Avec « Hyperdrama », le duo électro parisien Justice vient de sortir un excellent quatrième album. Mais après vingt ans de carrière, les plus gros vendeurs du label Edbanger ont-ils encore des choses à dire ?

Le lecteur l’ignore souvent mais chaque pigiste le sait bien : interviewer correctement un artiste ou un groupe dans un festival, c’est la purge.

Acte 1 : convaincre l’entourage de l’artiste du bien fondé de ton « projet éditorial » (Si j’en avais un, je serai pas chez Gonzaï mais romancier ou rédacteur en chef de Libé ou du Figaro, selon le jour de la semaine).

Acte 2 : négocier quelques minutes dans la journée bien chargée de l’artiste qui doit  – ne l’oublions pas – gérer généralement un concert quelques heures plus tard. La réponse est souvent la même « Le groupe est charrette. Tu devrais avoir entre 10 et 15 minutes pour faire l’interview, ça te va ? ». Evidemment que ça me va – même si j’ai 120 questions à leur poser – puisque c’est ça ou rien. « J’oubliais, il faudra leur parler de leur nouvel album ». Dommage, j’envisageais une grande discussion sur l’évolution ahurissante du prix du kiwi jaune depuis quelques années.

Acte 3 : Trouver un lieu pour l’interview et espérer que le groupe sera à l’heure. Faute de quoi, tout peut sauter ou les 15 minutes se transformer en 5…

Avec les généreux Justice, tout est plus simple. On attrape Xavier de Rosnay et Gaspard Augé au festival Beauregard, près de Caen. L’interview est prévue à l’espace presse. Le duo arrive à l’heure, mais comme les Anglais d’Idles foutent un boucan pas possible, l’attaché de presse propose de faire l’interview dans le tour bus des Parisiens. Quelques heures avant un concert « son et lumières » qui retournera tout le monde, le groupe accepte. Coincé entre des interviews Radio Tsugi (qui vient de leur consacrer un somptueux hors-série de 200 pages) et France 3, je pénètre un immense bus noir, garé derrière la scène principale à côté d’autres immenses bus noirs. On me souffle dans le creux de l’oreille que je n’aurai que 10 à 15 minutes. Mais c’était sans compter sur le rappel dans ce qui ressemble ci-dessous à un très bon match de ping-pong entre Justice et moi. Let’s go.

Le duo électronique Justice nous embarque avec "Hyperdrama" dans un grand huit musical aussi fou que maîtrisé

Merci d’avoir accepté cette rencontre, d’autant que je vous cours après depuis un petit moment. Votre planning (promo, concerts) est chargé. Comme vous le savez, je suis là pour Gonzaï.            

Gaspard : Très bon magazine soit dit en passant.

Xavier : Tout à fait. On est content de répondre à vos questions.

Vous venez de sortir « Hyperdrama », votre quatrième album. Qu’est-ce qui vous a donné envie, après quasiment 8 ans d’ « absence », de donner un successeur à « Woman » ?

Gaspard : On n’a jamais vraiment arrêté. La tournée de « Woman »a duré jusque fin 2018. Après, on a bossé sur « Woman Worldwide » et sur le film Iris, ce qui nous a amené jusqu’en 2019. Gaspard a aussi bossé sur son album solo, et quand il l’a terminé, on a recommencé à bosser sur l’album moins d’un an après avoir fait Iris. Finalement on a bossé sur ce nouvel album de juin 2020 à novembre 2023.

3 ans donc.

Gaspard : 3 ans et demi, ouais.


Qu’est ce qui explique un processus de création aussi long ?

Gaspard : Déjà, parce qu’il y a sûrement une incompétence de notre part… Plus sérieusement, on avait aussi des impératifs de calendrier avec les gens qu’on voulait faire chanter. Ça prend un peu plus de temps que quand c’est nos voisins de palier, forcément. Et après, oui, on est lent et on aime faire les choses bien. On aurait presque pu finir l’album un an avant et on s’est dit : « A quoi bon ? On est déjà tellement en retard. Autant faire les choses bien ».

