Louis C.K. a réellement vécu le cauchemar fictionnel imaginé par Ricky Gervais dans sa série. Celui de vouloir faire une série avec les meilleurs intentions du monde, pour au final se retrouver aux manettes d’une sitcom minable. Ca s’appelle Lucky Louie, on est en 2006 et c’est triste. En ayant expérimenté Louie, c’est difficile de se retrouver face à ça. On se demande si c’est le même mec qui nous a pondu une série fantasque et foutraque. Lucky Louie peut aisément gagner l’Emmy award des rires enregistrés les plus forts. Rien ne fonctionne, les gags sont surlignés, la mise en scène sitcom fait évidemment perdre tout réalisme, il n’y a aucun point de vue, et même les audiences ne sont pas au rendez-vous. Bref, c’est un échec total. En 2006, Louis C.K. est pourtant à son apogée : il est marié, heureux, populaire. Mais son divorce va arriver, et c’est là qu’il va changer de cap pour reposer à nouveau son regard surréaliste et salace et créer, en 2010, Louie. Le bonheur n’est pas bon pour lui. Combien de divorces, de ruptures ont permis de relancer des artistes ? Je n’ai pas les chiffres exacts, mais pas mal. Il faut que le bar te frappe pour que tu le frappes en retour.
Alors il retient la leçon et fait tout l’inverse de Lucky Louie, il prend le contrôle total en occupant tous les postes : écriture, montage et réalisation. Tout est dit très clairement dès le générique, qui tend un joli majeur à son ancienne sitcom. Le gros roux sort d’une bouche de métro, la caméra est portée à l’épaule, enfin libérée des studios et de son trépied. Il est dans la ville, dans la vraie vie. Pendant que Louie mange une part de pizza, un passant fait un doigt à la caméra. Louie rentre ensuite dans un comedy club où il va pouvoir déverser sa haine contre l’espèce humaine et contre sa lâcheté de tous les jours.
Dada, il l’a toujours été. Pour preuve, Ice cream, son court-métrage de 1993 (visible sur sa chaîne YouTube), où une femme tombe enceinte dès qu’elle baise. Pour ceux qui pensent tomber sur du Curb your enthusiasm ou du Seinfeld, Louie peut désarçonner. Car Louie c’est de l’humour noir, du radical. La plupart des épisodes n’ont pas d’histoire, pas de sens, pas de chute. Ce ne sont pas des scénarios bien fignolés à la Curb. Non, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Il n’y a aucune envie d’être efficace, pourtant tout est là, tout est phénomène, et Malback bande à nouveau.
Quand Louie part rendre visite en voiture à sa grand-mère avec ses deux filles, il se met à chanter une chanson des Who qui passe à la radio. Ses filles se bouchent les oreilles. Seul lui semble prendre du plaisir. Ça n’amène rien au scénario. On ne peut pas définir ce moment comme gracieux. Non, pendant trois minutes trente Louie chante « Who are you… » et c’est tout. Et c’est génial.
C’est ce rapport au temps direct qui rend certaines situations encore plus gênantes. Encore une fois, on n’est pas dans le gag surligné ou dans la bonne grosse situation comique. Le roux en tee-shirt noir va plus loin et étire la scène jusqu’à ce qu’elle ne soit plus drôle, que la gêne (la vraie) s’installe. Pour que l’on sente vraiment quelque chose, et que la déprime fasse son apparition. On ne se tient pas les côtes, on rit jaune ou pas du tout.
New York est la ville où sa poésie dada se matérialise. Sur le quai du métro, un violoniste joue un morceau, c’est sublime, c’est tout joli… Puis arrive un clodo qui se déshabille et fait sa toilette. C’est urbain, c’est moite comme une main avant un premier rendez-vous.
Quand une femme, avec laquelle il sort pour la première fois, en a définitivement marre de lui, elle se lève subitement et monte à bord d’un hélicoptère qui décolle sur-le-champ. L’hélicoptère était là à attendre hors-champs. Louie regarde son échec du jour s’envoler dans la ville. Ça n’a aucun sens, et pourtant ça dit tout.
À 40 ans, Louie a pas mal de problèmes avec le sexe opposé, alors il parle le plus souvent de ce qu’il connaît le mieux : la branlette. Il en est un fervent défenseur. Il arrive même à donner un nouveau sens à la branlette intellectuelle. En effet, ça ne tourne jamais à vide, il arrive toujours avec quelque chose de neuf sur le sujet. Seul le geste compte ; ici c’est un va-et-vient, un coup de poignée vigoureux. C’est l’acte fondateur de Louie, parler de son intime tout le temps sans honte, ne jamais cesser de s’astiquer le poireau et le cerveau. Il nous la rend belle la branlette, morale, voire essentielle, grâce à un regard qui n’est ni potache, ni accusateur. On pourra le graver sur sa tombe : « Ici gît Louis Szekely, dit Louis C.K., gros New-Yorkais ayant redonné ses lettres de noblesses à une pratique ancestrale : la masturbation. » L’épisode 8 de la deuxième saison apparaît comme un testament, comme son épisode somme sur le sujet.
Comme dans sa série, Louis C.K. reprend un peu de dignité et arrive à affronter sa vie et s’en moquant sur scène. Son dernier stand-up : Louie C.K live at the Beacon Theatre, en plus d’être putain de bon, lui a rapporté plus d’un million de dollars. Il a décidé d’en redistribuer les trois quarts. Qui a dit que les gros roux n’avaient pas la classe ? Il a aussi décidé de prendre l’air pour un moment, de ne plus être sur le devant de la scène. Trop de bonheur n’est pas bon pour sa santé mentale. Il l’a bien compris, ça nique sa créativité et entache son cynisme. Il va pouvoir nous revenir en force pour une troisième saison de Louie. En attendant, on peut revoir ses anciens stand-up où il parle, tenez-vous bien, de masturbation.
Illustration: http://paintingsontheside.blogspot.com/
4 commentaires
La saison deux est étonnante. Je pense que Louie est la dernière série où je suis incapable de deviner la fin de l’épisode. La construction même des épisodes est éclatée, différente à chaque fois. L’épisode sur l’Afghanistan suit un schéma classique, puis bam, l’épisode suivant est une suite de sketchs ou une longue descente comme celui qui aborde le thème du suicide.
L’épisode d’Halloween, avec la scène ou il est incapable de protéger ses gamins est admirable. Ce mec ne se protège jamais, ne se donne jamais le beau rôle. Tout en évitant de nous dégouter de le regarder. Admirable.
Exact mais même l’épisode sur l’Irak, qui est assez classique en effet et surement un peu plus chère que les autres, se finit sur ce truc du caneton! Il revient toujours avec un truc surprenant même au sein d’un épisode classique. il est fort ce Louie.
Et en plus il y a Ricky Gervais.
Génie.