Comme à chacune des sorties discales de son groupe Hoorsees, on a retrouvé le guitariste-chanteur Alex Delamard et son fidèle lieutenant pour recueillir quelques saillies à l’image d’un groupe en réinvention perpétuelle.

Alex Delamard est un homme en mission : convaincu de «ne jamais réussir dans la musique» et plaisantant sur le fait d’obtenir peut-être un jour « par miracle l’intermittence du spectacle » dans l’interview déprimée qu’il nous accordait voilà quelques années, il fait désormais partie de cette caste très fermée des musiciens intermittents du spectacle, un cercle d’initiés dont il raconte le quotidien parfois absurde dans l’extraordinaire nouveau morceau New Career.

Mais reprenons le fil de notre histoire : au fond du trou deux ans plus tard en 2021, quand on l’avait appelé pour l’enfoncer gentiment après la parution de leur très moyen premier album «Hoorsees», il avait même évoqué à ce moment précis la possibilité qu’il «se dégrade d’années en années» à la manière d’un Oscar Wilde attaqué par la syphilis, et que s’il «avait l’impression que l’avenir serait juste génial», je l’appellerais un an plus tard pour lui entendre dire qu’il n’y aurait «absolument plus rien à sauver».
Finalement encore vivant quand l’heure vint pour lui de se taper un troisième entretien consécutif avec votre serviteur, il était même plutôt content de se voir enfin couvrir de louanges pour le second album de Hoorsees «A Superior Athlete», qui faisait état d’une première réinvention intelligente de leur déprime-pop lo-fi en une pop à guitares brillante à vous en rayer le parquet, car il mettait enfin le paquet sur cette décennie 2000 qui a marqué au fer rouge son adolescence et pas sur cet espèce de mirage nineties qui lui faisait autant d’effet qu’une Elizabeth Borne sous Xanax, et qu’il avait suivi dans une sorte de pose où il se sentait inconfortable.

Big – Album par Hoorsees – Apple Music

Inspiré par l’hyperactif pas anonyme Thoineau Palis aka Th Da Freak, qui lui avait conseillé de ne « surtout pas se répéter » d’un disque à un autre et de « prendre confiance en lui » pour tenter des trucs nouveaux, Alex ainsi que sa petite bande sont donc de retour en cette morne année 2024 avec une nouvelle recette prête à tout détruire façon Nutella, doublée d’une progression constante qui les rapprochent dangereusement des sommets. Ciao la pop-à-guitares qui fait briller le carrelage, bonjour l’électro-pop-à-guitares qui astique les miroirs tout en allumant des lumières qui scintillent au plafond, avec une fusion magique d’origine incontrôlée qui continue le travail commencé par Bloc Party et Klaxons à la fin des années 2000, via un affinage en fûts de chêne vingt ans d’âge d’efficacité strokesiene et de langueur french-touch. Pour résumer : des lignes de guitares qui s’entrelacent superbement et vous claquent à la gueule tout en vous faisant tourner la tête, légèrement noyées par de fines nappes de synthétiseurs qui apparaissent dans un ciel donc très new-yorkais telles de petits nuages futuristes à vous faire planer un sumo. Du neuf avec du vieux, ou du vieux avec du neuf, pour un quatuor à l’alchimie toujours plus complète, dont chacun des membres se rapproche petit à petit de l’être supérieur conceptualisé par Friedrich Nietzsche dont l’idée n’était donc absolument pas de massacrer de façon totalement régressive des innocents pour leur religion ou leur couleur de peau, mais plutôt d’inventer un homme nouveau qui serait à la fois heureux et puissant, puissant et heureux, de nature à propager une immense tornade de bonheur et de félicité sur notre planète déréglée de partout.

