse remarquée au sein des Sugarcubes, l’islandaise Björk sort son premier album « Debut » dans un calme tout relatif. Les maniaques nous accorderont que son album solo précédemment sorti à l’âge de 12 ans ne peut réellement être considéré comme le premier LP d’une artiste mature. Cinq singles plus tard, 3 millions d’exemplaires physiques (Internet sort à peine de terre et les notions de téléchargement ou de streaming n’existent pas encore, même dans les esprits les plus malades) se retrouvent sur les platines CD du monde entier, propulsant la fée caractérielle dans un statut de star planétaire qu’elle ne quittera plus. Statut jamais effleuré par une autre étoile nordique bien plus mystérieuse et brillant encore chez celles et ceux qui ont eu la chance de croiser sa musique : Stina Nordenstam.
Lorsque Björk explose, Stina est déjà là. En 1991 en Suède puis en 1992 dans le reste du monde, elle a publié « Memories of a color », premier album aux 50 000 exemplaires vendus dont la moitié au Japon. A 22 ans, elle compose, chante, produit, arrange. Le tout avec un goût sûr et une classe folle. Peut-être se dit-elle alors que le succès de Björk aurait du être le sien ? Pas certain, car la personnalité de la suédoise échappe à toute forme d’analyse traditionnelle. Stina, c’est plus fort que toi, elle ne pense ni comme moi, ni comme toi.
« Il y a deux moi. D’un côté, je suis super-sociable. De l’autre je suis autiste. Dans les deux cas, je suis extrême ».
Accordant avec difficulté de rares interviews, refusant de faire des concerts hors de son pays, détestant prendre la parole en public, Nordenstam ne coche pas vraiment les cases de l’artiste facile à « travailler » pour un label indépendant, encore moins pour une major. Le succès ? Elle semble s’en foutre. Pourquoi ? Comment ? Aucune explication. Et soudain sur la page anglophone d’un Wikipédia bien maigrichon, cette dernière phrase dans la rubrique biographie : Nordenstam is autistic. Ce diagnostic, c’est Stina elle-même qui l’avouera au site Totally Stockholm en septembre 2013 : « Il y a deux moi. D’un côté, je suis super-sociable. De l’autre je suis autiste. Dans les deux cas, je suis extrême ».
Cet autisme avoué près d’une décennie après son dernier LP expliquerait-il le fait qu’après 6 albums sortis en une douzaine d’années (1991-2004) Stina se soit murée dans un mutisme complet ? Là aussi, rien n’est moins sûr. Seule certitude, la suédoise ne fait ni partie du club des one-hit wonder, ni de celui des next big thing et encore moins des has been. Son heure de gloire restera finalement l’utilisation de son morceau Little Star (ça ne s’invente pas) dans la bande originale du Roméo + Juliette de Baz Lurhmann. Une bande originale essentiellement produite par Nellee Hooper, le producteur de… « Debut ». Autre étrangeté, le Français Michel Gondry clippe ce Little Star, quelques temps après avoir réalisé un clip pour…Björk, et avant d’entamer une relation artistique de longue durée avec l’Islandaise sans jamais revenir vers Stina.
Le meilleur album suédois de tous les temps
Discrète à l’extrême – sur la pochette de son premier LP « Memories of a color », on devine la brindille suédoise au loin, de dos, floue, sur des rochers en bord de mer, comme si elle s’apprêtait à sauter pour ne plus jamais remonter à la surface. Intrigante, déjà. Discrète, certainement. Mais pas totalement.
Avec sa pop teintée de quelques touches de jazz, ce soyeux et délicat album, fort de son succès d’estime, suscite l’appétit de quelques labels ayant pignon sur rue dans le monde des indépendants. A commencer par le plus illustre d’entre eux : 4AD. A mi-chemin des années 90, le label londonien fait figure de proue dans le monde des « indés ». Créé en 1979, il surfe déjà sur une légende robuste, des signatures légendaires ou en passe de le devenir (Cocteau Twins, This Mortal Coil, Pixies, Red House Painters, Kristin Hersh, The Wolfgang Press, Throwing Muses…) et des succès commerciaux prometteurs, comme « Last Splash », premier album solo des Breeders écoulé à plus d’un million d’exemplaires. Et si la pépite suédoise était la nouvelle Björk ? Nordenstam monte à Londres pour enregistrer quelques maquettes pour 4AD, mais cela ne débouche sur rien de concret. Demi-tour et retour au bercail. La guigne continue. A moins que Nordenstam ne se refuse méthodiquement à emprunter toute voie pouvant la conduire vers un succès qu’elle pressent oppressant ?
