Sorti au début de l’an 2000, le premier – et unique – disque de Michel Houellebecq suscite deux décennies plus tard peu d’émotions chez les historiens. Pas un seul pour citer « Présence Humaine » dans ses disques de décennies ou de chevet, la poussière ayant recouvert de son drap ce qui reste pourtant le plus beau disque de l’histoire française contemporaine. Bertrand Burgalat, en bonne vigie de ce disque mouvementé, replonge au coeur de Tricatel pour nous raconter la genèse de ce sublime pic de pollution où vont se croiser assez de drôles d’oiseaux pour un film qui, hélas, ne sera jamais tourné.

Battage médiatique, chasse au prix Goncourt, questions journalistiques appauvries à l’extrême (« mais dites nous Michel, peu de sexe dans ce dernier roman, pas de provocation contre l’Islam… s’agit-il d’un romain apaisé? »): à trop s’attarder sur la carte et le territoire de Michel Houellebecq, on oublie trop souvent qu’aux frontières de son œuvre un disque balise la distance entre sentier et précipices; « Présence Humaine », sorti en 2000 chez Tricatel, marquerait de nombreux auditeurs jusqu’à l’os. Quinze ans après sa sortie, un dossier en trois volets, « Présence Humaine, quinze ans après » revient en trois actes sur les particules d’un disque, pas si élémentaire.  Témoignage en deux actes de Bertrand Burgalat, instigateur du disque tourmenté et patron du label Tricatel, et fiction à la manière de plateforme, ou comment écouter le disque loin de tout. Et surtout loin des siens.

Présence Humaine. Avec un tel titre, difficile, de rester immobile. Avec ce disque comme avec tous les grands sujets, le plumitif s’imagine d’abord pourfendeur des causes perdues. Chaque mot s’efface trois fois, se rature et renait modestement. Pendant ce temps, Paris-Dourdan et son orgue de préliminaire tape sur la tempe comme un tambour de guerre urbaine, j’imagine encore l’espoir des cols blancs en direction de la Défense, tous portés par la soul psychédélique et les 35H, le rock et le cynisme dans un même élan. La poésie béton. Résumer Présence Humaine, c’est déjà l’aveu d’un échec. Quinze ans après sa sortie, passons donc sur les préliminaires.

En attendant l’arrivée de Burgalat, maître d’oeuvre du disque, dans le café du 17ième arrondissement, Syd Charlus et moi-même passons en revue les souvenirs. Ceux qui marquèrent l’écoute d’un disque aux allures de trou noir. Ceux qui inspirèrent ces chansons moites (Les pics de pollution), l’ambiance de Club Med’ échangiste (Playa Blanca) et la tonalité gai désespoir qui ponctue le début de soirée à compter les carreaux de L’Embuscade, rade qui ballote entre la province et le paris des PMU. Retour au réel. Arrivée de Bertrand Burgalat, patron de Tricatel, producteur, musicien et génie longtemps incompris. Il vient de s’asseoir, l’air en forme. Ou l’inverse. Parce que tout cela semble le faire marrer, la révision posthume et l’étiquette culte apposée sur le disque issu des abysses. Après avoir bossé sur près de 200 disques en vingt ans de carrière, la collaboration avec Michel Houellebecq reste pourtant – de loin – une expérience inhumaine.

Voilà donc la première partie du long témoignage accordé par Burgalat, retranscrit in extenso pour célébrer l’accouchement du brûlot glacial et sexuel. Un main character (Houellebecq), un homme de l’ombre (Burgalat), des seconds rôles (AS Dragon, Yves Adrien) et un scénario riche en rebondissements, telle est l’histoire de Présence Humaine, envol vers un paradis baisé. Ou longue descente aux enfers.

