Après un parcours sans faute qui les aura vu passer par la major Sony jusqu’à « Ecran Total » (2014), la bande de Jean Felzine s'est visiblement pris la vitre en pleine tête. Largués du navire amiral faute de ventes suffisantes (on présume), les rockeurs gominés ont vraisemblablement payé le prix de leur singularité, bien décidés à ne pas choisir entre amour de la chanson bien faite et fureur de vivre rock'n'roll.

Deux ans après un troisième disque que les intéressés qualifient avec le recul de « laborieux », Mustang retrouve sa liberté, et elle a un prix. Sortis de l’ombre des hauteurs centrales il y a sept ans avec leur premier LP « A 71 » puis avec leur grand œuvre « Tabou », les gars paient aujourd’hui les pots cassés d’un pays qui accepte difficilement les jeunes pas assez clairs sur leurs intentions. Trop « rock » pour mon voisin quadragénaire abonné à Télérama et trop chiant pour le rocker en perfecto qui passe ses journées à écouter des compiles Born Bad, le groupe clermontois souffre d’un manque de lisibilité client comme dirait un expert en marketing dans un jargon post-post-moderne à décorner les bœufs.

Bien décidés à continuer d’écrire des chansons tout en faisant chauffer les amplis à lampe, Jean Felzine, Johan Gentile et Remi Faure se retrouvent donc à la rue. On se doute bien que leur direction artistique à deux vitesses n’est pas totalement étrangère à ce déclassement brutal. Les mots sont pourtant clairs : « On est redevenus des inconnus. » Des nouveaux inconnus qui ont d’ailleurs sorti un morceau cet été chez La Souterraine. Et à en juger par l’enthousiasme des mecs à me parler de leur nouvel album, on aurait presque l’impression qu’ils s’en foutent. Un groupe qui n’est vraisemblablement pas fait pour « cartonner » mais qui croit dur comme fer en sa musique, quitte à se tirer des balles dans les santiags.

(C) Laura Moreau
(C) Laura Moreau

Retour à la maison donc, au DIY et aux bonne vieilles méthodes. D’une jungle à une autre. Des open space impersonnels aux studios de fortune. Car on ne va pas se mentir : c’est la merde dans la musique aujourd’hui, et ce, quelle que soit la maison. C’est d’ailleurs peut-être parfois encore plus la cata dans les grosses maisons de disque qui croulent sous les dettes derrière des façades dorées qui ne sont en réalité que les derniers vestiges d’un âge d’or qui ne reviendra probablement jamais. Dans ce contexte, enregistrer avec des potes et des gens qu’on aime bien, et même si on a pas une tune, c’est pas si mal : tant qu’on en perd pas….

Des potes, et plus précisément le label A*Rag qui les suit depuis le début et qui s’apprête à sortir une triple paire de chansons enregistrées sur le vif’ dans le studio d’Arnaud Van Colen (de Steeple Remove). Dont un premier extrait balancé récemment sur YouTube, Karaboudjan, qui a retourné mes petites oreilles. Une vague de synthétiseurs qui s’écrase violemment sur une planche de surf lancée à pleine vitesse sur les rails du no future. À entendre ce one-shot sous-arrangé et sous-produit qui en a dans le pantalon, on se dit que les mecs en avaient vraiment plein le cul des cahiers des charges à rallonge de Sony et des prises de tête de post-production. Un élan de fougue rock’n’roll qui m’a fait croire un instant que les gars avaient finalement lâché leurs amours de jeunesse sur la chanson à textes. Mais ça, c’était sans compter la capacité du groupe à brouiller les pistes. C’est pour parler de tout ça et bien plus encore que je suis parti à la rencontre du gang de rockers le plus lettré du pâté de maison. Alors les gars, la forme ?

Gonzai : Dans Le Pantalon ou Tabou je vous trouve un vrai côté Benabar avec des textes un brin désabusés et plutôt sensés, il faut le dire. C’est osé comme comparaison parce que c’est peut-être un des mecs les plus ringards dans le milieu du rock’n’roll. Vous en pensez quoi ?

Mustang : (rires) T’as pas peur toi, t’as vraiment pas peur !