On peut vous l’annoncer sans trop se tromper, l’intention de Hoorsees avec ce « BIG » au nom pas si ironique est bien de faire une énorme razzia avec une fusion stylistique éclatante doublée d’un son qui cartonne et d’une volonté toujours plus forte de décloisonner indie-rock, et mainstream-pop. Un tapis vert sur fond de carré d’as qui pourrait les amener tout en haut, mais aussi au sud de nulle part avec un propos esthétique à la fois efficace et engagé qui devrait à la fois tout détruire de l’autre côté de l’Atlantique et être énorme four dans notre pas si beau pays où l’on a justement pris cette mauvaise habitude de cloisonner indie-rock et mainstream, un peu comme les deux frères ennemis de la couronne britannique qui ne se parleraient plus jamais.
Mise à part cette potentielle fracture idéologique au niveau de l’Océan Atlantique, la limite entre moutons noirs et génies absolus reste donc extrêmement poreuse, tout ça pour vous dire qu’on vous laisse déguster cette interview tout aussi interminable que cette introduction fantastique, une discussion longue comme la guerre en Ukraine mais aussi où l’insolence et l’humour trash de notre jeunesse perdue ont laissé place à une sorte de désabusion terrible, mais aussi diaboliquement heureuse.

On va essayer de relancer les ventes du disque, avec ce « BIG » et cette nouvelle esthétique «électro-pop à guitares» qui devrait vous faire atteindre le top 40, un sous-genre fusionnel qui est en fait déjà apparu un peu dans les années 2000 avec notamment Bloc Party et Klaxons, mais que vous réinventez à votre sauce..

Alex : On s’attend pas à avoir un disque d’or non plus, c’est pas vraiment le titre qui était prévu d’ailleurs, il a été changé au dernier moment car le premier était trop long. Ça m’est venu comme ça à la fin, ça peut paraître un peu prétentieux, mais c’est plus ironique qu’autre chose, comme mon délire avec les performances sportives, tous ces trucs là, et ça marche beaucoup mieux je trouve.
Evidemment, j’aimerais bien réinventer un genre, mais je ne crois pas qu’on ait révolutionné quoi que ce soit non plus, et si on réussit à s’approprier ce genre, ça sera déjà pas mal. Je pense effectivement à Bloc Party mais aussi à Foals, ils faisaient déjà de l’électronique très orientée sur les guitares, maintenant avec l’auto-tune et tous les outils dont on dispose c’est un peu différent, mais l’idée est la même d’incorporer de l’électronique dans un truc très rock. Certains de ces groupes ont d’ailleurs tendance à un peu trop gommer ce qui est peut être rock, l’idée pour nous c’était vraiment de mélanger les deux à hauteurs égales.

Fusionner le rock anglo-saxon des Strokes et la french-touch versaillaise, c’était le ciment pour une grosse ambition mélodique.

Nico : C’est un parti-pris finalement assez logique, car ce sont deux courants qui se complètent assez bien, je doute par exemple que Phoenix n’ait jamais écouté les Strokes et inversement, ils ont existé plus ou moins à la même époque, en plus. Le plus gros enjeu, comme Alex avait composé les guitares, les basses et les batteries de son côté, c’était qu’on partait d’une matière très analogique et qu’il fallait mélanger ces pistes là avec de nouvelles prises synthétiques, en essayant de trouver le meilleur équilibre possible.

Alex : On a pas inventé l’eau chaude non plus hein, en faisant se compléter ces deux styles là, c’est quelque chose d’assez intuitif en fin de compte. Par contre on a taffé comme des morts de faim: il a fallu enregistrer un album analogique, le déconstruire, et le reconstruire ensuite pour créer un deuxième album quasiment autre, avec toutes ces nouvelles ambiances électroniques.. Un drôle de procédé auquel on était pas forcément habitué, et qui nous a demandé beaucoup, beaucoup de temps, et aussi beaucoup d’énergie, et au final je crois qu’on s’en est plutôt pas trop mal sorti..