1995-1999 : Particules élémentaires

« L’idée d’une collaboration avec Michel Houellebecq a commencé dès 1995. Libération avait publié sur une pleine page un extrait d’Extension du domaine de la lutte, un texte assez méchant sur les femmes psychanalysées. Cela m’avait attiré, le ton était acide, assez inclassable, sans être néo-hussard de droite, et le livre était pareil, étiqueté « Roman » sans les histoires habituelles le mari-la femme-l’amant, ça sortait vraiment des poncifs de St Germain des Près. Quelques temps plus tard, Jean-Yves Jouannais, rédacteur en chef d’Art Press, me propose de faire des morceaux avec Houellebecq pour une soirée des Perpendiculaires à l’Erotika. Je disposais de pas mal de compositions dont je cherchais à faire un album[1], des choses jouant sur des ambiances solaires et tristes que je mettrai ensuite de côté lorsque mes amis de Air cartonneront dans une direction similaire. Michel est venu me voir, m’a montré ses poèmes, je les ai trouvés magnifiques, j’avais l’impression que tout ce que j’essayais de dire en musique et que je parvenais encore moins à exprimer en paroles, c’était là. A la soirée de l’Erotika on s’est finalement dégonflés, on n’était pas prêts. Mais on a continué de se voir, et de préparer un album. En 97 on a sorti un premier titre, Séjour-Club[2], sur une compilation Tricatel au Japon. Mais tout s’étirait en longueur. Michel était totalement incapable d’écouter plus d’un morceau à la fois, c’était une chanson par semaine, et puis une autre et ainsi de suite. Il écrivait son prochain livre, Les particules élémentaires. Puis il en a commencé la promo. Au début il pensait en avoir pour quinze jours, trois mois après il disait « j’ai bientôt fini la presse régionale ». Ce succès naissant il le prenait très bien, c’était chouette. Il faisait beaucoup d’efforts pour pallier à ses lacunes de non-musicien. Puisqu’il ne pouvait pas compter en mesures il se calait sur la trotteuse de l’horloge chez Tricatel pour commencer à chanter. J’aurais pu enregistrer sa voix à blanc et la caler ensuite sur la musique mais je suis sûr que ça n’aurait pas donné la même chose, la cohésion entre texte et musique vient aussi de là. En même temps il me semblait important de garder une forme parlée, de ne surtout pas essayer de faire de chanson au sens traditionnel.

Au milieu de l’année 1999 je suis allé voir Eiffel jouer dans un club, sur les recommandations de Peter Von Poehl, qui travaillait avec moi. A l’époque, le groupe était plus proche de Bowie que de Noir Désir, cela me plaisait. Je les ai approchés pour accompagner Michel en concert. Les mecs ont été super, en dépit de conditions techniques et financières difficiles. Cet été-là Armand Thomassian[3] nous a programmés au festival Aquaplanning qu’il organisait à Hyères. On a joué sur la plage. J’étais en train de perdre complètement la vue à cause du diabète mais je conserve une vision très nette du concert d’Aphex Twin à la Villa Noailles : une foule recueillie devant une table, sous laquelle il passait des Cds. J’avais refusé de faire ma communion quand j’étais gosse, je n’allais pas me prosterner devant ces conneries grotesques. Je me suis dit qu’on s’en souviendrait dans vingt ans, c’était une arnaque quasi générationnelle. Au milieu de cette scène électro ridicule, avec Michel et Eiffel, avec mon orgue, mon Wurlitzer et nos guitares on avait l’air de balochards, comme si un accordéoniste avait débarqué à Woodstock. Les mecs de la techno nous prenaient de haut, c’était les années 90 ».

