Paper Moon est un film étrange, un film un peu en décalage, un film que l’on regarde en se demandant où l’on est exactement. Sur le fond, c’est l’histoire classique de l’escroc qui tombe sur plus fort que lui. Ryan O’Neal arrive à l’enterrement d’une de ses anciennes maîtresses, et hérite de sa fille orpheline, laquelle envisage avec raison qu’un père pourrait lui être utile. Le jeu entre les deux est le moteur de la comédie, dans la grande tradition d’un cinéma américain pas encore obsédé par le prequel du sequel du retour de Spiderman.
C’est sur la forme que le réalisateur parvient à mener son spectateur en bateau. S’il appartient au nouveau cinéma américain, celui de Coppola et de Friedkin (tous deux copains de Bodganivtch et associés à la production), le film semble à des lieux du style en vogue dans le nouvel Hollywood, Easy Rider a été tourné quatre ans avant… On a beau savoir qu’on est en 1973, on se sent glisser avec plaisir dans le cinéma de Hawks, timing précis, lumière au cordeau et caméra qui colle aux acteurs. En tournant un film d’époque en noir et blanc, Bogdanovitch s’amuse avec l’histoire du cinéma. Il faut voir l’incroyable séquence d’ouverture, qui plante en quelques plans aussi tranchants que ceux d’un western maniériste, le décor et les deux « adversaires ». Il faut jouer à retrouver les citations qui font du film une sorte de millefeuille cinéphile, la plus évidente étant celle du Kid de Chaplin, mais Orson Welles n’est jamais loin non plus.
Il faut surtout apprécier, à l’aune de notre grande dépression, millésime 2013, comment s’élabore un manuel de survie en milieu économique hostile, comment les personnages traversent le paysage de la sans pathos, bien conscients que l’argent seul ne suffira pas à les sortir du pétrin. Dans Paper Moon, seules les voitures conduites par le héros font signe de leur bonne ou de leur mauvaise fortune.
Paper Moon de Peter Bogdanovitch (en salle)