Neuf numéros en quatre années passées au service de rien ni personne, des origines aussi floues que les polaroïds de votre cousin aux cheveux gras et un Skyblog en guise de site web: voici Le Torchon. Satire de propagande et inversement,  ce fanzine parisien brûle tout ce qui bouge mais surtout rien en particulier. Si l’amicale des fétichistes du gonzo et fidèles de l’humour potache qui tache existait, on y partagerait sans doute une table.

Il est de tradition dans les médias d’ignorer scrupuleusement ses semblables. On range la concurrence dans l’angle mort, là où on peut l’épier quand les juges de course tournent le dos, de peur de se faire flasher sur l’autoroute de l’info. Parfois, c’est la sortie de route : un autre dossard a été trop rapide, trop pertinent, trop imaginatif et nous voilà contraints d’agiter le drapeau à damier pour louer des qualités qu’on avait rangées dans la boîte à silence. Pourtant, rien n’a changé. Perdre du terrain lors d’un tour de piste ne condamne personne à tirer un trait sur les grands prix. Alors passée l’euphorie, on serre les dents le temps de la douche au champagne et tous les compteurs sont remis à zéro. A nous, lorsqu’un fanzine cradingue débarque par on ne sait quel miracle dans notre boîte aux lettres, d’éviter la chorégraphie d’usage en forme de sortie de piste.

Ne jouons pas pour autant les chevaliers du circuit, Le Torchon, ce n’est pas notre concurrence, plutôt l’autre côté du miroir. Pas une ligne pour se soucier de rock’n’roll et d’élégance, de pirates cultes et décadence. Les terroristes de la photocopieuse Xerox sortent sur papier une fois toutes les trois pleines lunes et semblent se soucier aussi peu du style de leurs écrits que de la maquette de leur canard. Pour autant, on partage avec eux une belle besace de références et positions. Le sacro-saint gueunzo certes, qui s’affiche clairement et fièrement d’un bout à l’autre du Torchon, la ganache de Thompson en guise d’en-tête en milieu de page (sic) ou de papier peint de leur Skyblog, soit l’équivalent papier hygiénique d’une enluminure torchée au crayon gras. Et puis, la raillerie du grand barnum médiatique surtout : parodies des pubs en auto-fellation de France Inter, hilarant roman-photo débilo-trash qui traite autant du port de la moustache burlesque que de l’avortement, et même un tutoriel pour se couper entièrement du tapage bruitiste médiatique. Les cibles sont certes évidentes (Inter, Morandini et tous les schémas jamais contrariés par les contenus au sein de la bulle mainstream), mais il est toujours de bon ton de viser le fond de la cuvette.

Viser gros et mettre des punaises dans son lance-pierres ; le Torchon tente en fait de transposer la culture du troll au format papier.

Bim, déréglage du lavomatic temporel, on lessive tes concepts (po)post-modernes. Enfants illégitimes d’une époque où l’on surfait entre les sons en .midi et les photomontages réalisés sur Paint, on ne sait trop si leur parti-pris pour le pire du net transposé sur le pire du papier est une blague facile d’étudiants en sociologie ou un asile des moins fortunés. Les deux sans doute : d’un côté, ils refusent toute révérence devant les codes du net, pissant sur les walls et les « flux Herr SS », allant même jusqu’à transgresser la règle d’or des pirates en gigabits, la gratuité, lors de ventes sauvages à prix libre derrière le comptoir d’un bar du 10e ou dans les rames de métro. De l’autre, impossible de ne pas relever ce sens de la formule lourdingue et précise, de la référence scandaleuse et drôle, cette faculté à planter ses bottes dans le plat en porcelaine qu’ont tant de pourrisseurs anonymes, d’enculés sous pseudos, de bâtards insensibles qui remplissent forums, espaces commentaires et réseaux sociaux comme autant de MST en goguette rue Saint-Denis. Certes, mais tout le monde trouve les trolls drôles (voire « nécessaires au débat », hum) tant qu’ils nous épargnent. Pas question d’administrer béatifications ou excommunications. Morceaux choisis, retranscris tels quels :

« Oh putain ça va saigner ! Les fachos sont surement accompagnés de leur fidèle barre à mine, quant aux bamboulas en question ils vont sans doute vouloir répondre à la provocation et l’on sait depuis 1994 leurs prédispositions à l’usage de la machette… »

« Que se passe-t-il quand vous achetez l’un des trois principaux quotidiens nationaux ? D’abord, cela ne vous intéresse pas car vous ne voyez aucune différence notable entre ce que vous lisiez il y a des années et ce que vous lisez aujourd’hui, entre ce que vous lisiez il y a deux mois et ce que vous lirez demain. »

« Une guerre a été ouvertement déclaré entre le journal le Torchon et la rue Bazin, dans le 14ème arrondissement à paris. Au programme : vol systématique d’entrecôte Charal au Franprix (à 20h le mec des caméras fume une clope) crevaison de pneu de voiture, fausse alerte à la bombe et insémination de LSD dans les canalisations .»

« Parbleu, si j’étais PD, et que tout le monde me traitait comme une sous-merde, cela ferait longtemps que je puiserais mon inspiration au moyen orient, et plus particulièrement en Israël. La force voyez-vous est de nos jours le seul moyen d’être respecté. Et quand l’ennemi est majoritaire, le terrorisme constitue la seul réponse envisageable ! »

Terrorisme absurde, ils ne crâneront certainement pas en pôle position dans cette course à l’indignation. Vous qui ne jouez pas à qui pisse-copie le plus loin, vous serez dans votre bon droit en snobant tel canard. Mais si telle n’est pas votre intention, aucune chance qu’il s’incruste de lui-même parmi vos factures. Pour poser vos paluches dessus, enfilez vos gants de cuir : le jeu de piste ne fait que commencer.

http://tagliatelleausaumon.skyrock.com/

1 commentaire

  1. Des gens originaires de Valence, pour certain, me semble t’il. C’est marrant de se retrouver propulsés sur Gonzai.
    En tout cas bon Torchon, et bonne initiative d’en parler ici.

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