« Incredible String Band ? Des barges, ils vivaient dans une communauté où ils baisaient tout le temps entre eux, ils adoraient le LSD et leur musique est dingue ». Même si cette description convient parfaitement pour une ribambelle de groupes de l’Eldorado hippie des années 60-70, The Incredible String Band est bien plus qu’une bande de lutins malicieux doués avec les cordes.

Ce qui frappe avec l’Incredible String Band, c’est le contraste entre leur succès de 1965 à 1974, l’inspiration qu’ils ont été pour quantité d’immenses groupes, et leur relatif anonymat d’aujourd’hui. Comme s’ils étaient restés un souvenir parmi tant d’autres du rêve hippie, figés dans leurs délirantes pochettes d’album d’une candeur touchante, presque naïve. Pourtant, leur folk psychédélique n’a pas survécu à la vague rock des années 70 et a fini par tomber dans une forme d’oubli.

Les Ecossais étaient avant-gardistes, parmi les premiers à avoir mêlé autant d’inspirations du monde entier, aussi bien instrumentales (en incorporant quantité d’instruments exotiques), que thématiques (en s’inspirant des différentes mythologies, spiritualités et philosophies du monde). The Incredible String Band, c’est aussi un groupe à la créativité impressionnante; régulièrement cité comme inspiration majeure par un grand nombre de contemporains et de successeurs. Jimmy Page déclarera même plus tard « s’être contenté de suivre leurs instructions » pour créer la musique de Led Zeppelin, inspiration flagrante sur certaines compositions acoustiques comme The Battle of Evermore.

Bob Dylan : « c’est pas mal ».

Une contextualisation s’impose. The Incredible String Band est une formation de folk psychédélique initiée à Édimbourg par Robin Williamson et Clive Palmer, qui partageaient à l’époque un squat avec Bert Jansch. Robin et Clive sont rapidement rejoints par Mike Heron. Ils sont tous les trois multi-instrumentistes, tirent leur inspiration des beatniks et des musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs, et ont un beau lot de cordes à leurs nombreux arcs : The Incredible String Band est né. Ne vous méprenez pas sur la simplicité du nom : les titres de leurs compositions et de leurs albums seront de plus en plus sibyllins.

L’Américain John Boyd, d’Elektra, les repère dans le milieu folk d’Édimbourg et leur propose d’enregistrer un premier album éponyme en 1966, qui rencontre rapidement un franc succès. Bob Dylan considère à l’époque October Song comme un morceau « pas mal », ce qui de sa bouche équivaut au plus prestigieux des trophées. Après ce succès précoce inattendu, la formation se sépare momentanément : Clive quitte le groupe pour suivre le hippie trail vers le Moyen-Orient et l’Asie, et Robin part avec sa copine Licorice au Maroc. Il reviendra de ce voyage chargé d’instruments exotiques.

En 1967, Robin et Mike se retrouvent pour enregistrer « The 5000 Spirits or the Layers of the Onion », album délirant à la pochette non moins délirante signée The Fool, qui assoit la notoriété du groupe et son penchant psychédélique. L’année suivante, les copines de Mike et Robin les rejoignent dans la formation et ils sortent « The Hangman’s Beautiful Daughter », souvent considéré comme leur chef d’œuvre.

1,001 Albums. 101–150 | by Daniel Lanciana | Medium

Les compositions harmonisent avec virtuosité une multitude d’instruments exotiques autour de thèmes de plus en plus loufoques et mystérieux. L’album contient de nombreuses pépites, notamment l’incroyable morceau d’ouverture Koeeoaddi There, qui en seulement cinq minutes constitue l’une des progressions psychédéliques les plus oniriques et envoûtantes qu’il soit possible d’imaginer, mêlant de naïfs souvenirs d’enfance et de visions d’un hôpital psychiatrique écossais. A Very Cellular Song, autre morceau phare de l’album, est une complexe piste de treize minutes inspirée de cantiques du monde entier qui aborde, entre autres obscurs mystères de la vie, la délicate question de la taille des amibes (« Amoebas are very small »).