Pour résumer un peu le chantier énorme que fut ce disque, il a commencé en Ardèche il y a deux ans, et tout s’est finalement terminé dans un studio du 7e arrondissement, avec ce fameux mix qui n’en finissait pas.

Alex : Oui et non, le studio du 7e arrondissement est un peu coté mais ça reste un travail effectué sans aide extérieure, avec des personnes qui font partie de notre entourage. Ce qui a été long, c’est surtout à cause de mon perfectionnisme, qui n’avait pas pris autant de place jusqu’ici, parce ce que les disques précédents ont été écrits en une semaine, en one-shot. C’était le plan à la base, pour ce disque, mais je me suis vite rendu compte que c’était pas intéressant de sortir les pistes aussi vite, et je pense qu’on a eu raison puisque ça a mis un certain temps pour embellir ces titres qui paraissent aujourd’hui. Pendant le mix, les morceaux ont encore pas mal bougé, puisqu’on s’est amusé à resampler certains titres pour créer de nouvelles parties, en prenant des pistes existantes comme certaines lignes de guitares, qu’on a mis dans un autre ordre pour créer de nouvelles phases à l’intérieur des morceaux. On a ainsi expérimenté pas mal de choses, avec Maxime Maurel de Studio Noir qui a géré quasiment tout le mixage, des choses qu’on aurait pas forcément faites si on avait été seuls, avec pas mal de techniques qui peuvent s’apparenter à de la PC-music.

Concernant la partie pop à guitares de votre son électro-pop à guitares, on ressent énormément l’influence de Albert Hammond Jr, sur les guitares rythmiques qui s’entrelacent superbement, mais aussi sur les parties solistes, comme celle à la fin de Presidential Holiday qui est stratosphérique, on a d’ailleurs l’impression que l’américain est rentré dans votre studio pour claquer une ligne mélodique..

Alex : Oui, c’est exactement ce qu’il s’est passé.. Plus sérieusement, oui les guitares des Strokes ça fait partie des choses qu’on a voulu mettre en relief, c’était notre volonté, après on espère que ça fasse pas pastiche non plus. Est-ce que c’est meilleur que Oasis ? Aucune idée, en tout cas moi ça me parle plus que Oasis qui est apparu dans les années 90, alors que j’étais ado au début de la décennie suivante, au moment où les américains ont tout cassé. Et je peux me tromper, mais c’était Julian Casablancas le compositeur de la plupart des lignes de guitares des Strokes, et Albert Hammond qui interprétait, à part peut-être quelques parties solistes qu’il inventait lui-même.

Et c’est qui alors le Julian Casablancas de Hoorsees, c’est toi ou c’est Thomas ? (le deuxième guitariste de Hoorsees, Ndr)

Alex : Alors c’est moi qui compose toutes les guitares, et c’est Thomas et moi qui les jouons, mais non je ne pense pas pouvoir me comparer à Julian Casablancas, je serais trop malheureux si c’était vraiment le cas (rires). La principale différence entre nos groupes, c’est qu’on fonctionne de façon plus collégiale, mais avec un même procédé: chaque instrument fait des mélodies qui se superposent et qui créent du contrepoint entre elles, c’est aussi ça qu’ont apporté les Strokes dans la musique rock, même si Julian dictait pas mal de choses.. Tu as le truc basique utilisé par Oasis justement, avec un guitariste rythmique qui fait les accords et un guitariste soliste qui fait la mélodie, et cette technique plus créative disons, où deux guitaristes jouent deux mélodies distinctes en même temps, qui créent des interactions entre elles et qui répondent à la voix. Un peu comme du Jean-Sébastien Bach en version pop, oui, mais avec quand même beaucoup moins de virtuosité, on retrouve aussi ça dans le jazz..

Et pour la face électro de votre électro-pop à guitares, on pense évidemment à Phoenix mais aussi à Air et la French Touch de manière globale. C’est vrai que tu as découvert le groupe de Dunckel et Godin lors d’une tournée aux States ?

