Qu'on ait 20, 30, 40 ou 50 ans, qu'on préfère ses trois premiers disques ou ceux qui suivirent, on a tous un rapport passionné à PJ Harvey. Organe de feu, guitare rugueuse et mots de

Qu’on ait 20, 30, 40 ou 50 ans, qu’on préfère ses trois premiers disques ou ceux qui suivirent, on a tous un rapport passionné à PJ Harvey. Organe de feu, guitare rugueuse et mots de cœur : de 92 à 2000, l’anglaise au charme trouble a imposé sa griffe dans le rock, devenant, comme Radiohead, une sorte d’institution sans jamais rien renier de son indépendance. Mais le 17 mai, de passage au Bataclan pour défendre A Woman A Man Walked By, son dixième album, PJ a déconné.

A chaque fois qu’un gros concert se profile, cette sensation bizarre : j’arpente Paris conscient qu’un truc fort m’attend, un truc qui devrait concerner tout le monde (sentiment d’apocalypse), mais non je croise des gens qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se trame. Je sais, c’est une pensée bête mais bon, PJ allait embraser le Bataclan. PJ quand même ! Son gros concert j’étais content de m’y rendre parce que ce n’est pas souvent que je vais voir des stars de son calibre (alors que je pourrais le faire chaque soir tellement je suis un critique convoité) et que ce n’était même pas un vrai gros concert puisque ça se passait au Bataclan et pas au Zénith (places: 6200; cadre: hangar; son: merdique). Et quelque soit le lieu et les modalités, comment ne pas être content lorsqu’on va voir PJ ?

Le 17 mai au Bataclan, vous vous en doutez, j’ai donc le groupie-mètre à fond. Mes amis aussi. Parce que PJ c’est toutes les femmes de nos vies (en une réunie !), notre Dorothée rock. Attendant qu’elle arrive, on se pose donc plein de questions qu’on se contente de partager mollement pour me pas se montrer trop fan aux yeux de l’autre (ce qui serait vu comme un signe de faiblesse !), tout en faisant l’appel du pied inverse (et si on vivait enfin notre amour de PJ au grand jour !). Comment va-t-elle se montrer ? Sera-t-elle aussi classe et sexe que lors de sa prestation de 2003 à Rock en Seine où elle était apparue cheveux lissés, mini-jupée et bottée très androgyne gothique façon Lady Oscar ? Ou sera-t-elle aussi bof que lors de son show de 2004 au Zénith où elle s’était marrée en ratant x fois l’intro de Down By The Water? Et par quel morceau va-t-elle donc démarrer ?

PJ, aucun de nous n’a été sidéré par son dernier album, A Woman A Man Walked By. D’ailleurs aucun de nous n’avait déjà été sidéré par le précédent. White Chalk, on avait peiné pour rentrer dedans. Trop de piano frigide, trop de voix aiguë aux frontières du faux, trop froid, autiste, et coupant une lame de rasoir. Au-delà de l’audacieux geste de réinvention, ce côté « hara kiri, je retourne à l’anorexie », on avait fini par accéder à la beauté intérieure du disque, mais on l’écoutait peu, voire pas. Contrairement à To Bring You My Love et Stories From The City, Stories From The Sea. White Chalk : un souvenir sur l’étagère de nos souvenirs, avec cette drôle de PJ en couv’, fantomatique, médiévale, théâtrale (Isabelle Huppert) et otage (Ingrid Betancourt). Là-dessus, le 30 mars dernier, est donc sorti A Woman A Man Walked By, son deuxième album composé avec John Parish (Dance Hall at Louse Point, le premier, date de 96). Elle y opère un retour aux grattes, mais contrarié (pas mal de banjo et de piano). Les morceaux ont des climats travaillés, peu pop, tour à tour oniriques, bancals, apaisés, stridents. Ce n’est pas l’extase, mais PJ y redonne un peu de la voix, y reparle un peu au corps. C’était donc déjà ça. Et en un sens on l’a échappé belle : dans cet ancrage americana lynchien (cliché), elle aurait pu opter pour le ukulélé.