« On bosse sur notre musique à mi-temps »

Xavier : En fait, quand on a commencé à faire le disque et qu’on avait l’idée un peu générale, on savait qu’il y avait une manière de faire les choses qui pouvait être plus rapide, et une autre manière plus chronophage mais qui nous apporterait un résultat plus satisfaisant. A un moment, on a plongé devant. On ne fait pas si souvent que ça un album, donc quand on se lance, on veut le faire du mieux possible. Ca veut dire faire tout ce qui est possible pour faire le meilleur disque possible, travailler sur les détails, etc. Sur cet album, il y avait tout un truc de production hyper long à aboutir. On a plongé dedans, avec le plaisir de se perdre dans une construction labyrinthique. Et il faut aussi dire qu’on travaille une semaine sur deux. Il y a aussi ce truc-là.

Vous voilà donc à temps partiel ?

Gaspard : Oui, on est sur un mi-temps.

Que vous apporte ce mode de fonctionnement ?

Gaspard : C’est en effet plus ou moins ça, un mi-temps. D’avoir ce petit temps de réflexion presque hebdomadaire, ça rallonge tout mais je pense que ça a été très bénéfique pour le disque. Sur le premier album, on avait bossé tous les jours et tout le temps dessus. Sur le premier et aussi sur le deuxième, si je ne m’abuse ?

Xavier : Sur les trois premiers, non ? Ah non, tu as raison. En même temps, quand on faisait le premier, on jouait en même temps 5 fois par semaine.

Gaspard : Avoir ce petit sas de décompression entre deux semaines de taf, ça nous a permis de cerner ce qui n’allait pas, de revenir avec d’autres idées. Et c’est assez précieux quand même.

Xavier : La plupart des gens qui font de la musique diront sûrement la même chose. Pour « Hyperdrama », on bossait sur nos morceaux pendant une semaine, et dès qu’on arrêtait, je me faisais un MP3 des morceaux en cours, je me l’envoyais dans mon téléphone et après je l’écoutais tout de suite. Je sortais de chez moi, j’allais dans la rue, et je l’écoutais avec mon casque blanc de téléphone de base. Dès que tu sors de chez toi et que tu l’écoutes ailleurs, t’entends les choses complètement différemment. Parfois, on avait une intuition sur un son, on sentait qu’il y avait un truc qui ne marchait pas. On passait la semaine à essayer des centaines de trucs pour y arriver et dès que je sortais de chez moi et que je l’écoutais comme ça, j’appelais Gaspard 10 minutes plus tard en lui disant : « maintenant, j’ai compris le truc qui ne va pas ».

« Un morceau, tu l’aimes ou tu le quittes ».

Vous parlez de production. « Hyperdrama » est probablement votre album le mieux produit. Au fil des années, on sent que vous êtes peu à peu devenus des esthètes du son. Pas frustrant d’aboutir à une musique aussi bien produite quand les gens l’écoutent ensuite sur un smartphone en MP3 ?

Gaspard : Un petit peu, c’est vrai. Quand t’as passé tellement de temps sur un album et qu’après les gens – on ne peut évidemment pas leur en vouloir –  ne ressentent pas forcément ça, ou passent à  côté des morceaux parce qu’il y a quelque chose qui les dérange, ça peut être un peu frustrant. C’est quelque chose donc on discute tous les deux assez régulièrement. Effectivement la plupart des gens entendent de la musique sans toujours vraiment l’écouter. On est de la partie, et on a sûrement une écoute plus analytique que l’auditeur moyen – et je dis vraiment ça sans aucune condescendance – à qui le morceau parle ou non. C’est rare que les gens questionnent le mix. A part des gens comme toi ou des gens qui font de la musique. Il y a une immédiateté de la réponse de l’auditeur. T’as beau dire aux gens « Ah oui, mais en fait, il fallait l’entendre comme ça, ce morceau », ça ne marche pas. Un morceau, tu l’aimes ou tu le quittes.

Xavier : En plus, on a vraiment fait le choix de ne pas optimiser le disque pour les écoutes moyennes. On a décidé de sortir l’album pour qu’il soit agréable à écouter sur un bon système, mais il ne faut pas non plus avoir un système audiophile pour l’écouter.

