© Guillaume Mobster

A l’auditeur cherchant une alternative au rock trop près du sol, on conseillera Les Mercuriales, groupe de free à sax dont le premier album à paraître chez Hellzapoppin rappelle que la France, bien avant de devenir un Hiroshima textuel pour auditeurs de Oui FM, était une terre radioactive où poussait des chansons étranges. Preuve par trois avec un titre à écouter et voir ici, en exclu.

Vous connaissez les tours Mercuriales ? Il s’agit de deux tours jumelles inspirées par celles du World Trade Center, et situées dans la division 2 parisienne, à Bagnolet. Au crépuscule des années 70, c’est-à-dire au moment où Lou Reed commençait à sortir des disques merdiques, un illuminé eut cette folle idée de bâtir une riposte architecturale au quartier business & cols blancs de la Défense.
Le premier choc pétrolier aura vite raison de ce chateau de cartes branlants, et les deux tours sauveront leur peau avec des antennes radiophoniques posées aux deux sommets. La première, gérée par TDF, diffusait TSF, Aligre FM et Beur FM. Elle fut débranchée en 2013. La seconde faisait crépiter les postes avec Ado FM, Néo, Radio Libertaire et Radio Campus Paris). Posées là comme deux champignons boutonneux au milieu d’une artère malade, elles ont finalement été reconverties en hôtels en 2022.

Tours Mercuriales — Wikipédia

Je ne connaissais à vrai dire pas les tours Mercuriales jusqu’à l’écriture de cet article. Ce que je connais en revanche, ce sont les membres des Mercuriales. Si l’expression « affaire de famille » peut s’appliquer à quelque chose, c’est bien aux Mercuriales. Je les connais tous, un par un, leurs qualités comme leurs défauts, et eux pourraient sans doute dire la même chose de moi. Alors bon, quoi, est-on jamais objectif à propos des gens qu’on aime ? Dur à dire. Ce qu’on peut écrire sans trembler, c’est que les Mercuriales et Gonzaï sont collés comme deux bonbons au fond d’une poche.

Il y a Jean-Pierre Montal, aka Syd Charlus sur le média que vous êtes en train de lire, croisé chez moi au milieu des années 2000 pour une histoire de concert organisé avec son groupe de l’époque (Temper) aux côtés de la signature Tricatel de l’époque (Major Deluxe). Il y a Thomas Florin, co-fondateur du média que vous êtes en train de lire. Et puis Sam Ramon (ancien membre d’Entracte Twist), rencontré dans les années 2010 à la terrasse du Wepler via Montal. Et puis Fred Collay, ami du même Montal et traducteur à ses heures perdues d’une gargantuesque nouvelle inédite de plus de 20 pages de Lester Bangs pour Gonzaï, et qu’on ne publia jamais. Sans oublier Stanislas de la Fuzz, le mec dans tous les coups bien fourrés (le reboot de Marie et les Garçons, mais aussi Entracte Twist). Alors oui, bon, Les Mercuriales c’est comme une extension de moi-même; a minima une partie de mon répertoire téléphonique, au mieux un contre-exemple à cette théorie selon laquelle il ne faut jamais écrire sur ses amis musiciens.

Il aurait donc été facile de botter en touche au moment de donner mon avis sur ce groupe récréatif formé pile à l’âge où l’on a fini avec l’insouciance. Le passage sous un tunnel nommé « ouais bof », le manque de temps pour écouter, les brouilles mineures; autant de bons prétextes pour ne pas avoir à se coller les six pistes de leur album au fond du cerveau. L’amitié étant elle-même une affaire de sincérité, il fallut quand même se rendre à l’évidence. Ce projet réunit le meilleur de chacun d’eux dans une version compacte où il s’avère difficile de ne pas penser à Dashiell Hedayat, l’homme aux deux albums, mais dans une version moins tourmentée et agrégeant en quelques morceaux l’esprit même du talkover free de la fin des années 60. Et c’est donc avec une émotion toute particulière que je tombai finalement dans ces compositions miroir dont on ne ressort qu’en réussissant à oublier qui est de l’autre côté; de la même façon qu’on parviendrait à regarder un film en oubliant que vos invités de mariage jouent à l’intérieur. Parfois, les choses vous échappent. Ce qui tombe bien, puisque c’est le nom du titre clippé à regarder ci-dessus; bon préambule à l’album signé par les inconscients de chez Hellzapoppin (Sinaïve, Edgar Deception, Bootchy Temple) qui semblent avoir oublié qu’en France on ne se drogue pas, et qu’il n’y aura jamais de rond point Alain Kan à proximité du parvis de la Défonce.
Qu’importe. Sur l’axe romancier-chanteur entouré d’un backing-band à la Gong-Zoo, Les Mercuriales font plus que le job et auraient mérité leur place dans cette playlist rendant hommage aux Ferré, Houellebecq et autres Philippe Léotard. Autant de beaux immeubles aux destinées complexes qui ne connaitront jamais leur apogée commerciale, et qui interroge sur la tour jumelle à poser en face de ce groupe anachronique fondé au moment même où lesdites tours éponymes étaient transformées en hôtels de luxe. Cet album à cheval entre Lou Reed, Television, My Sister Klaus et Hedayat vengera tous les projets ambitieux montées trop hauts pour rien. Et moi, accessoirement, je sauverai quelques amitiés au passage quand viendra le moment de me demander ce que j’ai pensé de ces Choses qui m’échappent.

Les Mercuriales // Les choses m’échappent // Sortie le 24 mai chez Hellzapoppin
https://hellzapoppinrecords.bandcamp.com/

Le groupe sera en concert à la Pointe Lafayette le 29 mars.

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