« Houellebecq, c’est un tueur, comme Vince Taylor » (Yves Adrien)

« En août 1999, après quelques dates supplémentaires, on rentre finalement avec Michel, Peter, Romain, Damien et Nicolas au studio Garage pour enregistrer l’album. Tout se passe très vite, mais à cause du succès des Particules, Michel a de moins en moins de garde-fous, son entourage d’alors l’ayant sûrement encouragé dans cette direction. Certaines choses sous-jacentes chez lui commencent à éclater au grand jour. Etrangement, on s’était rendu compte de cela en tournée, en le regardant manger ses yaourts. Son regard était alors d’une cruauté insensée, quelque chose entre Mister Bean et le chef des nazis dans les Blues Brothers mais en moins drôle… C’est toute l’ambiguïté de Michel, je pense que ce qu’il dénonce c’est en réalité ce qu’il aime, la dureté des rapports sociaux, les rapports de force il est capable de les infliger aux autres sans états d’âme. Au début ça nous a plu parce que j’ai tendance à penser que quelqu’un qui a l’air d’un salaud a moins de chances de l’être que quelqu’un qui joue les petits saints vertueux, mais dans certains cas les deux coïncident. C’est un mec capable de… trucs atroces. Je lui disais : « Tu es comme un enfant violé qui devient violeur ». Un homme d’une inhumanité incroyable, qu’à mon sens il exprime dans ses romans (qui cartonnent), et avec aussi des côtés plus doux et touchants qu’il exprime dans ses poèmes (qui ne marchent pas). Avec le recul, Houellebecq me fait penser au personnage de méchant incarné par Woody Allen dans Casino Royale, le Docteur Noé qui veut exterminer tous les mecs qui font plus d’un mètre soixante: « Un monde d’égalité, de fraternité, un monde où tous les hommes s’aimeraient… », dans le film, Raquel Welch s’étonne de tant de grandeur d’âme, Allen lui répond froidement: « Non, ça c’est ce que je combats ». C’est cela Houellebecq.

Celui qui a été grandiose pour décrire Michel, c’est Yves Adrien, toujours médium, qui pourtant ne l’avait jamais vu ni lu. Un jour, Yves débarque chez Tricatel et tombe sur Michel, avachi dans un divan et déjà aviné: « Ce type c’est un tueur, c’est Vince Taylor, je le vois bien dans les années 60 à se prendre des beignes sur les stands de tir des fêtes foraines ». A compter de ce jour, Yves l’a toujours surnommé ainsi, « Vince », avec ses espèces de Méphisto et sa parka ».

Les Inrocks, un pied de biche et Michel Drucker

Quand la sortie de Présence Humaine s’est précisée, Michel est donc rapidement devenu ingérable, il m’appelait de temps en temps avec des envies improbables: « Tiens j’aimerais bien faire un duo avec Kraftwerk », ce genre. J’étais docile en ce temps là, je m’exécutais, j’appelais pour tenter l’impossible… J’ai souvent remarqué cela, lorsqu’un disque est sur le point de sortir, les gens sont souvent pris de panique, leur inconscient peut les amener à chercher le conflit sur des détails. Ils préfèrent parfois que le disque foire plutôt que d’assumer de potentielles critiques ou un échec commercial, pour conserver l’idée d’un chef d’œuvre perdu. Je pense qu’il y avait de ça chez Michel. Deux mois avant la sortie de l’album il se barre en Thaïlande en nous laissant sur les bras une pochette immonde, « bac à fouille 1983 » prophétise Adrien. On tente alors une autre pochette, avec l’approbation de sa femme et on lance la fabrication. Michel revient en France et lâche mollement: « Cette pochette n’est pas assez décevante ». A partir là, il n’arrêtera pas de me persécuter pour la pochette, bien qu’on ait retiré l’album avec la couverture qu’il voulait.