Vinyle justice hyperdrama picture disc - CD - Musique

On pourrait presque imaginer dans le futur qu’un groupe sortira différentes versions d’un album, une pour Sonos, une pour Bose, une pour un système audiophile, etc.

Xavier : Sans aller jusque-là, c’est déjà un peu le cas puisque la version vinyle ne sonne pas exactement pareil que la version CD et pas exactement pareil que la version streaming. On a donc trois versions différentes qui sont légèrement optimisées mais globalement, l’album est fait pour pouvoir être bien écouté partout. Pour revenir au début de ta question, je me suis tapé il y a quelques temps un moment de déprime horrible…

Gaspard : Un moment de post-partum.

Xavier : Je n’ai pas de télé depuis 2001, un truc comme ça. En allant chez mon frère il y a quelques temps, j’ai découvert la télé HD et le son de cette télé. J’ai d’abord vu un clip d’un autre artiste et je l’avais trouvé absolument horrible au niveau du son et surtout de l’image. Je me suis même demandé pourquoi les gens regardent la télé HD. Tout ressemble à une sitcom française. Et là, notre clip de One Night/All Night passe à la télé. C’était horrible. On avait passé des semaines à faire de l’étalonnage, etc. Et là, sur cette télé HD, le morceau sonnait horriblement et l’image était atroce. Idem, j’ai aussi fait écouter notre album avant qu’il ne sorte à un de nos potes. Il me dit « Vas-y, on l’écoute dans ma cuisine ». Il le lance sur une enceinte dont je ne citerai pas la marque, et c’était atroce. Je lui ai demandé d’arrêter. Autant l’écouter directement sur un téléphone. C’est vrai que parfois, on est confronté à cette réflexion. On se demande souvent comment la plupart des gens vont entendre notre musique En tout cas lui l’écoutait comme ça, dans sa cuisine, et ça lui plaisait comme ça.

Gaspard : La première fois que tu es confronté à une écoute hors du studio et dans la vraie vie, ça fait un peu mal. Mais heureusement, tu t’en détaches assez vite.

Xavier : En même temps, c’est vraiment une question d’habitude. Nous, on écoutait « Hyperdrama » dans plein de conditions différentes. On l’a testé en voiture par exemple, dans une situation dans laquelle on a l’habitude d’écouter de la musique. L’écoute, c’est avant tout une question d’habitude personnelle. Par exemple, un des trucs qu’on utilise le plus en studio pour bosser, c’est un radio cassette qui objectivement sonne mal mais on a tellement l’habitude d’écouter de la musique là-dessus, qu’on entend tout ce qu’il faut qu’on entende. J’imagine que notre pote qui a son enceinte dans sa cuisine a tellement l’habitude d’écouter la musique dessus qu’il s’y retrouve. Il comprend comment sonne un morceau par comparaison avec tout ce qu’il a pu entendre à côté.

« Quelque part, on est chacun le producteur de l’autre ».

Gaspard, tu prononçais tout à l’heure le mot analytique. Quand on écoute Generator, on entend bien sûr vos influences metal, électro toutes époques mais aussi un petit soupçon de John Barry par exemple sur la fin. Cette écoute analytique, vous l’avez uniquement avec votre propre musique ou aussi avec celle des autres ?

Gaspard : En termes de son, oui. Mais en termes de musique, non. On ne sait même pas lire une partition. Pour autant, on tâche de garder un rapport hyper émotionnel avec tout ça. John Barry, ça correspond à un type d’émotion, hyper précis. Je dirais qu’on essaye vraiment de travailler sur cette émotion en mettant toutes les choses qui nous touchent dans notre musique. C’est une des choses dont je suis le plus fier sur ce disque, on a aucun morceau monomaniaque. Chaque morceau est plein de collisions et de sorties de routes qui restent cohérentes entre elles. C’est pas du collage absurde. C’est quelque chose qui nous tenait vraiment à coeur pour ce disque. On a toujours mélangé plein de choses, mais sur les albums précédents, on fonctionnait de façon un peu plus linéaire et obsessionnel. Là, on est plus bigarré, plus foisonnant.