Dotée d’une voix enfantine et fragile menaçant à tout instant de se briser net, parlant très peu, Stina génère sans même s’en rendre compte un halo de mystère autour d’elle et de sa pop minimaliste, parfois minimale. Son deuxième album ne va rien dissiper, même s’il atteint en 1994 la 5ème place dans les charts suédois. « And she closed her eyes » marque un immense pas en avant dans la musique de Nordenstam. Le trompettiste John Hassel y fait une apparition sur le titre Crime. L’album se révèle au fil des écoutes. A tel point que dix ans plus tard, en 2013, le magazine suédois Sonic finira par le classer meilleur album suédois de tous les temps.
Parenthèse : Stina Nordenstam n’a jamais rien fait comme les autres. Tenez, sa première performance filmée disponible dans les bas-fonds du net n’est ni plus ni moins qu’un morceau – One for my baby (One more for the road) – chanté en 1991 avec son groupe de l’époque, The Flippermen, au Parlement Suédois. Et qui parle avant qu’elle ne se lance ? Le roi Charles XVI Gustave de Suède. Entrée par une immense porte dans la musique, on aurait pu imaginer qu’elle en sorte par une plus petite, mais non. Les dernières nouvelles qu’on a d’elle datent de 2014, année où la Suède eut la malencontreuse idée de créer le Swedish Music Hall of Fame et de faire de Stina un des 12 premiers artistes à y être intronisé. Ou comment aider une recluse volontaire à ne jamais briser son silence. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Björk encore devant
Pour l’instant, alors que les années 2000 pointent le bout de leur intelligence artificielle, Stina envisage un 3ème album. Plus musclé que les précédents avec ses guitares distordues, « Dynamite » sort le 13 septembre 1996. Une sortie quelque peu éclipsée par… Björk. La veille, l’islandaise a été victime d’un attentat peu commun de la part d’un « fan ». Peu après avoir posté un colis piégé acide à destination de Björk, Ricardo Lopez se suicide. Un film est retrouvé à son domicile. Il y explique son but : défigurer la chanteuse. La bande vidéo dure 18h, Lopez y détaille ses obsessions, son idée de l’amour et sa haine du « non-blanc » Goldie, star du mouvement jungle partageant alors la vie de la star. Effrayant. L’islandaise comprend alors que le star-system n’a pas que des avantages. Elle s’exprime peu sur cette affaire, mais reconnaîtra quelques années plus tard que cela l’a conduit à stopper les concerts en Angleterre, à rejeter son image « mignonnette » et à se diriger vers une musique plus exigeante, moins universelle, qui la conduira un an plus tard vers « Homogenic ». Dans son coin, Stina doit commencer à se dire que son destin et celui de l’islandaise sont inextricablement liés, pour le meilleur peut-être mais manifestement surtout pour le pire.
Nordenstam n’a pas attendu qu’un fan hystérique ne l’attaque pour aller explorer des contrées anti-commerciales. Le rubicon vers la complexité et le côté expérimental est franchi depuis un moment et « Dynamite », un poil plus rock que ses prédécesseurs avec ses guitares déglinguées et ses rythmes surprenants, le confirme. Une conséquence de sa collaboration avec Vangelis quelques mois plus tôt sur le morceau Ask the mountains ? Impossible à dire, mais l’album, comparé au précédent, ne trouve pas son public.
« Le fond du problème, c’est que chanter en public est un exercice contraignant qui nécessite un long travail de répétition auquel je n’ai pas envie de m’astreindre ».
Poussé par son label EastWest, la suédoise se doit de rebondir, et vite. Ce qu’elle fait. Six mois plus tard à peine, « People are strange » débarque dans les bacs des disquaires avertis le 23 avril 1998. L’elfe nordique s’essaye ici à l’exercice toujours difficile de l’album de reprises. Au menu de cette auberge suédoise enregistré aux Sweet Silence Studios de Copenhague : Léonard Cohen, Prince, The Doors, Tim Hardin, quelques reprises de chants traditionnels … Lancinant, hypnotique, fragile et rude à la fois, le chant de Stina Nordenstam hypnotise. Le minimalisme de sa musique fascine. Provoquer beaucoup avec peu, l’idée est simple mais fera son chemin. Y compris chez certains hommes politiques français, mais ceci est une autre histoire. L’album se vend peu, mais reste une pépite noire dans une discographie solide. Quelques semaines après le jour de sa sortie, Björk sort son single Hunter, morceau d’ouverture d’« Homogenic ». Trop tard. Cette fois, la proie aura pu sortir son album de reprises sans que son chat noir de chasseuse islandaise puisse y faire quoi que ce soit.
