Malgré une pochette plus épileptique que psychédélique, la compilation « Deep In The Woods : Pastoral Psychedelia and Funky Folk 1968-1975 » vaut absolument le détour. Au programme : une sélection d’une cinquantaine de titres plus ou moins passés à la postérité, pour se plonger dans la riche histoire de la première vague de folk psychédélique britannique du tournant des 70’s. Oubliez l’effervescence du Greenwich Village et les complaintes des texans maudits : cette fois-ci, tout se passe dans les bois du Vieux-Monde.

À l’heure où nombre d’artistes contemporains se réclament d’un « renouveau freak-folk » souvent laborieux et tirant ses influences d’une ribambelle d’obscurs artistes du siècle passé, il est parfois judicieux de jeter un œil en arrière pour se représenter la source de tout ce bazar.
Si l’aventure est souvent teintée d’une nostalgie passéiste, caractéristique des cultes d’univers idéalisés et révolus (puisque nous sommes toujours nés un peu trop tard, car c’était mieux avant), elle peut aussi nourrir une réelle volonté de creuser au milieu des racines, de farfouiller au milieu des fourrés, de parcourir les sentiers sinueux de l’acid-folk (aussi appelée freak-folk ou folk psychédélique, car aussi géniale que bordélique).

La compilation « Deep In The Woods : Pastoral Psychedelia and Funky Folk 1968-1975 » est une nouvelle occasion de parcourir cette route. Le coffret est à paraître chez Rough Trade le 18 novembre : trois CDs pour une cinquantaine de titres, issus de groupes pour la plupart parfaitement inconnus au bataillon.

Derrière cette prometteuse sortie (nous ne parlerons pas plus de cette pochette) se trouve un label londonien, Rough Trade, qui avait déjà proposé en 2010 une première compilation sobrement intitulée « Psych Folk 10 ». Et derrière cette sélection pointue et ambitieuse (qui a dû être un vrai casse-tête à réaliser, à moins qu’elle ne fût qu’un bingo des folkeux à moins de 1000 vues sur Youtube), se trouve Richard Norris, un artiste au fier pedigree.

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Comptant parmi les pionniers du label Bam Caruso dans les années 80, spécialisé dans le psyché underground, il a collaboré au cours de sa carrière avec Joe Strummer, Bryan Ferry ou encore les Pet Shop Boys. DJ et producteur, ses projets personnels lui ont aussi assuré une honorable renommée et quelques places dans les hautes sphères des charts britanniques. On lui attribue aussi la paternité de la première track d’acid-house britannique Jack The Tab, réalisée avec Genesis P-Orridge de Psychic TV. Pour l’anecdote, les deux acolytes ne savaient même pas exactement ce que l’expression « acid-house » impliquait, mais le mot les a inspirés pour le meilleur et pour le pire… bref, au long de sa carrière, Richard fut aussi bien influencé par la musique de club dont il a participé à l’essor que par toute la culture psychédélique de la Grande-Bretagne à laquelle il rend hommage par cette compilation (il s’est même fendu, pour l’occasion, d’un livret qui accompagnera le coffret). Mais Richard Norris n’est pas la vedette de ce papier.

The rise and fall of psych folk

Trêve de contexte, place au concret : l’acid-folk, ou freak-folk, ou folk psychédélique, est un genre musical aussi difficile à définir qu’impossible à délimiter. Vulgairement, on pourrait simplement le considérer comme l’association de la folk populaire des années 60 et du rock psychédélique, qui voyait son essor à la fin de la décennie. Dans le cas britannique particulièrement, cette acid-folk est aussi empreinte de l’héritage culturel et musical du folklore celte, que ce soit par les instruments que les thématiques des textes. À cela, nous pouvons ajouter les instruments exotiques découverts par les premiers hippie trails des explorateurs psychédéliques, comme le sitar, qui a une place prépondérante dans le son de ce courant. Enfin, cette harmonieuse auberge espagnole culturelle s’inscrit dans l’idéalisme hippie et les utopies libertaires de la fin des 60s, eux-mêmes influencés par la popularisation des drogues psychédéliques et la libération sexuelle. Pas sûr d’y voir plus clair après cette définition laborieuse, souvent réinterprétée à sa sauce par tout amateur un peu inspiré.