Xavier : Paradoxalement, la plupart des morceaux de cet album sont construits sur une boucle. Generator, par exemple, c’est une boucle du début à la fin qu’on fait progresser et qu’on emmène dans plein d’endroits différents. Il est en même temps moins monomaniaque et plus resserré. Il y a vraiment cette idée dans l’album : chaque morceau a été écrit puis réduit pour fonctionner sur une ou deux boucles à la fin.

Justice a 20 ans. Comment composez-vous ? Chacun de son côté ?

Xavier : On fait vraiment tout ensemble. Il y a quelques minutes encore, on bossait dans ce tour bus. On a besoin d’être ensemble. Quelque part, on est chacun le producteur de l’autre. On a une idée de départ. Puis l’un des deux joue un truc et commence. Quand l’autre sent que c’est le moment d’intervenir, il intervient, il prend la place ou alors il dit à l’autre quoi faire. Et ainsi de suite.

« J’ai pas envie de lire quelqu’un qui me défonce dans la presse musicale alors que le papier peut être très drôle et bien écrit » 

Nous sommes quelques semaines après la sortie de l’album. Depuis sa sortie, suivez-vous le nombre d’écoutes, les ventes physiques ? Lisez-vous les critiques ? Pour faire simple, avez-vous un business plan, messieurs ?

Gaspard : Déjà, je peux dire qu’on est un peu la tête dans le guidon avec les concerts. Pour schématiser, nous sommes dans un processus de service après-vente (Sourire). Mais on a dû, après avoir rendu l’album, rapidement enchaîner avec notamment la préparation du live, soit un stress qu’on avait un peu oublié pendant les 3 ans et demi de la préparation du disque. Préparer un live, c’est un travail qui est presque plus scientifique. Un travail qui repose moins sur l’inspiration que de faire entrer des ronds dans des carrés, faire cohabiter les vieux morceaux avec les nouveaux, etc. Un live, c’est un puzzle qui paraît insolvable au départ et qui finit par prendre forme. Ca nous a pris tellement de temps qu’on n’a pas tellement eu le temps de s’apitoyer sur ce qui se passe, aha !

Xavier : De mon côté, je ne regarde pas ce qui se passe sur internet, je ne lis pas les reviews. Je ne regarde pas non plus les commentaires. Six mois avant la sortie de l’album, j’ai retiré de mon téléphone toutes les applications qui permettaient de faire ce genre de choses. Le résultat, c’est que ma vie n’est pas moins bien avant. Je pense même qu’elle est mieux. Je n’avais pas tant supprimé ces applications par protection que pour arrêter de perdre du temps. Je me suis rendu compte que j’en perdais trop à absorber des choses qui ne m’intéressaient pas, et ensuite que j’étais un peu énervé d’avoir perdu du temps à regarder des choses qui ne m’intéressaient pas. Donc c’est très bien ainsi. On a quand même une idée de ce qui se passe car on a des reports de la maison de disques. On sait donc où on en est, et on a une idée de la façon dont l’album est reçu. Mais être ton propre tracker de nombres d’écoutes ou de reviews, c’est compliqué.

Et la presse ?

Xavier : Avec la presse, c’est pareil. En tant qu’amateur de presse musicale ou ciné et friand de critique en général, on aime la presse qui a un avis, même s’il est parfois de mauvaise foi. En tout cas une presse qui va donner un avis tranché. On peut être d’accord ou pas avec l’avis bien sûr, mais c’est vrai que j’aime bien lire ça sur les autres artistes, films, etc. Ceci dit, j’ai pas envie de lire ça sur moi. J’ai pas envie de lire quelqu’un qui me défonce alors que le papier peut être très drôle et bien écrit. En plus, tout le monde a le droit d’avoir un avis sur tout. Tout le monde a le droit de trouver que notre album est immonde, mais simplement je ne veux pas être au courant. Même si ce que j’adore lire sur les autres [artistes], ce sont des avis tranchés, même de mauvaise foi. Pour « Hyperdrama », je me suis dit « Je ne lis rien et on verra ce qui se passe ». De toute façon, tout ça n’a que peu d’impact sur l’existence d’un disque. Il n’y a donc aucun business plan. On fait ce disque-là et on a toujours ces questions sincères « Est-ce que ça va intéresser quelqu’un ? Qui va nous écouter alors qu’on n’a pas sorti de nouvel album depuis 8 ans ? ».

