Si son nom ne vous dit rien, ses productions, elles, doivent vous trainer dans l’oreille. Songwriter de l’ère classique des sixties new-yorkaises, Richard Gottehrer a su faire la bascule et produire certains des punks locaux dont les noms ont dépassé le simple régionalisme. Ajoutons à ça qu’il a cofondé un label mythique (Sire Records) et qu’il dirige désormais l’un des plus grands distributeurs numériques pré-iTunes, The Orchard…

Nous nous sommes rencontrés quelque jour avant la mort de Marty Thau. Pendant que nous discutions de la production musicale New Yorkaise, le fondateur du label Red Star, manageur historique des New York Dolls, une âme révolutionnaire, se voyait lâcher définitivement par ses reins. Bien sûr, à ce moment-là, nous n’en savions rien.

Richard-GottehrerLes deux hommes, issus de la même génération, de la même ville et de la même profession, n’ont pu que se côtoyer. Et pourtant, bien qu’assis sur la même branche, quelque chose les oppose. Cette petite chose, c’est une forme d’engagement. Voyons plutôt ce que Gottehrer nous disait de Mr Thau au moment ou ce dernier retenait son dernier souffle : « Thau est un entrepreneur aux idées réellement révolutionnaire. D’où le nom de son label, Red Star, qui n’est pas à prendre au second degré. C’est lui qui nous a introduit au CBGB, a fait découvrir tout le punk à Craig Leon (producteur du premier Ramones), Seymour Stein (Co fondateur de Sire Records avec Gottehrer) et tous ceux appartenant à notre génération de producteur/songwriter du début des années 60. Sa connexion, c’était les New York Dolls, qui avaient déjà changé notre perception de la musique. Ils étaient irrévérencieux, bizarres, drôles, totalement punks alors qu’on parlait encore de Glam. Avec Thau, ils ont préparé le terrain ». La première phrase est ici à retenir « Thau était un entrepreneur aux idées réellement révolutionnaires ». En deux heures de conversation avec Richard Gottehrer, un homme qui vient de la grande production new yorkaise, celle du Brill Building, du songwriting à la Leiber et Stoller, de l’obsession du son spectorien ; nous voulions percer le mystère d’un enthousiasme et d’une capacité à accompagner les grands bouleversements esthétiques de cet art mineur: le rock & roll.  Là-dessus, il ne nous aura dit qu’une seule chose : « You deal with what is in front of you ».  Avec quoi l’homme eut-il à dealer ? Petite liste non exhaustive.

MIDTOWN – BRILL BUILDING

6otx3oxyNew York, qui a toujours été un point d’observation privilégié de l’état de l’occident, connaît actuellement sa phase de mutation définitive, transformation également bien entamer par Londres, qui gagne Paris et connaît ses premiers symptômes à Berlin. New York est en phase d’abandonner son statut de ville pour celui de parc d’attractions quotidien, comme sont appelés à devenir tout lieu où la vie des habitants est uniquement organisée par l’argent. Laissons de coté cette considération pour comprendre de quel New York est issu Richard Gottehrer. « Je suis né dans le Bronx, qui était un quartier blanc de classe moyenne. D’ici et de Brooklyn est sorti pas mal de Doo Wop. Plus tard, il en sortira le Hip Hop avec Afrika Bambaataa et tous ces types qui se branchaient aux lampadaires de la ville. À mon époque, on était surtout connus pour les New York Yankee. J’étais au Lycée et on écoutait Alan Freed, le DJ de radio qui inventât le mot Rock & Roll. Ce type jouait pour des gosses comme moi la musique noire sur une radio grand public. J’avais reçu une éducation classique et je voulais immédiatement m’emparer de cette musique. Alors que je jouais du Piano la fenêtre ouverte, un type dépassa la tête et me dit « C’est cool. Tu voudrais faire ça sérieusement et peut-être enregister un disque ? » C’était un songwriter du Brill Building qui avait écrit un tube : Miss You. J’avais que 16 ans. »
Situé sur Broadway, légèrement au nord de Time Square, le Brill Building est le symbole du songwriting new yorkais tel que le vénérait Willy Deville : Doc Pomus et Mort Shuman, Burt Bacharach, Spector, Carole King, Leiber & Stoller… Les racines de la pop américaine pré-british invasion. Gottehrer fit ses armes dans ce giron, s’associant avec Bob Feldman et Jerry Goldstein en écrivant le tube My Boyfriend’s Back enregistré par les « Angels » : « des filles qu’on avait rencontrées dans un bar ». Puis, répondant  à l’invasion anglaise, le trio fonde un groupe The Strangelove, auteur du super hit I want candy. : « On avait enregistré avec un faux accent anglais. Mais ça n’allait pas prendre. Alors on s’est fait passer pour des Australiens, car personne aux USA n’avait jamais entendu parler un Australien de sa vie ».