Alex : Oui c’est vrai.. Je connaissais un peu Phoenix mais pas du tout Air il y a encore quelques mois, c’est grâce à mon ingénieur du son qui nous suit en live et qui travaillait sur leur tournée, donc j’ai découvert comme ça. Je me sens coupable, d’être passé à côté aussi longtemps d’une telle claque, comme un gros ignare, l’explication vient peut-être de ce rejet d’une certaine culture musicale française que j’avais un peu quand j’étais adolescent. C’est assez impressionnant quand tu vas à l’étranger, et que tu te rends compte de l’impact culturel que cette touche versaillaise a eu, assez peu de groupes internationaux se sont emparés de ce son avec talent, donc ça reste quelque chose de très spécifique à la France, ce qui est assez rare. Reprendre cette ligne là aujourd’hui et voir ce qu’on peut en faire, dans la mesure où peu de groupes osent vraiment s’y coller, au delà de notre fusion, ça reste un challenge assez excitant.

Nico : Alex était inculte encore récemment, par contre me concernant Air et Phoenix j’écoutais ça en boucle quand j’avais quinze ou seize ans, un peu moins fan’ des Strokes mais quand Alex a décidé de cette double ligne directrice, j’étais plutôt content de retrouver la face versaillaise. Les quatre premiers disques de Phoenix, je les ai saignés à mort, j’ai d’ailleurs repris de nombreux éléments rythmiques à leur batteur Thomas Hedlund durant la composition de ce BIG. C’est marrant parce qu’à l’époque de notre premier album tu avais défoncé mon jeu de batterie en disant que c’était pas assez efficace, je m’étais dit « putain mais quel connard ce mec ! », mais quand on a réécouté ces anciens morceaux pour commencer à les adapter à notre nouveau live, je me suis dit « ah ouais il avait pas complètement tort en fait.. ». L’idée maîtresse étant vraiment de sonner presque comme une boîte à rythme, et comme j’avais cette tendance à en mettre un peu partout, je me suis refréné à mort en m’inspirant de Hedlund, et peut-être de tes conseils ! 

On a évoqué les Strokes, Air, Phoenix, mais il y a un vrai côté Bloc Party un peu ringardos dans la rythmique, et une certaine façon de composer les mélodies parfois aussi. C’est un truc qui est venu de manière instinctive ?

Alex : C’est un peu ringardos parce qu’on est des gens ringardos ! Bloc Party, c’est 2006, en plein dans l’époque où j’écoutais ce genre de musique, et puis ça reste une grosse niche, peu de groupes veulent reprendre ce genre d’esthétique aujourd’hui, je trouve ça dommage donc je voyais pas pourquoi me l’interdire. Toute cette vague un peu «dance-punk»  anglaise de la fin des années 2000, un peu skins quoi, car on a tous un peu grandi avec cette série là, on a tous fait des skins party ! C’est une forme de nostalgie pour cette période de nos vies où on traînait à Camden Town parce que c’était trop cool, en courant les friperies.. Mais ces groupes ont pas si mal vieilli je trouve, c’est juste hyper cyclique, et je pense même que ça va revenir à la mode bientôt, mais peut-être que je me trompe.

Tous ces groupes qu’on vient d’évoquer ont, d’une certaine manière, décloisonné et de manière plutôt intelligente l’indie avec le mainstream, une idéologie esthétique qu’on sent très forte, chez vous..

Nico : L’idée que ce genre de musique – les Strokes ou Phoenix – puisse être considérée comme mainstream, soit elle est complètement morte et on est complètement ringard, soit elle va revenir et dans ce cas là on est un peu trop en avance. Même si je pense qu’actuellement, ce genre de paradigme n’est plus vraiment d’actualité : je veux dire, si ils sortaient maintenant, est-ce qu’ils seraient aussi populaires qu’il y a vingt ans ? La définition du mainstream – ou indie-mainstream– d’il y a vingt ans n’est plus forcément la même aujourd’hui..