La richesse artistique de l’époque donnait lieu à une ribambelles d’albums, de démos, de nouveaux projets mêlant un ou plusieurs médiums, sous l’étrange égide de cette acid-folk qui piochait aussi bien dans le traditionnel que l’exotique et l’expérimental. Bien sûr, ici comme ailleurs, il y a à boire et à manger, et beaucoup de ces initiatives étaient trop ratées pour l’époque et trop datées pour revenir dans la nôtre. Petit à petit, au terme d’une poignées d’années d’existence paisible, la psych folk a progressivement décliné pour tomber dans l’oubli, devant le succès triomphant d’un rock de plus en plus hard, voire heavy, dont les têtes d’affiches remplissaient des stades entiers pour des concerts toujours plus survoltés, là où la folk n’en a jamais eu l’ambition.

Certains pionniers du courant ont toutefois réussi à passer le cap, comme Marc Bolan et Tyrannosaurus Rex (signant en 1969 le très folk « Unicorn »), qui prirent le virage électrique en devenant le T. Rex que l’on connaît. Donovan garda plus ou moins son cap, jonglant avec la notoriété et les explorations musicales, comme Bert Jansch ou Jethro Tull. Vashti Bunyan est un cas à part, elle qui vit l’avènement d’une grande popularité avec quelques décennies de retard, au moment du retour d’une « freak-folk » modernisée dont elle fut désignée, malgré elle, la mère fondatrice.

Au milieu de ce courant aux contours flous, « Deep In The Woods » propose une sélection très éclectique, entrechoquant les connus et moins connus du courant. Si certains des heureux élus bénéficiaient déjà d’une certaine notoriété à l’époque, comme Jade Warrior (qui succéda à July), Fat Mattress ou Bridget St John, la plupart étaient, et restent, très confidentiels. D’autres, comme Trees, ont vu leur succès croître longtemps après leur période d’activité. Les diggers les plus gourmands pourront s’appuyer sur la sélection pour trouver leur compte d’histoires et d’anecdotes parfumées au chanvre et au patchouli, autant que de découvrir des pochettes plus inspirées et fantastiques les unes que les autres (comment, alors, expliquer le désastre de celle de la compil?).

Les oubliés de l’acid-folk

Toutefois, aussi délicate et ambitieuse soit la compilation, certaines absences sont regrettables, bien que justifiables comme étant trop, ou trop peu, underground. Manquent à l’appel The Incredible String Band, l’un des principaux émissaires du mouvement, dont la carrière fut à l’image de l’essor et du déclin de l’acid-folk. Aucune mention non plus de Jan Dukes De Grey, Mark Fry, Kaleidoscope (le groupe anglais de l’album « Dive Into Yesterday », à ne pas confondre avec leurs homologues américains) ou de l’étrange formation Comus. Et comme la compilation ne concerne que le mouvement de folk psychédélique britannique, sont aussi hors circuit nombre d’artisans du courant outre-Atlantique (citons par exemple Pearls Before Swine, The Holy Modal Rounders, Perry Leopold ou l’autre Kaleidoscope de « Side Trips »), ou de nos contrées franchouillardes (avec notamment Catherine Ribeiro + Alpes, Sourdeline, Malicorne ou Emmanuelle Parrenin).

Il ne faut donc évidemment pas considérer cette compilation comme une sélection exhaustive et achevée des principales œuvres du courant folk psychédélique, mais plutôt comme une porte très légèrement entrebâillée sur un monde riche et envoûtant, empreint d’idéal et d’un utopisme tranquille. Le problème étant que ce monde riche et envoûtant du psych folk (et de la folk de manière générale) est trop souvent recyclé pour justifier des projets musicaux souvent vus et revus, dont la tendance à s’essouffler est aussi grande que l’absence de notoriété l’était à l’époque (tout n’est pas à jeter, certaines nouveautés sont de vrais trésors). Un univers à découvrir, à écumer, dans lequel s’égarer, volontiers, mais un univers à ne pas (forcément) reproduire chez vous. Comme cette pochette, en fait.

Deep In The Woods : Pastoral Psychedelia and Funky Folk 1968-1975 // Rough Trade // Sortie le 18 novembre. Pour précommander, c’est par là.

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