Pour des raisons qui nous échappent, Nordenstam quitte quelques temps plus tard l’écurie Eastwest pour rejoindre le label Independiente et ses nombreux espoirs (Travis, Archive, Nile, Embrace, Martina Topley-Bird) et valeurs sûres (Paul Weller). Ce transfert sonnerait presque comme une volonté de faire table rase du passé pour mieux repartir. Une volonté incarnée dans le titre même de son 5ème et avant-dernier album, « This is Stina Nordenstam ». Co-produit par le talentueux Mitchell Froom, Tchad Blake et Stina elle-même, l’album dure une demi-heure, atteint la 125ème place dans les charts français et la 26ème en Suède. Et ce malgré deux duos avec Brett Anderson, le chanteur de Suède qui surfe encore sur l’aura britpop. En bref, c’est un flop. Et Stina ne fera qu’un seul album pour l’écurie Independiente.
Scoumoune suédoise
Nous sommes alors en novembre 2001. Pendant que Björk danse dans la lumière – elle a reçu en 2000 le prix d’interprétation féminine à Cannes pour sa prestation dans Dancer in the dark de Lars VonTrier, soit ni plus ni moins que la palme d’or du premier festival du nouveau millénaire -, Stina semble poursuivie par la scoumoune. Semble. Car la suédoise semble avant tout faire tout ce qui entre ses mains pour planter sa carrière délibérément. Elle le confirmera d’ailleurs indirectement en 2004 à Libération lors d’une rare interview où elle se livre sans prudence au moment de ce qui constitue encore aujourd’hui la sortie de son dernier album en date. Evoquant son refus de jouer sa musique sur scène, elle lâche une bombe. « Pourtant, ça n’est pas une phobie. Le fond du problème, c’est que chanter en public est un exercice contraignant qui nécessite un long travail de répétition auquel je n’ai pas envie de m’astreindre. Il faudrait un déclic, que je n’ai pas encore trouvé. Mais l’hypothèse ne me paraît pas aberrante. Je suis néanmoins surprise qu’on attende de chaque musicien qu’il soit aussi une bête de scène, car ce sont vraiment deux approches distinctes. En concert, il faut aussi être un comédien, un entertainer, ce qui est loin d’être mon cas ». Et de repenser à sa prestation quelques années plus tôt devant le roi de Suède…
« Les junkies, SDF, toxicos, ces êtres que la société rejette, voilà ceux dont je me sens proche ».
Aucun doute, le win-win, Stina Nordenstam n’en a rien à faire. Tout dans sa musique, ses paroles, le confirment. Parfois, une phrase prononcée lors d’un entretien remet l’église au centre du terrain vague, très vague. « Les junkies, SDF, toxicos, ces êtres que la société rejette, voilà ceux dont je me sens proche. A l’inverse, je ne vois pas grand-chose à approfondir chez quelqu’un qui se porte comme un charme ». Décidément, tout va mal jusqu’à ce que tout aille bien. Faire d’une contrainte une opportunité ? Pourquoi pas. Tous ces échecs n’ont pas entamé la volonté de musique de notre marginal qui n’aime rien de plus que de vivre en retrait des humains et de leur foutue réalité. Malgré son titre plein d’espoir, « The world is saved », son dernier album en date à ce jour, creusera en 2004 le sillon d’une recette désormais connue : ravaler Joy Division au rang de groupe de sunshine pop. Noyée entre torpeur, douceur et douleur, les épines sonores de Nordenstam ressemblent plus que jamais à celles d’une déprime chronique qui n’a jamais aussi bien collé à l’époque qu’aujourd’hui. Un lâcher prise total qui s’explique par le fait qu’elle sort cet album sur son propre label, A walk in the park. Une marche plus longue que prévue.
Depuis, le silence radio règle. Deux décennies qu’elle n’a rien sorti sous son nom. Sa dernière apparition ? Deux morceaux fugaces en 2007 sur un album de Nine Horses, projet de David Sylvian (encore un client dont il faudra peut-être parler un jour ici). David Sylvian, le leader de Japan ? Oui, ce pays où Nordenstam avait écoulé la moitié des ventes de son premier album, vous vous souvenez ?
J’allais oublier : bon anniversaire Stina. Reviens nous vite, je ne supporte plus la voix de Björk.
6 commentaires
mac macron en route sur moskow?
Quatar_scies
reviens franck black sinatra!
Ps sur de cette comparaison de son parcours avec celui de bjork mais c’est chouette d’avoir de ses nouvelles.. même si ce sont finalement les vôtres… 🤷♂️
Pas sûr de cette comparaison de son parcours avec celui de bjork mais c’est chouette d’avoir de ses nouvelles.. même si ce sont finalement les vôtres… 🤷♂️
J’avais depuis longtemps cette idée d’un récit du parcours de Stina Nordenstam en miroir de celui de Björk. A défaut de l’avoir écrit, très heureux de l’avoir lu. En guise d’épilogue, j’aurais juste ajouté que l’année où paraissait dans la confidentialité le dernier album de Stina, Björk était encore une fois exposée en pleine lumière par sa prestation à la cérémonie d’ouverture des JO d’Athenes. 20 ans après, ce sont les disques de Stina que j’écoute, jamais ceux de Björk.