Jean Felzine : Ouais c’est un mec qui a révolutionné la chanson française il y a une dizaine d’années… Non je rigole, mais je m’en fous que tu dises ça. Après je suis pas sûr qu’on vote pour les mêmes personnes. Mais j’ai pas de problème avec Benabar je m’en fous, j’ai de problème avec personne.

C’est marrant de voir Mustang sur un album de La Souterraine parce que ça fait quand même un moment que vous n’êtes plus des inconnus.

Jean Felzine : Ben oui mais on est redevenus des inconnus parce que maintenant on n’a plus vraiment de maison de disque (chez Sony avant, NDLR). Et puis c’est eux qui nous ont demandé.

Et ça vous dérange pas ?

Jean Felzine : Mais pas du tout c’est bien, ils sortent plein de trucs tout le temps… Donc ils ont choisi ce titre-là.

Justement cette chanson Dis Moi Merde, parce que c’est une vraie chanson, c’est toujours pas auto-biographique comme tu le disais à Gonzaï en 2014 ?

Jean Felzine : Non, non. J’avais trouvé la formule sympa c’est tout.

Vous faites figure d’ovni, à ne jamais vouloir choisir entre chanson et rock’n’roll. Vous en êtes où de cette bipolarité ?

Remi Faure (batterie) : À la base le rock’n’roll c’était des chansons… Moi je trouve ça bizarre de poser cette question parce que les premiers morceaux de rock, c’est des vraies chansons, c’est pas antinomique.

Johan Gentile (basse) : Y’a qu’en France qu’on se pose ce genre de questions, pour nous c’est naturel.. Je sais pas, regarde Nino Ferrer, c’est de la chanson ou du rock ? Parce qu’il a quand même un backing-band black très inspiré soul sixties… C’est un peu tout à la fois et c’est bien je trouve.. Je pense pas que le public se pose la question.. Au début c’est vrai que les gens étaient un peu surpris, ils savaient pas trop sur quel pied danser, d’ailleurs y’en a encore je pense, mais maintenant, avec le temps…

Jean Felzine : Et surtout comme on est un groupe, ça fait plus penser au rock. Tu ne trouveras pas de groupe de chanson, ou alors ce sont vraiment des trucs horribles. Et voilà, c’est une question qu’on ne se pose jamais. Aussi, il y a un truc simple : y’a un paquet de groupes qui ne savent pas en faire des chansons.. Faut arrêter deux minutes, sur un beat rapide nous on peut te sortir une suite d’accords, un refrain et des ponts qui se tiennent. C’est ça une chanson et c’est pas le cas de tant de groupes de rock que ça.

« Mon héros c’est Philippe Katerine. » (Jean Felzine)

Justement avec votre dernier morceau Karaboudjan, vous réalisez enfin votre fantasme avec une grosse nappe de synthé cosmique qui s’écrase sur une planche de surf’ qui file à toute vitesse, tout ça sans dépasser les 2mn15. Adieu la chanson, bonjour le Krautabilly ?

Jean Felzine : Non, on l’a fait pour ce morceau-là mais y’aura aussi des vraies chansons sur l’EP à venir. Donc non, y’a pas de virage, tu sais on n’a jamais trop calculé. Quand on trouve un morceau qui est cool, on le fait et puis c’est tout. Ça ne va pas plus loin que ça.

Johan Gentile : Oui, ça vient naturellement. C’est un des premiers morceaux avec lequel Jean s’est ramené après la tournée « Ecran Total », un disque qui avait été un peu laborieux à faire. Et là il est arrivé avec un truc un petit peu vénèr’, un bon riff’ de rock, et là on a repris un peu les choses à la base. Faire des morceaux vraiment en groupe à trois, c’est hyper rafraîchissant et aucune parole ne s’est imposée. À ce moment-là, on en avait marre de tricoter et on avait envie de ça, un vrai morceau de groupe.

(C) Richard Dumas
(C) Richard Dumas

Pas envie d’un virage artistique plus rock’n’roll ?