Miracle, pour la première fois dans l’histoire du label on va avoir une couverture,  celle des Inrocks, Marc Weitzman et Sylvain Bourmeau ayant soutenu Michel depuis le début. Le journal loue un studio de photo pour le shooting, mais Michel, rentré de Thaïlande et légèrement dépressif, reste introuvable. Pas chiens, les Inrocks décalent la couverture d’une semaine, et là encore, pas de Michel. On s’inquiète, il ne répond pas, on prévient les pompiers qui le trouvent chez lui, pas si mal que ça. Il continue de ne pas répondre quand on sonne chez lui. Je débarque chez lui en fin de matinée, avec un pied de biche, je commence à défoncer sa porte. Là, c’est splendide: Michel m’ouvre finalement, en pyjama et verre de blanc à la main, pour me lâcher de son air de Droopy « j’aime pas ma pochette ». J’en peux plus. J’avais tout mis dans ce putain de disque, j’étais endetté, on avait beaucoup travaillé. J’essaye de le raisonner pour qu’il aille à la séance photo, Michel lâche un « faut m’obéir »; c’est un peu le mot-gâchette d’Edouard Stern, je lui colle immédiatement une tarte mais je m’arrête tout de suite, j’ai l’impression de frapper dans un sac de linge sale. La couverture des Inrocks? Ils l’ont quand même faite, même si c’était pour parler de rock et de littérature, et assez peu du disque. Je pense qu’il a dû comprendre que c’est à lui qu’ils tenaient et pas vraiment à ce que je faisais, ça a dû ôter ses derniers scrupules à mon égard. Puis est venue la télé, où Françoise Hardy nous invite pour jouer un extrait du disque sur le plateau de Vivement Dimanche, de Michel Drucker. Elle avait adoré Présence Humaine, je lui demande quel morceau de l’album elle veut qu’on joue, elle me dit « j’aime tout, sauf Derniers temps ». Là bas, tout se passe bien, les techniciens sont super, Drucker aussi, on commence à jouer, presque trois bonnes minutes d’intro à attendre que Michel commence à chanter. Je m’approche de lui, croyant que c’est parce qu’il a un problème de son, je te le donne en mille, il veut jouer Derniers temps… Après le coup aux Inrocks, c’est la deuxième fois que j’avais envie de pleurer ».

Social Smokers, un mégaphone et des cochons thaïlandais: Sur la (dé)route

« Au printemps de Bourges, on se rend compte que notre musique est en total décalage avec l’époque et le rock à la Blankass. La Nouvelle République du Centre-Ouest titre « Houellebecq, le naufrage », Michel lit la chronique dans la salle des petits déjeuners de l’hôtel au milieu des autres groupes et des techniciens, puis la repose, imperturbable. Yves Adrien suggère (ordonne, plutôt!) que le groupe joue à Paris aux Folies Pigalle, la même salle que Vince Taylor en 1961. On se démerde, les gens de la salle ne sont pas commodes, on douille un max, la salle n’est plus équipée pour les concerts, la scène minuscule. Entre temps, Eiffel s’est fait signer et ils préparent leur album, il faut changer le groupe. Reste Peter (Von Poehl) aux guitares et moi aux claviers. Fred Jimenez, qui nous avait envoyé des démos de ses morceaux, nous rejoint à la basse, suivi par le batteur des Married Monk (Jean-Michel Pires), on récupère Stéphane Salvi à la guitare lead grâce au split de Montecarl.