Vous l’avez lu quelque part, mais le disque sonne comme un honnête best of de ses différentes périodes, ce qui n’est jamais de bonne augure (sonner comme un côté best of). A l’époque d’Hail To The Thief de Radiohead je me souviens que je m’arrachais les cheveux à chaque fois que je tombais sur un article utilisant cette expression. Mais oui, A Woman A Man Walked By de Parish et Harvey ressemble à ça, une somme hybride de toutes les facettes de PJ. Black Hearted Love, son rideau d’ouverture, y est un grand grand moment. Depuis que je l’ai découvert, ce morceau me trotte en tête, me pousse à le chanter, suivre son rythme. Qu’elle puisse encore, après tant d’années, pondre une telle rock song, lancinante, sexy, parfaite, ça me sidère. Bref, ce n’est pas pour A Woman que nous sommes là, mais The woman – PJ – comptant sur elle pour qu’elle agrémente son set de morceaux phares de sa discographie. 21h : brune oriflamme, profil Excalibur, rouge cylindré aux lèvres (allez savoir pourquoi, j’ai toujours vu ses lèvres comme l’expression naturelle, organique, des courbes d’une Testarossa), la voilà. Toute menue, cheveux lâchés, pieds nus, elle porte juste une petite robe noire, pas de guitare, et s’avance sur le micro. Belle des champs. Dark. Pendu à ses lèvres, j’oublie tout et les amplis se mettent à cracher l’intro désirée : un Black Hearted Love ciselé, saignant à souhait

D’entendre ça live, d’entendre sa voix, j’en ai le souffle coupé. Après? Je n’ai plus rien ressenti.

Pendant une heure (Comptez dix minutes avec le rappel) PJ et ses gars ont déroulé des extraits d’A Woman A Man Walked By et de Dance Hall at Louse Point dans le shuffle le plus total. Le son, sa voix, les lights, tout était au poil. C’était genre « Tu la sens ma maturité ? ». « Oui, mais qu’est-ce qu’on se fait chier ! » Ce que j’ai vu, zappant sans cesse entre ses différentes incarnations (vies antérieures), c’est une PJ courant comme un canard sans tête. Une PJ nulle part à force d’être partout, actrice d’un univers qui n’épouse plus ses tripes. Une PJ tellement maître de son art qu’elle aurait pu s’en passer. Alors, mi Brigitte fon-fon mi Chantal go-go, elle pouvait bien danser, se mettre à hurler après avoir annoncé, pour finir, le morceau Pig Will Not (merde, comme si un tel morceau s’annonçait, genre : « Maintenant je vais vous interpréter la colère ! »), tout ça ne faisait que surligner cette triviale évidence : PJ simulait. De la voir comme ça, sincèrement, j’avais envie de la baffer. Je me disais « Merde, PJ prends une gratte ! » Car ce n’était pas possible qu’elle prenne du plaisir à ça. (Je me refusais à le croire.) PJ a besoin d’une gratte pour prendre son pied, être PJ. Alors à quoi bon ce concert ?

Que faire ? Partir et louper l’embellie possible ? Rester et risquer de râler jusqu’au bout ? Franchement, d’habitude je suis curieux, patient, mais là je serais bien parti si je n’avais pas été vissé à un siège et forcé de déranger les gens (Loin de moi l’envie de sortir mes semblables de l’énigmatique ravissement qu’ils semblaient éprouver.) Bloqué, j’hésitais à communiquer mon désarroi aux potes. Eux aussi je ne voulais pas les gêner s’ils avaient la chance d’être dans le show. Ces moments-là me rappellent le fameux « Tu dors ? », vous savez, lorsque gamin on avait eu l’autorisation de dormir chez notre pote et que la nuit venue, dans le silence de la chambre, n’arrivant pas à dormir, interdit par l’heure et la crainte de le réveiller, on hésitait à dire ces mots : »Tu dors ? ». On hésitait mais on s’en serait mille fois voulu de ne pas avoir osé parce qu’on aurait loupé un chouette moment d’amitié si le pote dormait pas. Ce soir, au Bataclan pour le concert de PJ, il y avait des chances qu’on soit tous réveillé sans oser se le dire. J’ai craqué quand Julien m’a montré son portable. Dessus, un texto de Bester : « Désolé, je me barre, c’est vraiment insupportable ». Ça m’avait tout l’air d’être un « Tu dors ? ». Mais comme eux aussi non plus ne pouvaient pas bouger pour les raisons dites, on est tous resté à se triturer le cerveau.