Alex : Les derniers groupes à guitares qui ont exercé une réelle influence sur une époque culturelle donnée, ils n’existent de toute façon plus vraiment aujourd’hui.. Depuis au moins une dizaine d’années, c’est quelque chose qui est devenu relativement mineur, voire pire. Le fait d’avoir un impact sur les gens qui aiment ça oui, mais sur tout un public et toute une génération d’adolescents, non, on dirait même que la guitare est devenu une sorte d’objet mythologique, avec cet espèce de fantasme autour des instruments analogiques…

« A l’heure actuelle, le groupe de Julian Casablancas et Phoenix ne cocheraient absolument aucune des cases du mainstream actuel ».

Pour conclure sur cette idéologie esthétique, sur votre fusion stylistique et votre volonté de faire un son qui cartonne, c’est assez courageux de faire ça aujourd’hui, dans un certain milieu qu’on appelle l’indie-rock. Vous êtes un peu les moutons noirs de cette partie infime de la société ?

Alex : Je sais pas si on réfléchit vraiment par rapport aux groupes français, mais c’est vrai qu’on aime pas trop certains carcans qui existent en France aujourd’hui dans l’indie-rock.. J’ai l’impression qu’il y a certaines cases à cocher dans la pop hexagonale qui font que, d’une certaine manière, beaucoup de projets en français finissent par être un peu ressemblants.. Il existe une certaine idée de ce que doit être l’indie-rock en France, avec certains groupes qui considèrent le mainstream comme un gros mot, alors que c’est pas forcément notre vision des choses. Même si à l’heure actuelle, le groupe de Julian Casablancas et Phoenix ne cocheraient absolument aucune des cases du mainstream actuel. C’est juste mes goûts en fait, de façon totalement honnête, j’aime bien quand la musique est digeste, pas du tout insipide mais quelque chose d’agréable à écouter. L’avantage d’une musique qui a un penchant pour le mainstream, c’est que tout le monde peut avoir les codes pour l’aimer, c’est un requiem pour un art populaire, j’aime beaucoup cette idée. Et pour conclure sur les Strokes, c’est un groupe éminemment indie dans leur approche de production, mais leurs mélodies sont tellement fortes et tellement efficaces qu’au final, c’est aussi un groupe mainstream qui peut parler à beaucoup de gens.

Vous n’avez pas l’impression de vivre un certain désamour de la part du public français, à cause de cette identité un peu à rebours des canons actuels de l’indie-rock ?

Alex : Non, enfin je pense pas, on aimerait bien avoir un meilleur public en France.. Mais c’est vrai que je suis souvent très étonné de la musique qui marche ici chez nous, pour le meilleur et pour le pire parfois, mais il y a quelque chose d’assez imprévisible et que je ne parviens pas réellement à expliquer.. Ce que font les groupes indie-rock actuellement, et ce que les gens ont l’air d’aimer, peut-être aussi parce que c’est devenu quelque chose de tellement mineur de faire du rock aujourd’hui, qu’on a cette impression qu’il faut absolument faire un truc intellectuel et compliqué..

L’événement de ce disque, de ce « BIG » disque, c’est aussi l’arrivée de Zoé au micro. Évidence ou hasard ?

Alex : Une fois fini en l’écoutant, c’est une totale évidence, mais ça était compliqué de trouver la recette, comme on a pas forcément la même manière de chanter voire pas du tout, on a essayé toutes les versions possibles et imaginables sur une bonne partie des morceaux. Il y avait une piste «Alex» et une piste «Zoé» sur quasiment chaque titre en fait, donc il fallait réadapter l’ambiance à chaque fois.. On a vraiment essayé, sur chaque chanson, de voir quel était le meilleur mic-mac possible, et au final on est tombé là-dessus – trois titres pour Zoé, six titres pour Alex – mais jusqu’au dernier moment, on savait pas du tout. Je me suis jamais vu comme le leader incontesté de Hoorsees, et ça amène plus de diversité au propos esthétique, mais il fallait trouver un équilibre entre ceux où je chante, et ceux où Zoé chante. Il y a même eu un moment sur Artschool où j’ai fait soixante prises de voix, Zoé une quarantaine, et au final on a gardé la première !

