Si Tolkien représente le côté aimable et grand public de la fantasy, il est temps de (re)découvrir la version pulp, impertinente et réjouissante du genre : Conan par Robert E. Howard. Trop longtemps galvaudées par des éditions anarchiques et des traductions douteuses, elles sont désormais disponibles dans leur entièreté et ce formidable appareil critique permet également de prendre mesure de la qualité de l’œuvre d’Howard.

En choisissant mes lectures estivales, je suis tombé sur une intégrale des Aventures de Conan. Bien que bon client des littératures de genres, celles qui n’auront jamais un Goncourt, cela ne m’éveilla qu’un maigre intérêt. La faute à qui ? La faute à Schwarzenegger [1]. Ou plutôt au réalisateur John Milius. Dans son Conan le Barbare, il a fait du personnage de Robert E. Howard un surhomme nietzschéen bas du front aux relents fascistoïde et de ce film est né un gigantesque malentendu dont le travail de réédition entrepris par Bragelonne (sous la houlette du spécialiste et traducteur Patrice Louinet) vient rétablir les torts.

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Howard Texas Writer

Rappels biographiques. Né au fin fond du Texas en 1906, Robert Erwin Howard passera sa vie à Cross Plains, un autre bled non moins paumé du même état. Sa carrure impressionnante – 2 mètres pour presque 100 kg – aurait pu le mener à une carrière dans la boxe, qu’il pratique assidûment, mais il préfère taper sur une machine à écrire. À 19 ans, il publie sa première nouvelle dans le désormais culte magazine Weird Tales. Sa carrière s’accélère à 22 ans, avec la création du personnage de Solomone Kane, un puritain qui traque le Mal à grand coup d’arquebuse.

Il faut lire Howard parce que c’est un auteur de premier plan dans le domaine de l’imaginaire, aussi moderne aujourd’hui qu’il l’était au moment où il rédigeait ces nouvelles dans les années 20 et 30 aux États-Unis.

À 24 ans, Howard retravaille une ancienne nouvelle en lui inventant un nouveau héros : un puissant barbare à la chevelure noire, aux yeux bleus et aux muscles d’acier. Ainsi, naquit Conan le Cimmérien. Ses aventures (20 nouvelles et 1 roman) vont pousser la fantasy dans les contrées violentes, poisseuse et sulfureuse. De tous les grands personnages borderline (Kull, Solomon Kane, Bran Mak Morn, El Borak) créés par le prolixe Howard, le Barbare demeurera le plus connu. Les nouvelles du Texans finissent par susciter l’admiration d’un autre auteur également introverti patenté : Lovecraft. Les deux hommes vont jusqu’à entamer une correspondance intense à propos de tout et n’importe quoi : la philo, la politique, les pulps, les voyages, la nourriture, etc. Doté d’une extrême sensibilité, Howard est un homme profondément tourmenté. Il ne supporte pas le décès imminent de sa mère, plongée dans le coma, et préfère tirer une balle dans la tête. Robert E. Howard meurt ainsi à 30 ans.

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À la recherche de Conan

Conan a très bien survécu au décès prématuré de son créateur. Trop bien, peut-être. De nouvelles histoires du Cimmérien furent écrites à partir des notes et brouillons laissés par Howard. Les nouvelles des « copistes » ont ensuite été intégrées aux côtés de celles d’Howard dans des nouvelles éditions, si bien qu’on ne savait plus qui avait écrit quoi. De plus, les traductions françaises s’avéraient caviardées : l’ordre de nouvelles réorganisé arbitrairement et les noms propres de l’univers de Conan délibérément modifiés dans le but d’unifier les textes. À la fin des années 2000, les éditions Bragelonne sortent une intégrale des aventures de Conan en plusieurs volumes – ainsi que d’autres récits du Texan – chapeauté par Patrice Louinet. Ce spécialiste d’Howard s’est donc évertué à nettoyer les textes, retraduisant certaines nouvelles si besoin, conservant toutes les incohérences voulues (ou non) par l’auteur. À lui d’expliquer pourquoi il faut redécouvrir Conan :

« Les raisons pour se plonger dans l’œuvre de Howard sont nombreuses. On pourrait évidemment mettre en avant le statut de “Père Fondateur” de Howard, celui qui, avec Tolkien, est à a la base de l’immense majorité des codes de la fantasy moderne – la construction d’un monde secondaire, les cartes, les pays et peuples inventés, etc., – et a donc une influence capitale sur l’imaginaire de nos sociétés occidentales.

Je pense cependant qu’un tel statut “historique” ne suffit pas à justifier de lire Howard (à moins de faire des études littéraires). Non, il faut lire Howard parce que c’est un auteur de premier plan dans le domaine de l’imaginaire, aussi moderne aujourd’hui, dans son style (poétique et percutant) et dans ses thèmes (sombres et désabusés), qu’il l’était au moment où il rédigeait ces nouvelles dans les années 1920 et 1930 aux États-Unis. Ses meilleurs textes offrent le bonheur rare de combiner plaisir jouissif de lecture, matière à réflexion et regard lucide sur le monde dans lequel nous vivons. »

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Cueille le jour, par Crom !