Jean Felzine : Non, par contre le virage qu’on a voulu faire c’est sur la production. Avec ce nouvel EP je voulais faire une photocopie de comment le groupe sonne à trois. On a « sous-arrangé » volontairement, c’est tout enregistré « live » sur un magnéto à bandes. On ne l’avait jamais fait et je regrettais un peu qu’on n’ait jamais entendu le son du groupe, à part sur quelques inédits…

Et l’EP est dans l’esprit instrumental du premier morceau sorti ?

Jean Felzine : Non c’est le seul, c’est un clin parce qu’on en a fait pas mal au début du groupe [dont l’éponyme Mustang, NDLR].

Avec un côté pas forcément psyché mais plus hypnotique. Vous tournez autour depuis pas mal de temps, un peu comme Suicide.

Jean Felzine : Ouais. On a toujours des influences diffuses mais plus ça va plus elles sont diffuses justement. On essaie de trouver notre son, on essaie de se trouver sans coller à nos influences à tout prix.

Et donc plus chez Sony…

Jean Felzine : Non, on est revenu à notre premier label A*Rag.

Retour à la maison.

Jean Felzine : Plus ou moins. En fait on ne l’avait jamais vraiment quittée parce que Jan [Ghazi, NDLR] nous a toujours aidé – à part sur le troisième album car il était fauché. Donc « Ecran Total » est le seul disque qu’on a fait « en direct’ » sur une major. On revient maintenant à la maison parce que Jan est fidèle et de bon conseil, et qu’il a des idées et un maigre pécule qui nous permet d’enregistrer. Comme on a pas de home-studio… Faudrait faire un disque sur Abbleton Live mais pour un groupe de rock c’est plus difficile…

« Tous nos héros sont déjà morts. » (Johan Gentile)

Vous avez réagi comment à la mort d’Alan Vega ?

Jean Felzine : Je m’en fous. Je l’aimais bien mais…

Johan Gentile : À part Iggy Pop et Frank Black, tous nos héros sont déjà morts.

Remi Faure : Et puis on commence à avoir l’habitude, ces dernières années ça s’enchaîne les héros qui meurent.

Jean Felzine : Moi mon héros c’est Philippe Katerine. Je l’adore et je pense qu’il sera reconnu, s’il l’est pas déjà comme un type qui aura renouvelé la chanson française. Tous nos héros ne sont donc pas morts ! Après Alan Vega, c’est triste mais on ne le connaissait pas personnellement. Un mec nous a organisé un concert à Montpellier ; deux semaines après j’apprenais qu’il était mort dans un accident de voiture ; j’étais plus triste pour lui parce que je le connaissais.

Un truc que tu ferais ce soir ou jamais ? [nom d’une de leurs chansons, NDLR]

Jean Felzine : Hum, peut-être un salut hitlérien sur scène, parce qu’on a une chanson qui s’appelle Salauds de Pauvres.

De quoi ça parle ?

Jean Felzine : Des pauvres qui virent « fachos »…

C’est un peu ce qui se passe en ce moment, non ?

Jean Felzine : Non je ne crois pas. C’est ce que pensent certains mais c’est plus compliqué que ça… Mais un salut hitlérien, c’est ce que je pourrais faire de plus con ce soir ! Mais si quelqu’un prend des photos je peux avoir des problèmes donc je le ferai peut-être pas.

Mustang : quatrième à paraître che A*Rag en 2017
https://www.difymusic.com/legroupemustang

Avec l’aimable autorisation du Supersonic

6 commentaires

  1. Karaboudjan est kewl, première fois que j’aime bien un de leur truc, il manque peut être un ou deux mots énigmatiques scandés à un ou deux endroits dans le morceau, il y a la place, mais putain ça dance. La raréfaction du texte est la clef pour eux je pense, moins de mots, plus d’émotion, plus d’espace pour imaginer pour l’auditeur, moins de Bénabar quoi. Je propose : » Stratégie Mourouzi  » brailler dans le lointain de la reverb, sur les passages calmes quand il n’y a plus que les pains de guitare avec la reversed là.

  2. votre ‘chanteur’ il se la joue tantot copain avec ? tantot plutôt comme ça ? un peu la ‘degaine’ du dean fauché ? ou d’un st ex ? y a pas fotos, ils restent sur leur autoroute a vitess pépére, ils veulent jouer au NTM, y’a du chemin.

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