Gaspard : Le vrai feedback, celui qu’on voit, c’est qu’en live, les gens réagissent presque plus sur nos nouveaux morceaux que sur les anciens. Et ça, c’est la grosse récompense.

Aujourd’hui vous êtes des stars internationales, ce qui implique de parler souvent anglais en interview. Comment conciliez-vous ce succès mondial avec votre accent anglais assez particulier ? Vous l’assumez ou vous en jouez parfois.

Xavier : Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Il y a un message ?

Gaspard : (Sourire) En toute modestie, je pense qu’on parle assez bien anglais mais on a des accents de chiens. En tout cas, on ne fait pas d’effort là-dessus. Tous les Français ou les Européens qui ont un trop bon accent anglais, ça a tendance à nous énerver. De notre côté, on n’essaye pas de forcer le trait, on parle juste en anglais avec des gros accents français. Mais je pense qu’on ne parle pas si mal que ça…

Xavier : Au cours d’une seule année, on parle plus anglais que français en nombre de mots prononcés.

Gaspard : Pourtant, tu luttes assez régulièrement contre l’anglicisme.

Xavier : Oui. Parce que je réfléchis plus en anglais qu’en français. Mais même quand je réfléchis dans ma tête, l’accent reste aussi horrible que quand je parle. On ne fait pas exprès, mais on ne fait pas d’efforts non plus sur notre accent.

Sur ce nouvel LP « Hyperdrama », on trouve pas mal de featurings : Tame Impala, The Flints, RIMON, Connan Mockasin, Miguel, Thundercat. Pourquoi ces choix ? Vous les connaissiez tous avant ?

Xavier : Parfois on les connaît, parfois on les sollicite alors qu’on ne les connaît pas. The Flints et RIMON par exemple, on ne les connaissait pas avant de commencer le disque. On les a découverts en le faisant. On avait une idée du type de voix qu’on voulait et c’est par hasard qu’on est tombé sur eux. Mais Kevin Parker, Thundercat, Conan Mockasin et Miguel sont des gens qu’on croisait de temps en temps et dont on aime la musique depuis longtemps. Parmi ces feats, Tame Impala est sûrement le groupe qu’on écoute depuis le plus longtemps, avant même le premier album. On aimait bien mais c’est vraiment à partir du deuxième album qu’on s’est dit que c’était un « match » – enfin une collaboration – naturel. C’est un peu con, car quand Kevin faisait le deuxième album de Tame Impala, il était à Paris en même temps que nous quand on bossait sur le notre. Je pense que si on avait su, on aurait activé ce truc-là plus tôt. Après, il s’est passé des années où on se disait « Tiens, ça serait cool de faire un morceau avec lui » mais on n’avait pas forcément le bon truc. On ne provoque pas vraiment les choses. Et c’est quand on a commencé à écrire Neverender qu’on s’est dit « Bon ok, celui-là serait cool pour Kevin. C’est peut-être le moment de faire un morceau avec lui ». Et ensuite c’est en bossant sur le morceau qu’on a eu l’idée avec lui de faire One night/All night. Pareil pour Thundercat. Depuis la première fois qu’on l’a entendu on se disait que ça serait bien. Et c’est assez tard qu’on a décidé de lui demander, quand on a commencé à bosser sur The End.

Avez-vous un artiste avec qui vous aimeriez particulièrement bosser ? Un feat rêvé ?

Gaspard : il y en a quelques-unes mais on n’a pas vraiment de rêve. Les gens qui sont sur le disque sont des gens qu’on adore. On les connaît depuis plus ou moins longtemps bien sûr, mais on les aime tous. On n’a pas non plus de rêve de chanteur mort ou vivant avec qui on aimerait absolument bosser.