« L’époque Blink 182 était vraiment bénie, avec une sorte d’idiocratie qui régnait, entre ces groupes là et les visionnages de clips sur MTV, c’était vraiment cool d’être bête en fait ».

La contradiction entre les deux voix est géniale sur l’ensemble, on passe d’une couleur à une autre, car forcément quand Zoé chante avec sa voix suave, votre électro-pop à guitares tend plus vers de la dream-pop alors qu’avec toi, il y a quelque chose de plus énergique, et animal.. Mais est-ce que ça pourrait matcher sur un même titre, ou est-ce trop bancal ?

Alex : On y pense parfois, mais on a pas encore trouvé la formule. On se regarde souvent entre nous, en rigolant, en se disant qu’on a trop peur que ça sonne comme Manhattan-Kaboul de Renaud et Axelle Red. Peut-être à l’avenir, on a essayé sur certains morceaux, mais ce question-réponse est encore trop bancal sur un même titre car il part soit dans une direction dream-pop quand Zoé chante, et puis il redescend sur quelque chose de plus rêche quand c’est moi qui reprend le micro. Et inversement, on perd l’énergie quand je commence à chanter, et qu’elle prend la suite au micro avec son timbre suave, ça casse totalement l’ambiance ! C’est pas forcément une mauvaise idée, faut juste trouver le bon timing entre nous deux, pour que ça soit pas trop ridicule quoi. En plus, nos parties de chants sont vachement calquées sur les textes, il faudrait écrire un certain type de paroles pour que ce genre de question-réponse se justifie, j’ai pas ce talent de parolier là pour l’instant.

Et ton fameux punch nonchalant, il est au TOP notamment sur Artschool : c’est du à quoi, un travail de quinze heures par jour, comme Cristiano Ronaldo pour avoir ce timbre si juste ? 

Non, j’ai plutôt de la détestation pour la plupart de mes prises de voix, et pour la petite histoire sur Artschool, j’ai du refaire la prise de voix une bonne cinquantaine de fois par ce qu’on était vraiment pas satisfaits, jusqu’au dernier moment où il a fallu renvoyer la piste pour le mixage… C’était tellement mauvais en fin de compte, qu’on a décidé de garder la première prise qu’on avait faite quasiment deux ans auparavant pour la démo, après avoir aussi longuement hésité sur le fait que Zoé puisse chanter sur ce morceau, à ma place.

C’est ça en fait l’explication à ce chef-d’œuvre d’électro-pop à guitares, de faire les choses cinquante fois ?

Alex : Ben oui, il faut beaucoup rater avant de réussir, l’exemple que je viens de te donner, c’est à l’image d’une bonne partie du travail qu’on a fait sur ce disque. J’ai horreur des groupes qui ne tentent rien, qui se contentent d’avoir un instinct sur un titre, et le copient collent ensuite sur le reste du disque. Toutes les pistes qui composent « BIG » sont comme les parties d’un immense puzzle, car on a essayé toutes les combinaisons possibles et imaginables, de quoi rendre fou les gens qui ont travaillé avec nous sur ce projet à l’ambition peut-être démesurée, et c’est un peu de ma faute je dois dire… Tout ça pour finalement me rendre compte que les premières idées sont souvent les plus fortes, mais je ne voulais pas non plus avoir de regrets de ne pas avoir tout essayé… C’est assez dingue, ou peut-être finalement assez logique, mais la puissance des premières fois est souvent inégalable.
J’ai pas révolutionné le monde en disant ça, c’est comme la discussion qu’on a eu plus haut dans l’interview sur les expériences esthétiques vécues à l’adolescence, qui ont en fin de compte pas mal façonné ce disque. Tout ça nous imprègne de manière émotionnelle, donc c’est difficile de s’en défaire ensuite.. C’est la période de la vie où on se construit, où on vit des émotions plus intenses que celles qu’on vit ensuite, ou du moins on les vit très fortement, donc c’est difficile de se départir de ces éléments là..

