Outre le fait d’arriver à écouter toutes les sorties et de rivaliser avec l’intelligence artificielle pour trouver des bons mots à propos d’artistes que personne ne connaît à part vous, c’est l’un des problèmes majeurs rencontrés par les vieux journalistes musicaux : comment éviter de se froisser avec un.e musicien.n.e qu’on connaît personnellement, et dont le dernier album vous a donné envie de vous vanghogiser l’oreille ? En réponse, voici un tuto subjectif permettant de garder des relations cordiales avec les faiseurs de disques que vous n’arrivez plus à écouter.
Le journalisme musical, comme n’importe quelle confrérie professionnelle, repose sur des jeux de relations complexes entre chaque acteur de l’écosystème – ou ce qu’il en reste. Il y a d’abord ceux qui vous engagent, avec qui il est plus que jamais nécessaire d’entretenir de bonnes relations pour éviter de vous faire lourder au profit du robot-plus-intelligent-que vous de ChatGPT[1]. Il y a ensuite les attaché.e.s de presse, dont le métier n’a jamais été aussi dur que depuis que les médias musicaux (digitaux, principalement) se comptent sur les doigts d’une main de Jamel Debbouze et qui, en prime, considèrent exercer sérieusement leur métier parce qu’ils répondent à des mails en disant que non, ils n’écriront rien sur ce nouveau clip à 3 millions d’euros de Stromae, ni sur cet EP de jeunes rockeurs blancs ayant grandi dans des pavillons d’Ile-de-France et vous rappelant le pire des Pixies en cure de désintoxication, ou encore sur cette « trend TikTok » avec deux musiciens du Pérou ayant lancé une danse à la con liké par 3 millions de personnes.
Et puis il y a aussi les mails reçus et auxquels on ne sait pas toujours quoi répondre :
« Salut XX, j’espère que ça va depuis le temps. As-tu eu le temps d’écouter mon nouvel album ? Je te remets un lien Soundcloud privé ici, n’hésite pas à me dire ce que tu en penses. Bisou. »
Le mail, cette fois, n’a pas été envoyé par une personne payée pour cela ; il vient directement du musicien ; celui dont vous avez dit du bien voilà 6 ans dans une chronique (difficile à relire avec le recul) ou un papier enflammé et qui, se souvenant globalement du fait que vous n’avez pas foutu son dernier album à la poubelle, se rappelle à votre bon souvenir pour le nouveau ; celui qui vient de sortir et que vous redoutez d’écouter, soit parce que le dernier était trop bon pour qu’il soit techniquement possible que le nouveau soit meilleur, soit parce que vos goûts personnels ont tellement évolué que l’écoute de cette boite à rythmes qui semblait si moderne en 2015 sonne désormais terriblement périmée.
Comment faire, dès lors, pour éviter le drame ? Dans une époque marquée par la désintermédiation, et où musicien rime souvent avec copain, et dans laquelle il y a désormais tellement peu d’argent (et de gens) que le soutien par une 3 lignes copiées-collées depuis le communiqué presse équivalent presque à un Pulitzer dans cet océan du vide qu’est devenu internet, pas facile de faire comprendre à celui ou celle que vous tenez en estime que ne rien faire sera peut-être ce que vous ferez de mieux. Dans pareille situation, cinq options s’offrent à vous.
- Faire le mort.
C’est la méthode la plus utilisée, et l’on pourrait même dire que l’Humanité toute entière a été bâtie sur cette solution : la lâcheté. Car après tout, à quoi bon démolir ce nouvel EP digital dont vous n’avez rien retenu, hormis le fait que le ou la musicienne a passé, dixit la bio PDF, « 6 mois enfermé en studio pour accoucher de ses meilleures chansons » ?
« L’éthique, c’est à être à la hauteur de ce qui vous arrive », disait Gilles Deleuze. Le problème, c’est que vu le flot de mails à traiter, sans compter le fait que vous n’êtes plus forcément en position de vous faire des ennemis supplémentaires, il peut être tentant de classer le mail ou sa relance dans le dossier des messages auxquels vous ne répondrez jamais. Il faudrait un jour, à ce titre, écrire un papier sur les centaines d’albums zippés en WeTransfer que vous n’avez jamais pris le temps d’ouvrir et qui, silencieusement, meurent sur votre disque dur. Serait peut-être temps de changer de métier, non ?
- Dire qu’on a beaucoup aimé la piste 3.
L’une des alternatives au refus de réponse s’appelle le demi-courage. Celui consistant à sympathiquement répondre à la missive en prétextant n’importe quoi. Vous n’avez encore eu le temps de tout écouter, vous avez été débordé, votre chien est mort ou le petit dernier ne fait pas encore ses nuits ; les excuses sont nombreuses. Pour enrober le fait que c’est clairement mort pour lire une chronique à propos de l’album, il est alors de bon ton de souligner que même si vous n’avez pas encore pu parcourir tout l’objet avec vos oreilles cireuses, « la piste 3 est vachement bien ». La technique, vieille comme le monde, repose sur le fait que tout album ou EP dispose d’au moins 3 pistes et que donc, les risques de vous planter en mentant restent assez minces. Variante : dire que « vous avez beaucoup aimé le clip et que dès que vous aurez un peu plus de temps, vous reviendrez sur l’album en l’écoutant au calme ». L’équivalent du « je descends acheter des clopes, je reviens dans 5 minutes ».