Xavier : Ce qui est beau, c’est que la magie peut venir de gens que t’as rencontré deux heures auparavant, ce qui est le cas de RIMON, dont on n’avait pas du tout entendu parler avant que Pedro Winter ne nous parle d’elle et qu’on se dise « Ok, elle est à Paris. Essayons de faire ce morceau avec elle ». La magie peut aussi venir de Kevin, quelqu’un qu’on espérait avoir depuis des années. Et quand on le fait, il se passe exactement ce qu’on espérait. C’est assez génial et…

Gaspard : Ah si, il y a peut-être Michael McDonald !

Xavier : On s’était en effet posé la question pour Stop sur « Woman » de Michael McDonald, et finalement on s’était dit qu’il ne fallait peut-être pas trop aller chercher les héros du passé. Mais il l’a fait avec Thundercat et ça marche hyper bien. Pour nous le rêve vient plus souvent du résultat. Sur « Hyperdrama », on a aussi essayé de bosser avec des gens qui étaient hyper talentueux mais ça ne marchait pas. C’est pas de leur faute, parfois, c’est simplement pas le bon morceau…On réessaiera avec eux plus tard. Avec Miguel par exemple, on a essayé 5 ou 6 fois de faire de la musique avec lui avant de réussir à faire ce morceau-là, où d’un seul coup tout a cliqué et où on a pu aller plus vite.

« La musique, c’est pas parce que ça passe pas à la radio ou que ça ne fait pas 10 millions de streams la première semaine que ça sert à rien »

Impossible de réaliser une interview de Justice sans prononcer les mots de Pedro Winter et de son label Edbanger à qui vous êtes fidèles depuis vos débuts. Vous avez dû avoir régulièrement des propositions en or massif des majors. Pourquoi n’avoir jamais signé chez Sony, Warner ou Universal ?

Xavier : Chez Edbanger et Because – nous sommes chez eux depuis nos débuts – on a ce truc dont chaque groupe rêve, c’est-à-dire une liberté totale sur ce qu’on fait, en tout. En temps, en choix artistique, en choix des singles, vraiment en tout. Ils nous soutiennent quel que soit le projet, y compris dans des projets dont tout le monde sait dès le départ que ça n’est pas viable commercialement, comme le film Iris ou quand on fait des albums live. Faire des albums live, ça ne sert à rien. En tout cas, c’est pas rentable. Au moment où Emmanuel De Buretel, Pedro Winter et nous, on se tape dans les mains et qu’on se dit « Allez, on va faire ce film Iris », on sait déjà tous qu’on ne gagnera pas d’argent et qu’on risque possiblement d’en perdre. Mais ils y vont, sans trop se poser de questions d’ordre commercial. La question c’est d’abord : « Va-t-on réussir à produire un objet intéressant ? ». Pour que tes lecteurs comprennent bien, j’explique un peu. On est chez Edbanger et Because, et pour le monde on a des licences de distribution chez des majors. En ce moment, c’est Universal je crois. Donc à la fin, tout est Universal de toute façon et…

(Quelqu’un frappe à la porte du Tour Bus)

Ah, ça doit être pour moi, j’ai dû dépasser le temps de l’interview.

Gaspard : Non, non, vas-y.