Pour les dates en province je suis en studio chez Tricatel avec Mick Harvey pour arranger l’album d’Anita Lane ; c’est Michael Garçon, clavier de Kojak, qui me remplace. Et Stéphane me branche sur son pote de Montecarl Hervé Bouétard pour remplacer au pied levé à la batterie Jean-Michel Pires, qui doit partir avec Married Monk. Hervé n’a pas eu le temps de répéter avec le groupe, et de date en date Peter me tient informé au téléphone. A Lyon, il me dit que c’est catastrophique, Hervé à mélangé les morceaux, jouant la partie de l’un sur le tempo de l’autre. A Limoges ça a l’air mieux, les choses se mettent en place, à Bordeaux il me dit que finalement c’est pas mal. Je débarque à la quatrième date, à Rennes, là je constate qu’une alchimie incroyable, humaine et musicale, s’est crée, que c’est devenu le groupe dont j’avais toujours rêvé pour le label. On cherche un nom; Michel pense à Social Smokers parce qu’il vient de se faire virer d’un vol d’El Al pour avoir fumé, mais les initiales ne sont pas terribles. On continue de gamberger, je cherche un truc un peu baloche style Les Lords pour enfoncer le clou devant les branchagas techno, et c’est comme ça qu’on arrive sur Les Dragons puis A.S Dragon, moins yéyé. Michel aimait vraiment les musiciens, il prenait son rôle de rock star très au sérieux, il était beaucoup plus imprévisible et électrique que bien des rockers en peau de lapin. Le grand jeu c’était l’appel des groupies au mégaphone, trouvé sur un concert. « Ce soir, à l’hôtel Ibis, grande partouzade avec Michel Houellebecq et A.S Dragon, on fait sauter les tabous », tout cela avec l’accent du sud-ouest… Michel adorait cette ambiance, ses chouchous étaient Michael Garçon et Cheraf, l’éclairagiste. A la fin de la tournée Michel et son épouse Marie-Pierre invitent à dîner chez eux Michael et sa femme. Evidemment il n’y a rien à bouffer à part une plaquette de Roquefort Société. Michel lance une vidéo de la tournée. En fait un casting de groupies pour le film érotique que Michel s’apprête à tourner pour Canal +. Au milieu des scènes de cul faites maison apparaîssent des images de courses de cochons en Thaïlande, filmées aussi par Michel quelques mois auparavant. Gênée, Marie-Pierre coupe et dit: « Ah non, ça n’a rien à voir ça ». Michel avait définitivement perdu tout repère à ce moment là ».

L’Allemagne et « petit pain autoroute »

« Courant 2000, la tournée en France se passe bien. Michel se chauffe, en vérité, pour la tournée allemande, son succès là bas, en tant qu’auteur, y est important. Et puis sur place tout se dégrade, les nouvelles sont de plus en plus mauvaises, il s’est lassé ça ne l’amuse plus, l’ambiance devient délétère. Sur l’avant-dernier concert à Berlin, le plus important de la tournée, le groupe part de Munich le matin même, le couple Houellebecq doit les rejoindre en voiture. A 16H, le groupe installe le matériel sur scène. Ils reçoivent un message de Marie-Pierre: « On aura quatre heures de retard, Michel a commencé à boire ». On ne sait pas quoi faire, on pense même à louer un hélicoptère pour aller les chercher. Le soir même, le public attend furax jusqu’à minuit et demi, Michel n’est pas venu et le groupe joue finalement sans lui, en le maudissant. Ce sera le véritable acte de naissance d’AS Dragon, excédés par l’attitude de Michel. Une semaine après, on lit dans Spiegel une interview qu’il leur a accordé le jour du concert, l’article se conclue par « Il est 14H à Munich, Michel et sa femme vont maintenant faire la tournée des clubs échangistes ». A cause de cet article on n’a pas pu invoquer la force majeure auprès des organisateurs et on a perdu 10.000 euros sur cette tournée qui se serait équilibrée sans le coup de Berlin. Le succès n’a pas atténué la radinerie de Michel, ça l’a même plutôt exacerbée, il tape du fric aux musiciens, ça l’énerve qu’on leur donne de l’argent de poche en plus de leur cachet et pas à lui, alors qu’il a tous les points d’artiste sur le disque. En Allemagne, pour l’anecdote, le dernier souvenir écrit que je conserve de Michel, c’est un « Petit pain autoroute 8 francs 20 » annoté au dos d’une facturette. Il gardait toutes les notes de frais, qu’il doublait d’ailleurs, pour se faire aussi rembourser par son éditeur allemand.

 