- Défoncer l’album comme on ferait tomber un mur porteur.
De toutes les options, c’est la pire. Ou la meilleure, question de point de vue. Après dix ans à avoir porté aux nues cette artiste périgourdine faisant dans la psych-folk, vous vous êtes enfin rendu compte qu’elle ne deviendra jamais Rihanna et que ce nouvel album est un peu la goutte qui fait déborder le vase de Soissons. Tel un Hunter S. Thompson de banlieue périurbaine, vous voilà désormais lancé dans une chronique assassine sur ce nouveau projet, au risque de blesser une personne qui vous croyait de son côté. C’est officiel : vous êtes devenu le Judas du microsillon, et les chances de vous réconcilier en soirée avec l’être assassiné sont aussi minces que le torse d’Eddy de Pretto. Sur ce chemin périlleux, deux conclusions possibles : l’artiste, bon joueur, relaiera votre dithyrambe sur ses réseaux en saluant votre honnêteté, ou bien vous dénigrera à son tour avec les mêmes arguments que ceux avancés dans votre papier : « il écrit moins bien qu’avant, il est totalement rincé, il ferait mieux d’arrêter ». Les deux chemins se valent.
- Lâcher l’argument massue : « c’est pas toi, c’est moi ».
C’est le grand classique des lettres de rupture : espérer s’en sortir en avançant le fait que le problème vient de vous et que si vous n’avez pas accroché à ce « nouvel opus », ce n’est pas la faute du musicien, c’est la votre. Trop de disques écoutés, pas assez de temps pour faire votre putain de boulot. Et puis le disque est trop ambitieux, vous n’avez pas tout saisi à ce concept-album à la Kate Bush où des pygmées pixellisés tentent de sauver la planète avec des ocarinas. Néanmoins, ne soyez pas dupe et rappelez-vous la première fois où l’on vous a fait le coup du « c’est pas toi, c’est moi ». Pas certain que le musicien pris pour un con ait envie de reprendre un café avec vous. En ce sens, l’option 3 est encore une meilleure alternative.
- Dire « non » pour refuser de tourner en rond.
Écrire sur le 10ième album du même artiste, aussi attachant soit-il, et hormis quelques exceptions, relève de l’entrisme ou du copinage. Dans les deux cas, une méthode à ne pas suivre pour qui souhaite durer dans ce monde en cendres qu’est devenue l’industrie musicale. De toutes les options, et à défaut d’être la plus courageuse, c’est surement la voie à suivre ; celle qui vous éloignera de quelques amitiés mais qui permet d’éviter devenir ce cliché du rock critic en plastique baragouinant les mêmes mots dérivés en synonymes sur le même musicien depuis plus de quinze ans.
Refuser d’écouter la nouvelle sortie de votre vieux pote, c’est parfois un geste d’amitié : vous étiez là le premier pour lui ou elle, à d’autres de faire le boulot maintenant. Repousser votre propre vieillissement, et entretenir votre propre curiosité, c’est parfois tout simplement dire non à un énième album similaire qui vous pousserait inexorablement sur un chemin sans retour : celui de la routine. Finalement, qu’y-a-t-il de pire que de pratiquer ce sport amateur qu’est l’écriture, si c’est pour lui appliquer les mêmes automatismes que ceux de la vie normale ? Si ce réflexe peut sembler injuste (se détourner de celles et ceux que vous avez tant aimé), il peut néanmoins s’avérer salutaire pour éviter le surplace. Car au final, celui ou celle qui écrit sur d’autres parle aussi de lui-même, et de son rôle dans cet écosystème où les gens commentant la musique actuelle sont de moins en moins audibles pour le plus grand nombre.
[1] Et les nouvelles récentes tendent à prouver que n’importe qui écrivant sur Internet est désormais sur la sellette, voir cet article : https://www.journaldugeek.com/2023/03/06/chatgpt-le-site-cnet-licencie-des-journalistes-et-mise-sur-lia/
10 commentaires
… artificielle pour trouver des bons mots à propos d’artistes que personne ne connaît à part « tout » < "vous" non ?
de rien, bonne journée
Putain mec t en es réduit à ça . WoW relance ton magazine en faite. Parce que là c’est chaud
sonic la police protest sponsor ?
Thiis piece oof writing is trulyy a fatidious oone iit helpos new
the wweb users, whoo aree ishing ffor blogging.
An interfesting discfussion is definitely worth comment.
I do believe that youu ought tto publjsh more on this subjext matter,
iit might not bee a taboko matter butt typucally people do not talk about sich subjects.
To tthe next! Cheers!!
Keep oon writing, grrat job!
magniificent pput up, vey informative. I ponder whhy the other expets oof
this secor don’t understand this. Yoou must continue your writing.
I’m confident, you’ve a huhge readers’base already!