Xavier : On a déjà goûté au fait d’être sur une major. Techniquement, on était avant chez Warner pour l’Allemagne par exemple. Donc on voit ce que c’est, le système de fonctionnement d’une major. Et c’est pas du tout pareil. Les attentes ne sont pas les mêmes. Ils bossent deux semaines sur l’album et si ça ne prend pas tout de suite en radio, on passe au groupe d’après qui devient la nouvelle priorité.
Ce qui est drôle, c’est que dans les pays où nous sommes vraiment « indés », on fait des meilleurs résultats que dans les pays où on est pris en charge par la major. Ca traduit quand même une réalité de la façon de bosser… La musique, ça ne sert pas à créer de l’argent immédiatement. C’est pas non plus parce que ça passe pas à la radio ou que ça ne fait pas 10 millions de streams la première semaine que ça sert à rien. Il y a beaucoup de choses qui se font sur le long terme. Faire un film qui ne rapporte pas d’argent, ce n’est pas inutile. Un film, c’est un objet qui fait que sur le long terme, les gens s’intéressent à ce que tu fais. Des générations de gens qui n’ont pas écouté notre premier album découvre le groupe avec le film. Un film ouvre des portes et crée quelque chose d’important. Pedro et Emmanuel sont des gens qui croient à la musique. C’est encore une maison de disques qui est un peu hors de l’industrie du disque en général. Evidemment, à la fin, il faut que tout le monde s’y retrouve pour que ça continue à exister et pour que nous, on ait le droit de continuer à faire nos albums, mais ils te laissent ta chance. On a vraiment aucune raison de quitter Edbanger et Because. A quoi ça nous servirait d’avoir plus d’argent d’un seul coup si ensuite personne ne bosse sur ton disque ou n’ait pas cette même volonté ? Ce sont aussi des gens avec un vrai goût pour le disque.

« Faire les « DJs autoroute », c’est un talent qu’on n’a pas ».

Dernière question avant de me faire expulser du bus. Vous faites aussi des DJ sets. Hier, David Guetta était présent dans ce festival Beauregard. Ce soir, après vous, il y aura Etienne De Crecy, Boombass et DJ Falcon. Quels rapports avez-vous avec ces Dj’s ? Et vous considérez-vous comme de bons DJs ?

Xavier : Hubert (aka Boombass), Falcon, ce sont des potes, des gens qu’on connaît depuis très longtemps. Aujourd’hui, on fait très peu les DJs. Probablement parce qu’on a accepté le fait qu’on était complètement déconnectés de ce qu’est la musique de club aujourd’hui ou la musique dance en général. Quand on joue, on veut quand même que ça soit un peu une fête. On n’y va pas pour torturer les gens, on veut que ce soit fun, mais on n’est pas à la recherche de la dernière nouveauté ou du dernier courant de micro-techno qui peut retourner un dancefloor. On a notre bac à disques, qu’on se traîne depuis trente ans, avec un certain type de morceaux et une certaine façon de voir les choses, une façon qu’on aime bien. On fait ça comme ça.

Quand vous « diggez », vous « diggez » plus le présent ou le passé ?

Gaspard : Ca dépend. Il y a toujours des trucs qui arrivent à nous séduire dans l’époque. On n’est pas non plus obtus. Mais quand on fait les DJ, on est plus entre DJs de mariage et Gabber. On diffuse parfois des trucs ultraviolents qui peuvent heurter les gens. On espère que ça les interpelle. Ce qu’on essaye, c’est de ne pas devenir des « DJs autoroute ». On change tout le temps de tempo, de genres etc…

XAVIER : Faire les « DJs autoroute », c’est surtout un talent qu’on n’a pas. Je pense à Erol Alkan qui arrive très bien à faire ce truc-là. Je ne l’ai jamais vu faire un set où ça ne marchait pas, alors que nous avons déjà fait des sets qui ne fonctionnaient pas du tout sur le public. C’est même pas par opposition qu’on fonctionne comme ça. Il y a des gens qui le font très bien, mais c’est pas notre culture. Et quand on « digge », on ne « digge » pas pour chercher de la musique dansante. On cherche des choses contemporaines et du passé. Finalement, on écoute très peu de musique dance en général, même presque pas. Et quand Gaspard parlait de DJ de mariage, c’est sans condescendance aucune pour les DJ de mariage.

Gaspard : Bien sûr !

Xavier : J’adore ce mode de toute façon, un mélange de tubes et de trucs plus obscurs. Ca nous vient d’Erol Alkan et de ses soirées Trash. Et des 2 Many DJ’s, qui arrivent à faire le grand écart entre des morceaux très durs qu’ils cassent d’un seul coup avec un morceau que tout le monde connaît, et qui se servent ensuite de ça – que les Anglais appellent des curveballs – pour revenir à quelque chose de dur.

Messieurs, grand merci à vous pour cet interview longue distance.

Justice : Merci à toi !

 

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