A Woodstock, coupés au montage

La créativité débordante du groupe donne lieu à des concerts qui deviennent de véritables performances, mêlant la danse, le déguisement, scènes comiques, imitations d’animaux, lectures de poèmes et avalanche d’encens. La renommée du groupe devient mondiale. Toujours en 1968, ils sortent l’excellent « Wee Tam and the Big Huge », et partent former une petite communauté dans la campagne galloise, dont la vie quotidienne sera filmée dans Be Glad for the Song Never Ends. Le documentaire invite aussi la troupe de danse expérimentale Stone Monkey, et durant tout un été les joyeux lurons gambadent dans les vertes prairies, parés de tissus blancs ou de mystérieux déguisements à cornes et à plumes. La bande a un goût prononcé pour la comédie et la mise en scène, et leurs excentricités sont toujours situées quelque part entre le premier et le cinq millième degré, comme lors de certains étranges rituels enfumés dans des grottes, que le spectateur averti peut découvrir dans le film.

Le déclin du groupe commence l’année suivante, et coïncide paradoxalement avec leur venue au festival de Woodstock (au départ vendu à Mike et Robin comme un « petit festival folk »). Ils sont amenés sur place à grand renforts d’hélicoptères militaires, dont ils partagent la cabine avec Ravi Shankar. Ils devaient jouer le premier jour avec d’autres chanteurs et chanteuses folk, mais craignaient que la pluie ne ruine leurs instruments. Ils se produisent donc le deuxième jour, au milieu de groupes rock et leur performance intimiste passée plutôt inaperçue le jour même ne restera malheureusement pas dans les annales de Woodstock.

Ensuite, le groupe s’intéresse à la Scientologie, et dans une logique très démocratique, accueille à peu près n’importe quel volontaire en son sein. La qualité des albums suivants est plutôt fluctuante. Pour le producteur Joe Boyd, les deux génies que sont Mike et Robin gâchent leur talent en accueillant des musiciens parfois médiocres dans des projets résolument trop barges (les représentations du spectacle U, « une parabole surréaliste de chant et de danse », sont un désastre aux yeux du producteur). Et surtout, la « patte » Incredible String Band n’a plus vraiment sa place dans l’industrie musicale : le temps est venu des immenses concerts de stades et le groupe s’éloigne de ce qu’il fait de mieux, c’est-à-dire les performances intimistes et exaltées qui ont fait sa renommée. Il y a de plus en plus de tensions entre Mike et Robin, qui lancent leurs projets individuels. Le producteur se barre, épuisé par le chaos déjà bien installé. Licorice quitte aussi le groupe, et après s’être consacrée un peu plus à la Scientologie, sa trace s’estompe petit à petit dans le désert d’Arizona, avant de disparaître mystérieusement des radars. Finalement, le groupe se sépare en 1974, et si le public est enthousiaste à leur reformation momentanée dans les années 2000, le succès n’est pas à l’image de celui d’antan.

Déterrer le fossile

Aujourd’hui, The Incredible String Band est un groupe relativement oublié, bien loin de leur renommée de 1968, mais évoqué avec tendresse et bienveillance par leurs fans. Leur musique, déjà très originale à l’époque, paraît bien étrangère aux tendances actuelles. La folk psychédélique a d’ailleurs fini par disparaître et le renouveau psyché des dernières années n’a pas suffi à la ramener à la vie. On pourrait même supposer, et regretter, que le groupe ait mal vieilli : l’avalanche de sitars, kazoos, vielles à roue et guimbardes peut aujourd’hui avoir un côté indigeste, entre délire hippie new age et revival médiéval très kitsch.

Et il faut le reconnaître, écouter pour la première fois The Incredible String Band peut être un choc pour le profane non averti. Mais c’est bien ce merveilleux maelström, à la fois terriblement chaotique et parfaitement harmonieux, qui donne au groupe toute sa richesse et sa pureté. C’est une tendre claque, d’un registre oublié, un instantané au charme défraîchi des élucubrations candides de quelques hippies rêveurs. Ils ont d’ailleurs toujours abordé avec humour leurs excentricités de « gipsy veaudeville joke band celtic mixture », comme Mike Heron les décrivait à la BBC. Et c’est peut-être d’ailleurs la plus juste description que l’on puisse faire du merveilleux orchestre à cordes que forme cette bande de troubadours virtuoses, pour toujours « skating on happy valley pond ».

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