Et alors à part les Strokes pour toi Alex, et Phoenix pour toi Nico, c’est quoi le groupe de votre adolescence ?

Nico : Moi c’est Blink 182 à fond, l’album éponyme de 2004 je l’ai bien saigné lui-aussi. J’ai grandi avec leur batteur Travis Parker, ce mec m’a foutu une énorme claque et comme je faisais de la batterie, il m’a amené à écouter ce groupe de façon presque monomaniaque. Quand je suis allé les voir à Bercy et que je l’ai vu surgir avec ses fûts alors que j’étais enfoncé dans la fosse, pour moi le gamin qui pratiquait le même instrument, c’était difficile de rester insensible à cette énergie… C’est ma madeleine de Proust, mon quignaman, encore plus que Sum 41, parce qu’il y a ce côté larmoyant et mélancolique qui allait bien avec l’adolescent qui se morfondait un peu que j’étais alors aha. Et même si depuis je suis devenu un adulte responsable, c’est quelque chose qui restera toujours gravé dans mon ADN.

Alex : Et ben je vais pas faire dans l’originalité, c’est exactement la même chose pour moi, le premier disque de Blink, et je dis pas ça parce qu’on est dans le même groupe.. C’est moins premier degré, et à la fois plus méta et bêta que Sum 41, avec bien plus de degrés de lectures. Une époque vraiment bénie, avec une sorte d’idiocratie qui régnait, entre ces groupes là et les visionnages de clips sur MTV, c’était vraiment cool d’être bête en fait. J’ai une certaine nostalgie pour cette forme d’humour complètement débile, où ça jouait à mort sur le côté adolescent attardé, même si c’est bien de s’en détacher ensuite hein, et de grandir finalement..

J’ai découvert ton passé refoulé d’étudiant au conservatoire, en écoutant votre passage dans l’émission Coté Club sur France Inter, une période que tu évoques avec beaucoup d’ironie dans Artschool. C’était aussi un carburant, une forme de frustration qui t’a servi ensuite dans ta carrière avec Hoorsees ?

Alex : Ca rejoint ce que j’évoque également dans New Career, car je passe certaines de mes journées à apporter les pupitres aux nouveaux élèves de ce fameux Conservatoire où j’ai passé une partie de ma jeunesse. Je sais pas si je garde de l’animosité par rapport à cette école, non je pense pas en fait, même si c’est vrai que la mentalité me dérangeait, quelque peu. On a tous ce cliché de l’étudiant en art, un petit peu beau, habillé comme un dandy, un peu vaniteux aussi, cette chanson parle plus de cet état de fait, et de cette hypocrisie de ces gens tout de même très privilégiés qui exercent une certaine forme de domination de classe, sans avoir beaucoup de talent en plus, la plupart du temps. C’est toujours assez difficile de se sentir à sa place. Dans quelque microcosme social que ce soit, il y a des codes à respecter mais qui sont aussi faits pour être ratés, et qu’au final tu te sentes comme une grosse merde ensuite, avant de pouvoir accéder à quelque chose de mieux.

Et donc cette nouvelle carrière que tu évoques dans le titre New Career, ça parle de quoi exactement ? De ce rêve absolu que d’être intermittent du spectacle ?