2001 : Epilogue, odyssée de l’espèce

La dernière date de la tournée, ce fut Paris, pour le festival des Inrockuptibles, en première partie du groupe St Germain, techno-lounge à catogan alors à son apogée. Michel, logiquement, ne veut pas que je vienne après son plantage de Berlin. On convient avec les Dragons d’attendre la fin du concert pour remettre les pendules à l’heure. Chez les néo-beaufs dans la salle, l’incompréhension est totale, Michel est magnifique et la justice immanente se chargera des ricaneurs en faisant tomber sur eux une pub de sponsor. Je me pointe dans la loge, même si je me suis juré de rester calme ça vire vite au procès Bokassa. On déballe sec sur toute la rancœur, la façon dont il a planté les musiciens. Michel et sa femme sont à la dérive, un peu pathétiques, il y a vraiment un côté couple Ceaucescu dans leurs derniers moments. J’aimais beaucoup sa femme Marie-Pierre, c’était triste de finir comme ça. Ce soir là, je vois dans son regard quelque chose comme « Toi, je t’aurai ». Effectivement par la suite il tentera de m’attaquer, me plaçant dans la peau de ses personnages fictionnés. C’est un procédé assez dégueulasse auquel il a souvent recours. Des remerciements pour le disque? Non, jamais.

Présence Humaine, on a finalement vendu 12.000, ce qui serait un très bon score aujourd’hui, mais à l’époque c’était très moyen. En 2000, les gens du disque ne connaissaient pas Houellebecq, et ceux qui n’aimaient pas l’écrivain se vengeaient en le critiquant sur ses talents de chanteur, alors que je m’étais battu pour qu’il ne chante jamais, pour le protéger du ridicule. Bien sûr, la musique existait avant lui, à part Plein Eté qui est une improvisation collective en montagnes russes sur un thème de guitare de Romain, mais rien n’aurait été possible sans ses textes. J’étais décidé à ne faire aucune concession à la mode sans céder au passéisme, y compris pour un morceau synthétique comme Célibataires, où je voulais arriver à faire évoluer les harmonies, sans qu’on s’en rende compte, à l’intérieur d’une structure répétitive et hypnotique, alors que la techno et le trip hop ne bougeaient jamais une fois qu’ils étaient partis sur trois accords; j’avais fait une tentative similaire de canevas vicieux avec une rythmique hip hop sur (come potrei) Scordare, sur mon album The Sssound of Mmmusic.
La grande différence entre mes disques et ceux composés pour d’autres ? C’est le sentiment de liberté. Parfois, pour soi, on se limite, on se restreint, on se censure. Sur un disque comme Triggers d’April March, j’étais ravi de ne pas avoir à me poser des tonnes de mauvaises questions, du coup il est peut être un des plus personnels que j’ai fait. Moi, toute ma vie j’avais rêvé d’exprimer des choses pareilles, des choses aussi puissantes que les poèmes de Houellebecq… Avec le recul, je me rends compte qu’on n’avait aucune référence en concevant le disque. Après la sortie de Présence Humaine, je suis tombé à la radio sur La solitude de Ferré avec Zoo, énorme claque. Il avait fait magnifiquement, trente ans avant nous, ce que j’avais esquissé avec maladresse. Si les arrangements de Ferré restent incomparables, ce qu’on a fait de plus près de Ravel en chanson et en rock, les textes de Michel me paraissent plus forts que ceux de Ferré sur ce disque-là, qui ne sont peut être pas ses meilleurs. Houellebecq, ce qu’il a fait de mieux, pour moi, ce sont ses poèmes. Et ce disque ».

Remerciements à Bertrand Burgalat et Syd Charlus.
En attendant la réédition vinyle (on peut encore prier les dieux Tricatel):

CD : http://shop.tricashop.com/shop/catalog/index.php?manufacturers_id=27
iTunes : http://itunes.apple.com/fr/album/presence-humaine/id252629250


[1] The sssound of mmmusic, finalement publié en 2000
[2] Au soleil de Tricatel, publiée en 1997
[3] Responsable du festival Aquaplanning

40 commentaires

  1. on attend on espère un « 1er » TUBE un VRAI de BB depuis Saint Bertrand De Comminges…perso je préfère John Kennedy TOOLE à Houellebecq, 1 seul roman qui défonce tout le reste!

  2. pardon mais il faut arrêter tout de suite ce jeu de mot à parenthèse « paradis b(i)aisé »
    On l’a fait 50 fois maintenant c’est bon, trouvons en d’autres svp.