Mince, est-ce normal de rien ressentir devant PJ ? Etais-je devais de mauvaise humeur ? Blasé de ne pas avoir acheté ma place comme tout le monde ? Anesthésié d’être assis et pas debout comme on devrait l’être toujours à un concert de rock ? Non, je ne pense même pas que ça ait joué. Ce concert fut tout sauf rock et avant qu’il ne commence je peux vous assurer que m’étais senti aussi excité et privilégié d’en être que mes potes délestés de 45 euros. Mais peut-être faisais-je fausse route en demandant du PJ alors que ce concert était du PJ-Parish ? (Une PJ du pauvre !) Ça devait être ça. Par exemple je n’ai jamais été fan de Dance Hall at Louse Point. Je dois même dire que je lui préfère même A Woman A Man Walked By. J’ai alors repensé à cette histoire d’évidence triviale. Je veux dire, je suis pas con, je sais bien que PJ n’est plus ce qu’elle chante, si tant est qu’elle déjà totalement été ce qu’elle chantait. Et puis encore heureux qu’elle ait acquis de légèreté après tous ces albums, qu’elle ne crée plus sous, dans et par la torture, sinon… j’allais dire « à quoi bon ? » Wait, tout le problème est là ! Parce que voilà en fait je m’en fous que PJ aille bien. Comme je suis con aussi, quelque part je souhaiterais presque qu’elle continue de souffrir pour continuer ma catharsis avec elle.

Vous savez, comme quand vous souhaitez presque que votre pote redevienne célibataire pour pouvoir rediscuter nanas et autres tourments avec lui ?

Enfin non, la vérité c’est que je ne souhaite même pas son malheur à PJ et pour cause : je me fous de savoir ce qu’elle traverse parce que je ne lui reconnais même pas son humanité. Pour moi c’est une héroïne, une fiction, une passion réduc-christ. Aimerait-on Jésus si son destin n’avait rencontré celui de la croix ? Et bien voilà, PJ c’est pareil : c’est sa croix qu’on aime.

Ce soir, si PJ était vraiment heureuse, et si je devais vraiment la voir, plutôt qu’un mix de Goya (le peintre) et Goya (la chanteuse), plutôt que cette simulation de noirceur dénaturant l’héroïne (le mythe de la sauvage se découvrant être social), j’aurais préféré que PJ s’assume lumineuse et mutine jusque dans sa musique. Ou s’abstienne. Parfois le silence c’est bien aussi. Comme la mort, ça laisse les choses intactes, grandies. On regrette que Portishead et Radiohead ne fassent plus de Dummy et de The Bends, qu’ils aient cassé leurs beaux jouets cathartiques. On remercie Cobain et Buckley de n’avoir pas eu le temps de s’y mettre. Je remercie les deux de pouvoir prendre chez l’un ce que je n’ai (ou plus) chez l’autre. De pouvoir choisir de grandir comme de retomber ado. Parfois je me dis qu’il serait bon de pouvoir se passer de telles idoles (puisque myth is murder : rid of myth), mais je n’arrive pas à imaginer ce monde. Sans doute serait-il triste…

Et j’en viens à penser que ce soir PJ a peut-être déçu à dessein, pour que s’achève cette course cathartique aux idoles. Mais cette fois encore, inconsciente de ce qui s’était tramé, l’humanité a applaudi à tout rompre. Face à cela (était-ce ça l’humanité ? était-ce ça PJ ?), puriste et non puriste étaient d’accord : autant partir. Battre le pavé. Je ne sais pas pour Bester, mais moi sur le chemin du retour, bien qu’en colère, j’avais toujours ce bon vieux Black Hearted Love qui me fouettait les sangs et me forçait à le chanter.

Et toujours cette question : dois-je croire ou faire une croix sur PJ ?

http://www.myspace.com/pjharvey

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