RUPTURE ANGLAISE – MICK FARREN

Quand Sire record se crée en 1967, le rock décidait qu’il fallait rompre d’avec le « vieux monde ». Mick Farren, qui est mort dans l’indifférence totale cet été, représente à merveille ce tournant. Auteur, agitateur public, portier de l’UFO, ce dernier, à l’inverse de Lester Bangs, a réussi un groupe : The Social Deviants. Ils furent l’une des toutes premières licences signées par Sire. Ces anarchistes initiés aux psychotropes ne semblent pas avoir fait spécialement réagir Gottehrer quant au changement du monde. « Oui, c’est peut-être parce que cette génération arrivait que j’ai arrêté d’écrire moi même des chansons. Mais la vérité, c’est qu’à ce moment précis, une opportunité était à saisir : aux États-Unis, on essayait d’ouvrir la bande FM qui pouvait passer des disques en stéréo. Du coup, nous avons fait une tournée d’Europe et demandé à tous les labels ce qu’ils n’avaient pas sorti aux USA. C’est comme cela que l’on a signé les Deviants. » Les deux albums eurent aux USA à peu près le même impact qu’en Angleterre : aucun. Cette sortie permit peut-être à Farren de s’approcher de Wayne Kramer et du MC5 et de monter le White Panther Party en Angleterre. Pour Sire, le premier tube fut en définitive un horrible morceau de prog, produit par les disques AZ en France : Hocus Pocus, commis par le groupe Focus. Guitare Heavy et Yoodle pour ces Hollandais dispensables. Sur Mick Farren, Gottehrer garda tout de même un souvenir « Il fumait beaucoup, comme toi, mais entre deux taffes, il s’envoyait un coup de ventoline : il était complètement asthmatique ».

DOWNTOWN – ST MARK STREET

« Voilà la vraie partie de New York qui a changé. Durant un temps, c’était réellement une communauté d’artistes ou l’on pouvait vivre chichement, bien que ce fut dangereux. Maintenant, tout est très cher, plein de boutiques de mode et de restaurants. »  À Saint Mark Street, actuel parc à thème punk, Richard Gottehrer a vu le Velvet « pour lequel Warhol avait organisé un concert. Eux, on s’est dit qu’ils venaient vraiment d’ailleurs. On ne comprenait rien. C’est par la suite que ça a fait sens ». C’est à ce moment que Marty Thau entre en jeu : alors qu’ils ont une maison de disque, Instant Records. Ces deux-là décident de produire le premier Blondie. Dans une interview donnée à Vice US l’été 2012, Thau raconte comment « tout le monde la trouvait, elle, incroyable, et les autres nulles ». Artistiquement parlant, Gottehrer a l’idée d’offrir une production au groupe à l’image des Girls Group 60’s du Brill Building. « Sauf qu’ils jouaient moins bien et que c’était un vrai groupe, pas des musiciens de studio ». Dans la lignée, Gottehrer produit des enfants directs de ce Velvet si peu compris : Les Vovoïds et leur « Blank Generation ». Robert Quine et Ivan Julian y inventent une avant-garde guitaristique qui n’a eu que très peu de disciples. Sire Rec sort l’album qui se fait écraser par la sortie de « Nevermind The Bollocks ». Pourtant, « Blank Generation » peut être considéré comme un condensé du son que New York avait créé. « Ils étaient trop en avance sur l’époque : ça ne pouvait pas prendre dans le mainstream, impossible. Mais aujourd’hui, j’ai reçu un essai de 100 pages sur le disque. J’ai lu rapidement. Ça fait sens. On ne se rend pas toujours compte de l’importance de ce genre de disque sur le coup. C’est a posteriori qu’elle se dévoile ».