    1. « Pas un seul pour citer Présence Humaine dans ses disque de décennie ou de chevet ». Vingt-trois années sont passées, il faudrait recompter les chiffres ; de quoi rehausser le bilan.

  3. Ah sinon, il faut rendre aux Césars ce qui…

    – Chapus (de mémoire) dans Voxpop avait déjà rendu un bel hommage à ce disque l’année passée.

    – je trouve dommage que personne n’ai su dire ça d’Eiffel il y a dix ans : « le groupe était plus proche de Bowie que de Noir Désir ».
    Dommage aussi que sur ce disque on sente déjà la chute précoce de ces gens (alors) doués.

    – superbe papier. Il était temps que tu l’écrives, c’est un peu ton violon d’Ingres, et Bertrand et toi lui donnez les couleurs qu’il faut (alors que je n’aime pas le disque)

  4. Je ne sais pas si le clip choisi est bien le plus représentatif, mais il colle vraiment très mal avec la notion de génie manipulée plus haut…
    Banalité ou recette conviendraient beaucoup mieux je crois…

  5. C’est le seul clip disponible pour l’album, effectivement il reflète mal la musique. Mais il n’y avait que ça à disposition. Si vous avez mieux, je prends, of course.

  6. Heu… mais on ne s’en fout pas totalement des clips de toute façon !?! Particulièrement sur un tel disque ?? « Seen your video, you’re funny rock’nroll/we don’t want to know » comme disaient les Replacements.

    1. Tiens, Syd, j’avais zappé ce commentaire très juste à propos de ce que pensais déjà, en 1984, Paul Westerberg. Bon, il y a bien quelques clips qui valent le coup, mais dans l’ensemble, tu as raison. Et aucun clip ne m’a jamais fait acheter un seul disque. Par contre, pour ce qui est de se marrer, il y de quoi quelquefois.

  7. Au milieu de ce concert de louanges, je tiens à vous faire part de ma grande déception : je m’attendais à une belle chronique du dernier best-of du groupe le plus anglais d’Angleterre, les très oubliés Ten Years After. Au lieu de ça, on me parle d’un dur qui est aux prises avec un mou. Il a pas su tirer la leçon de Tex Avery, votre Bebert et Le Lymphatique : il suffit de voir la tête du loup pour savoir qu’on ne se frotte pas au terrible Droopy!

  8. ce passage est sublime :

    « je conserve une vision très nette du concert d’Aphex Twin à la Villa Noailles : une foule recueillie devant une table, sous laquelle il passait des Cds. J’avais refusé de faire ma communion quand j’étais gosse, je n’allais pas me prosterner devant ces conneries grotesques. Je me suis dit qu’on s’en souviendrait dans vingt ans, c’était une arnaque quasi générationnelle. Au milieu de cette scène électro ridicule, avec Michel et Eiffel, avec mon orgue, mon Wurlitzer et nos guitares on avait l’air de balochards, comme si un accordéoniste avait débarqué à Woodstock. Les mecs de la techno nous prenaient de haut, c’était les années 90 »

  9. @t pigalle çà sniffait dans les oreilettes pour la release party panties—–

  10. C’est là où on découvre le vrai visage de Houellebecq : celui d’un enfoiré imbu de sa personne et de son succès, et totalement irrespectueux à l’égard des autres ! Depuis cette époque, il est devenu un « sans-dent » parmi d’autre, aux allures de clochard millionnaire, un pote du couple Sarkozy-Bruni : bref, une merde intégrale…

  11. ils doivent pas se rappeler, mais on passait les disques (je suis Musickque & White Flute) sous un parasol Pastis gratisse cagnard du diable ils etaient (burgalat krew) assoiffés debraillés et kaos couchés, les disques provennaint dun achat chez un broc 1 jrs avant- plage aux environs de villa Noailles- ont jouer avec le Mistral, revu at Pigalle, bien bondé, là j’attends le Comateens de chez tricachoppe & le triple KONK de futurissimo, +, quelques autres, tant que j’ai de la Maille-

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