Quand Garrel réalise son tout premier film, il n’a que 16 ans. Le titre, "Les enfants désaccordés", pourrait s’appliquer à toute sa filmographie. 48 ans plus tard, il revient avec "Un été brûlant", et j’ai toujours cette impression que Garrel fait des films comme si c’était la première fois. Rencontrer une fille, la séduire avec son lot de timidité, de naïveté, de passion exacerbée, et puis l’embrasser. Parfois se dessinera une rupture… et un nouveau film.

Il est facile d’écrire après la bataille qui a vu tous les détracteurs de l’œuvre garrellienne emboiter le pas pour mieux la gagner. Mêmes arguments, mêmes bizarreries, mêmes rires moqueurs, critères salaces qui relèvent parfois d’une certaine méfiance vis-à-vis d’un cinéaste qui a toujours porté au sommet le terme « résistance ». Contre le montage simpliste, contre les phénomènes de mode, pour l’idée que le spectateur doit constamment faire des concessions devant une œuvre exigeante, et contre le formatage ambiant du cinéma français. Garrel, parfois, fait peur tant son innocence (et non sa naïveté) se distille dans des plans aussi lumineux qu’intrigants. Tout est dépouillé chez lui, tout doit être dit aussi. Les hommes sont des enfants qui se cherchent, les femmes, des mères courages qui luttent contre les hautes solitudes. Et puis entre les deux, l’amitié des uns vient encourager le deuil des autres. On ne pleure pas chez Garrel, on souffre en débitant des textes remplis de bruit et de fureur. On ne baise pas chez Garrel, on s’entrelace et l’on finit par ne devenir qu’une seule et même personne. On ne rit pas chez Garrel, on esquisse quelques sourires comme un peintre remplirait sa toile de couleurs généreuses. On ne vit pas chez Garrel, on survit et c’est déjà un exploit !

Un été brûlant, c’est la contemporanéité à son apogée. Une société où l’individu recherche désespérément sa place au beau milieu de ce marasme d’incompréhension. Se démarquer, s’affirmer, et balancer son « je » sur des figures formatées, bouffonnes et asexuées. En tant que spectateur, j’existe, je domine, je jouis et puis je réfléchis. Garrel ne mâche pas ses mots, ni le scénario qu’il me tend en guise de perche et que je dois attraper pour mieux façonner son film. Garrel, par ses dialogues, par ses cadres, par sa timidité, filme dans Un été brûlant, la précarité des choses. Les amoureux se séparent, la société est laminée d’incohérences et le cinéma continue sa lente dégénérescence vers un avenir saugrenu. La maladie sous toutes ses formes pointe son nez et laisse transparaitre des larmes, des cris et quelques moments absurdes. Les séquences s’enchainent, le passé se confronte au présent et le mur de toutes ces lamentations explose en mille morceaux au cours d’une danse endiablée, étoilée et pop. Beaucoup de choses ont été écrites sur la Bellucci, bien entourée et dansant sur une mélodie rageuse et mélancolique. Plus qu’une pause narrative, cet instant volé prévient le spectateur que tout ne sera plus comme avant, que les masques tomberont et que le présent prendra – enfin – sa place. La voix suave et cockney de Carl Barat, leader des Dirty Pretty Things, achève définitivement les enlacements des amoureux transis tandis que la caméra de Garrel scrute cet horizon amer. Rarement, je fus emporté par une chorégraphie aussi limpide qui trainait derrière elle un deuil implacable. Les visages sont souriants mais l’avenir ne le sera plus. Et puis, « basta » sera prononcée par une Bellucci transformée face à son mari, peintre et éternelle douleur, un Louis Garrel impeccable ! Dialogues sobres, intériorité des sens et surtout un cadre suffisamment large pour mieux cerner la mort en mouvement.

Dans Un été brûlant, Garrel filme des détails (le plan de Bellucci, nue et allongée ; la séquence du rat ; la discussion politique sur l’Italie et le rapport de La France avec ses émigrés) qui participeront à la construction de la forme. Ce lien fragile désemplit toutes les futilités psychologiques, lui donnant une saveur trouble. On sort d’un Garrel, ému et perturbé tant cette vérité dérangeante peut ressembler à notre propre vécu. Mais sans être dans le concept du cinéma social, voire ampoulé, Garrel raconte de simples histoires d’amour qui tendent vers la politisation. « Tout est politique dans le cinéma » disait Godard, Garrel va plus loin en affirmant : « Tout est amour dans le cinéma politique ». Mourir d’un trop-plein de sentiment, goûter aux affres de la page blanche ou de la toile vide, ne plus savoir regarder celle qui sut nous fait transpirer, ne plus trouver un sens dans nos gestes, tout cela relève de la politique et Garrel en fait son cheval de bataille !

Tout comme cette amitié qui nous offre de très beaux plans entre Paul et Frédéric, de très beaux moments volés où cette complicité est diffuse sans qu’on soit gêné. Garrel est touché par ce partage, par la transmission de l’affect et par cette idée que tout doit être donné. On se balade souvent chez Garrel et on se dit tout. Parfois, les rapports de force sont inévitables mais elles ont le mérite de tirer les choses au clair, d’illuminer parfois des zones d’ombres (sublime confrontation virtuelle entre un Frédéric mourant et le fantôme de son propre grand-père, joué par Maurice Garrel), de se dire que la mort peut contribuer à une renaissance. Quand le réalisateur se permet de franchir la barrière intimiste, de se dévoiler, de se mettre à nu en nous livrant ce dernier face-à-face entre son propre fils (l’avenir, Louis Garrel) et son père (Le Passé, Maurice Garrel), c’est une leçon de cinéma qui s’affirme. Le spectateur que je suis ne peut que songer aux silhouettes familières qui traversèrent son enfance, aux figures familiales persistantes et finalement murmurer en toute discrétion : « tu me manques… »

A cet instant, un autre film débute. Il sera plus dur, plus concis et plus foudroyant. Ce film, ce sera celui du spectateur qui se réappropriera cette histoire, ces personnages et qui très vite comprendra une chose : que le cinéma aide à exister.

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