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Mais Richard Gottehrer ne connaît pas la nostalgie, pas même celle des instruments dont il fallait jouer jadis pour enregistrer une chanson. Certainement parce qu’il appartient à une génération ayant dû faire très tôt le deuil de cette apogée. Habillé de noir, il a traversé indifféremment les époques et les renversements esthétiques. Il se souvient de certains hommes et n’est resté fidèle qu’à une seule échelle de valeurs : la chanson. Voici pourquoi il relance cette année Instant Records, qui ne sortira que des groupes au féminin. Au Revoir Simone est à citer, tout comme Jessica Hernandez. Avant de boucler la boule une dernière fois, voici deux anecdotes concernant des groupes, bien masculin eux. For fans only.

À BROOKLYN, IL Y A THE FLESHTONES

« Quelqu’un de chez I.R.S m’appela pour me proposer un deal complètement farfelu pour l’époque : ils voulaient enregistrer un album live des Fleshtones à Paris, le mixer et le sortir la semaine d’après le concert. Le défi était assez important pour me plaire. Le concert était au Gibus, on avait un camion et les Français avaient oublié les micros. Bref, c’était une galère typiquement française. Les garçons voulaient que je monte avec eux sur scène pour jouer quelques vieux morceaux à moi. Alors ils m’ont acheté un foulard léopard pour que mon look colle mieux avec celui du groupe. Je n’ai aucun souvenir du concert. Mais tout de suite après, nous nous sommes rendus dans un studio que j’avais trouvé avenue de la grande armée. J’y ai mixé toute la nuit et au petit matin, on avait tout fini. L’album est sorti la semaine d’après et je ne sais plus du tout comment il sonne. C’est bien ? ». Bien ? « Speed Connection » est certainement le meilleur live des Fleshtones disponible.

BONUS – Dr FEELGOOD

« Le Dr Feelgood était un groupe génial, même après le départ de Wilko Johnson et l’arrivée de John Mayo à la guitare. Il s’avère que j’ai enregistré leur plus gros tube : Milk & Alcool. La chanson était bonne, on enregistre les instruments, tout se déroule super, puis je dis à Lee Brilleux : « tu vas chanter ? ». Il me fait « J’ai pas de texte ». Je lui « ça sert a quoi de venir au studio alors ». Il me dit de ne pas m’inquiéter, ils vont appeler le Basher. Le Basher arrive et c’est Nick Lowe au top, qui écoute la chanson, prend une bouteille de whisky, s’allume une cigarette, papier, stylo, et se met à écrire. Je me dis qu’on devrait peut-être le laisser et revenir le lendemain. Ils disent : « t’inquiètes ». 30 min plus tard, Lowe file la chanson. Je fais ok Lee, tu veux peut être un peu de temps pour la voir, on revient plus tard. Encore une fois :  « t’inquiètes !  Je vois très bien l’histoire, c’est quand on c’est fait arrêter à L.A pour conduite en état d’ivresse et que ce vieux bluesman en cellule nous a dit de mélanger l’alcool avec du lait pour être toujours en forme ». Voilà, il s’est marré, a pris une gorgée de bière, un biscuit McVitie et a enregistré le tout en une seul prise. Un groupe exceptionnel je te dis ».

Plus d’infos sur The Orchard :
http://www.theorchard.com/fr/

 

8 commentaires

    1. Putain Francine, c’est passé inaperçu mais je kiffe ta vanne. Techniquement on pourrait parler de blague invisible. Bon y a aussi moyen de se faire lyncher virtuellement avec ce genre de truc, mais tu as tout mon soutien. Perso, j’aimais bien aussi Le Sampa et Primitif. Et la pub Saupiquet putain, c’est lui!

      Big up.

      Guitou

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