Alex : Oui, c’est à peu près ça, ça parle pas de notre future participation aux Victoires de la Musique en tout cas. Plus sérieusement, ça fait référence à cette désillusion qui s’installe quand tu arrêtes ton travail «normal» – il était professeur de musique – pour devenir intermittent du spectacle. Tu t’attends à faire que de la musique, malheureusement tu te rends compte assez rapidement que tu vas devoir faire tout un tas d’autres trucs qui n’ont absolument rien à voir avec la production de disques ou les tournées, comme de la figuration dans le cinéma, par exemple.. Une drôle d’expérience, vraiment, comme très peu de métiers sont payés en cachet, t’es presque forcé d’aller vers ces métiers là comme le fait d’être filmé à ne rien faire, tout en sachant que t’es complètement imposteur là-dedans. Énormément de musiciens le font, mais ils le disent pas forcément, quand ils se retrouvent à devoir jouer dans des séries pourries pour avoir le nombre de cachets suffisant à la fin de l’année. C’est quelque chose qui fait partie du métier d’intermittent du spectacle, quand tu es musicien, alors oui c’est extrêmement chiant, mais tu te dis qu’il y a bien d’autres gens qui sont vraiment dans la merde donc bon, il faut relativiser, mais c’est vrai que c’est totalement déconnecté de ta réalité de groupe d’indie-rock.

« Dans l’indie-rock en France, où on a cette impression que pour plaire, il faut obligatoirement avoir certains codes. »

C’est l’ambition avec ce label américain Kanine Records qui vous publie, de cartonner aux states, où le public comprendrait peut-être mieux votre musique ?

Alex : C’est vrai qu’on a un peu le cul entre deux chaises, avec des écoutes sur Spotify qui sont assez partagées entre la France, et les États-Unis. La réception de notre musique y a été bonne pour le disque précédent, donc c’est quelque chose qui peut s’envisager, parce qu’on est de plus en plus professionnels dans notre démarche aussi, mais ça va passer par une grosse couverture médiatique. De là à dire qu’elle est meilleure qu’en France, c’est compliqué de juger, parce que le côté exotique joue aussi beaucoup là-bas, dans la mesure où ils n’ont pas tellement l’habitude de voir débarquer des groupes français qui plus est aussi anonymes que nous. Certaines références peuvent leur parler, comme notre amour des mélodies un peu « catchy » qui est peut-être un peu moins bien reçu dans l’indie-rock en France, où on a cette impression que pour plaire, il faut obligatoirement avoir certains codes : être arty ou post-punk, présenter une esthétique déconstruite, pas forcément prétentieuse mais les groupes qu’on met en avant ici ne sont pas autant basés sur les mélodies, après je peux me tromper mais ça me pose question.

Nico : Proportionnellement oui, car ils sont beaucoup plus nombreux, et une grosse partie de la pop qu’on aime est née là-bas, mais en fait on s’était rendu compte durant notre premier passage aux states que c’est aussi une énorme jungle. La scène rock est juste massive, c’est assez déprimant mais aussi hyper stimulant de constater que des groupes beaucoup plus connus que nous galèrent presque autant, car globalement le niveau moyen est juste dingue : même pour le petit groupe de garage de lycée, ça joue vraiment très, très bien ! De quoi se prendre une bonne claque en termes d’humilité, les mecs nous répétaient souvent : « vous avez les Cathédrales, et nous on a la musique ! », car ils baignent là-dedans en permanence, et j’irais pas jusqu’à dire qu’on s’est pris de belles branlées, mais on devait pas en être si loin, parfois…

Hoorsees // BIG // Propulsé le 12 janvier 2024 depuis la base aérospatiale de Howlin’ Banana & Kanine Records

Pour les dates de leur show «son et lumières», c’est par ici.

4 commentaires

  1. c’est bien ce que je pensais, les artistes actuels n’ont aucune espèce d’érudition et encore moins de curiosité sur les sorties d’album.
    Génération feignante.
    Amplifiée par des médias de merde.
    Chaos organisé.
    Mais allez y faites un tabloid contre culture contre la vraie culture qu’on ira chercher ailleurs.
    Bande de bouffons.

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