Jusqu’à "Margin Call", il existait une règle d’or : mieux vaut un mauvais film Américain qu’un mauvais film Français. Pourquoi ? Parce que l’industrie du cinéma US garantit, par la solidité de ses corporations, un niveau technique inégalé. Même les séries B ont droit à des monteurs qualifiés, des cadreurs pro. Par effet d’escalier, le cinéma indépendant profitait de cette solide structuration technique et affichait donc souvent un niveau de réalisation de premier ordre.

Et puis il y a eu « Margin call », un film scolaire, plutôt médiocre, à la dramaturgie molle, rien de grave sinon que le film ressemble à un catalogue des erreurs techniques au cinéma. Le monteur est d’une nullité telle qu’il réussit à enchainer plusieurs faux raccords dans une même scène. Il ne lui est pas possible de faire des erreurs de montage durant les plans séquence, mais heureusement, le chef opérateur les éclaire si mal qu’on peine de toute manière à y apercevoir une action au demeurant sans intérêt.

Enfant, il y avait dans la notice de mon premier appareil photo ce conseil vital de composition: quand on cadre une personne, vérifier d’abord qu’elle n’est pas derrière elle un arbre, un buisson ou un poteau, cela afin d’éviter l’effet j’ai un palmier qui me pousse au sommet du crâne. Rien que pour ignorer cette règle accessible à un gosse de huit ans, le cadreur mérite une bonne grosse paire de baffes. Mais pas seulement, tant on a parfois envie de se lever pour faire la mise au point à la place du pointeur, sans doute trop occupé à trader des junk bond en ligne.

Etonnamment le Monde – pourtant un journal sérieux – s’étale longuement sur le film, poussant le mauvais goût et l’irrespect à comparer, dans un article poussif, le film à ceux de Kubrick. On comprend que la consommation effrénée de séries télévisées ait pu émousser le sens critique des spectateurs. Néanmoins, pour écrire sur le cinéma dans un journal d’audience nationale, il convient d’en conserver un peu. Il est recommandé également de fréquenter les grands cinéastes par d’autres biais que leurs pages Wikipédia. Au contraire des films de Kubrick qui touchent, par de subtiles allégories et une maîtrise parfaite du langage cinématographique, à des questions profondément humaines, on a droit dans « Margin call » à des dialogues foireux et d’une valeur toute relative. Les gros salaires des dirigeants sont pour le héros monosourcilleux l’occasion de s’interroger bien lourdement et fort tardivement sur le sens moral de son choix de carrière. La question de la morale, faut-il le rappeler est poussée chez Kubrick à des points de rupture. Dans « Margin call », elle tutoie les pires discussions de télé réalité.

Ni la question éthique, ni la question technique ne sont anecdotiques. Ignorer, par complaisance ou par simple inculture, la nullité éthique et cinématographique d’un tel navet revient à renoncer au rôle qui est celui, d’abord d’un cinéaste, ensuite d’un critique de film, si tant est qu’aucun des deux ne mérite ce nom. Le travelling, faut-il le rappeler, est une question de morale.

J. C. Chandor  // Margin Call // En salles

6 commentaires

  1. La bande annonce et la tirade sur la construction des ponts sont peut-être les deux seuls choses à sauver du naufrage qu’est ce film…

  2. « vérifier d’abord qu’elle n’AIT pas derrière elle un arbre,  »
    J’en ai eu du mal à comprendre… Je passe beaucoup de fautes pourtant, mais là…
    Nele prenez pas mal, ce serait juste bien une petite correction et un effacement demon commentaire 🙂

  3. C’est vrai que c’est ballot, cette grosse coquille au milieu du morceau de bravoure.
    Ça reste un bel article.
    Après, pourquoi se forcer à aller voir des navets quand on a même des bons films français.
    Le prénom, par exemple, est étonnamment subtil pour une comédie française. Et vachard qui plus est.

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