D’une aventure à l’autre, Conan change d’occupation : il est tour à tour roi, cavalier, général, voleur, pirate des mers, prince déchu, mercenaire ou aspirant au trône. Mais peu importe sa fonction, car Conan n’est finalement qu’une force abstraite contre laquelle viennent se percuter les éléments extérieurs – ennemis, monstres, femmes, personnages secondaires. Conan n’a pas de passé (à peine sait-on qu’il est fils de forgeron et originaire de Cimmérie) et encore moins de futur. Il traverse les évènements avec pour seul but de survivre, quel que soit le nombre d’ennemis qu’il doit décapiter. S’il est « barbare », c’est au sens de « l’étranger ». Étranger à une civilisation, dite « moderne », aux lois injustes, aux coutumes absurdes et aux mœurs dépravées. Conan, ce n’est pas la brutalité, mais la volonté à l’état pur. Il n’a aucune autre ambition que jouir de l’instant présent : « Je laisse aux érudits, prêtres et philosophes le soin de méditer sur les questions de la réalité et de l’illusion. Je sais une chose : si la vie est une chimère, alors mois aussi j’en suis une ; par conséquent, l’illusion est réelle pour moi. Je vis, je brûle de l’ardeur de vivre, j’aime, je tue et je suis satisfait », énonce-t-il dans la nouvelle La Reine de la côte noire. Conan l’Épicuriste.

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Conard le barbant ?

Soyons honnête, toutes les histoires du Cimmérien ne sont pas du même cru. Certaines ont été écrites dans des buts purement mercantiles afin de boucler les fins de mois. Alors, quelle est alors la différence entre une bonne et une mauvaise nouvelle de Conan ? Dans les mauvaises, le Barbare arrive dans une région sauvage, zigouille le sorcier maléfique et se serre la nana pas farouche pour deux sous. Dans les bonnes, le Barbare arrive dans une région sauvage, zigouille le sorcier maléfique et se serre la nana pas farouche pour deux sous. La différence se joue dans l’écriture d’Howard : quand l’inspiration ne le lâche pas, il ficelle les aventures de sa créature dans une poésie épique, sans temps mort, où les ambiances lovecraftiennes (encore lui) se mêlent à une géographie de l’étrange. Aussi, l’univers de Conan est profondément incorrect : les femmes (à quelques exceptions près) n’ont pas d’autre fonction que d’assouvir ses besoins, les Noirs sont tous dégénérés et le peuple des « Shémite » est évidemment fourbe. Dans une critique pour Bifrost, l’auteur Thomas Day rappelle toutefois qu’il faut lire Conan comme on lirait Tintin au Congo, une oeuvre-produit de son temps : le Texas des années 30.

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La voix de son maître

Si le titre de cet article est pourquoi il faut « écouter » et non « lire » Conan, c’est que l’éditeur SonoBook a sorti une remarquable version audio de l’intégrale initialement publiée chez Bragelonne. On y retrouve même les très instructives introductions de Patrice Louinet. Le comédien Frederic Kneip, qui nous raconter les aventures du Cimmérien comme si nous étions au coin du feu, revient sur le travail accompli :

«  La ligne directrice était toujours d’essayer de rendre cette lecture la plus vivante et passionnante possible, tout en étant extrêmement respectueux des mots et de l’œuvre de l’auteur et d’être assez sobre sur l’interprétation des divers personnages. Lorsque j’enregistre, je me dis toujours : ”Et si moi, j’entendais cet enregistrement, me laisserais-je embarquer ? Cela provoquerait-il chez moi émotions, évasion et plaisir ? ” C’est un peu l’image de l’enfant à qui l’on lit une histoire avant de s’endormir.

Pour la voix de Conan, j’ai essayé, et j’espère y être parvenu, de trouver un juste équilibre entre le côté animal, brut, instinctif et sensuel de Conan. Sans oublier que dans l’œuvre d’Howard, Conan est aussi un lettré qui sait lire, écrire et penser, Conan n’est pas juste une brute épaisse avec un QI proche de zéro, bien au contraire. Il y a chez lui, une intelligence instinctive, simple, dans le sens noble du terme, mais une véritable intelligence et souvent un vrai sens de l’humour, de l’autodérision. Conan est plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. »

Qu’on le veuille ou non, Conan est maintenant partout : un jeu vidéo vient de sortir ; Glénat publie une série de BD ; un gros jeu de plateau est sorti chez Monolith ; DC Comics a eu la curieuse idée d’un crossover entre le Barbare et Wonder Woman ; Marvel va ressortir une nouvelle fournée de comics ; Amazon planche sur une série TV. Quant à Legend of Conan, adaptation ciné avec le vieil Arnold une nouvelle fois dans le slip en fourrure, on ne sait toujours pas si elle verra le jour. Mais si le film doit advenir, espérons que ces messieurs du cinéma aient cette fois-ci lu les bouquins.

Livre audio et papier Conan – intégrale en respectivement 5 et 3 volumes chez Sonobook et Bragelonne.

[1] Concernant Schwarzeneger, on ne saurait que vous recommander Prodiges d’Arnold Schwarzenegger (Capricci) de Jérôme Momcilovic, géniale analyse du « chêne autrichien ».

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