Il est Le Président, occultant au moins dans les salles obscures le résident de l’Elysée. Il est le grand manitou du Languedoc Roussillon depuis plus de 30 ans. Il est le tout-puissant Frêche, la bête médiatique et politique honnie du PS et chouchou des médias. Sa mort, en octobre 2010, aurait dû mettre un point final à la carrière médiatique du vieux Georges, mais que nenni. Le revoilà pour un ultime tour de piste, au cinéma cette fois, dans un documentaire, Le Président. Durant les six mois de sa dernière campagne électorale,  briguant un deuxième mandat de président du conseil régional, il a été suivi par les caméras furtives d’Yves Jeuland. On entre alors dans les cuisines d’une élection, ses tours de passe-passe, ses mensonges et ses manipulations. Attention, la langue de bois n’y a pas droit de cité.

Frêche est connu pour ses multiples dérapages (« les sous-hommes » pour mentionner les harkis, l’équipe de France de football trop « colorée », Fabius et sa tête « pas catholique »…) qui lui ont valu durant la campagne son exclusion du PS. Raciste, antisémite, homophobe, tout a été dit sur le bonhomme. Mais qu’en est-il vraiment de Frêche ? Est-il le raciste présenté par les médias ? Et dans ce cas, pourquoi est-il soutenu massivement par la population du Sud-Ouest ? Autant de questions qui résonnent dans la tête du spectateur alors que le film débute sur l’écran. Lorsque la lumière se rallumera, il n’en saura pas plus, le pauvre spectateur, car l’enjeu du Président ne se situe pas véritablement du côté de la figure sulfureuse de Frêche (malgré quelques belles saillies). Le film scrute plutôt la mécanique élective, le polissage du discours politique par les publicitaires, le rythme effréné d’une campagne et les séquences médiatiques à imposer pour exister sur une scène surpeuplée. Bref, la professionnalisation de la politique et son optimisation dans la société du spectacle qui est la nôtre.

Idéalistes, passez votre chemin.

Malgré son franc-parler détonnant dans la consensualité ambiante, Frêche n’en est pas moins un animal rôdé à l’exercice de la prise du pouvoir. Lors de discours publics filmés par Jeuland, il raconte sa mythologie familiale (son père, pauvre, seulement muni de ses sabots, se rendant à la ville pour réussir), et parvient à tirer la larme à l’assistance en jouant sur la corde sensible. Mais lors d’une réunion avec ses sergents, dans le cadre feutré de sa belle villa, il explique au débotté que son père, fort de la vente de terrains, était un bon bourgeois. Et les sabots me direz-vous ? Une invention pour teaser la compassion et inciter le vote. Cette anecdote, au-delà du cas personnel de Frêche, met le doigt sur une tendance lourde du monde politique : le story-telling. Cette mythification personnelle qui fictionnalise les biographies des candidats, les rendrait plus éligibles, comme les héros d’autrefois, lustrés d’exploits guerriers. Mais aujourd’hui ce qui fonctionne (la guerre n’étant plus un critère narratif possible) ce sont les origines modestes et l’accomplissement à la seule force du poignet (le jeune Nicolas qui a grandi sans père, immigré de surcroît, Barack, l’avocat qui a œuvré dans les quartiers pauvres de sa ville natale…) Les self made men ont le vent en poupe.

Culture pub.

Mais le story telling n’est qu’un des rouages de la belle machine électorale. L’autre mamelle, et non des moindres, est la communication, la publicité. Et là, Le Président frappe un grand coup en offrant le meilleur second rôle de l’année à Pascal Provencel (il devrait être en lice pour les césars), publicitaire et conseiller de Frêche. Bourré de conseils quant à la campagne, il incite aux dérapages, briefe le Georges sur la ligne à suivre (axer la campagne sur la dichotomie entre le peuple et les élites, la province et le parisianisme). Quand un homme du président soulève la difficulté que doit représenter la publicité d’un mauvais produit (« c’est impossible de vendre un mauvais produit, non ? »), le silence prononcé du pubard en dit plus que de longs discours sur l’amoralité des procédés publicitaires à l’œuvre. Et voir ce vieux Frêche se faire donner la leçon à son bureau sur ce qu’il faut dire ou non, sur quoi il faut insister, les mots-clés à caser… Heureusement parfois, la créature échappe à ses créateurs. Comme au soir du premier tour où une allocution publique de 5 minutes se transforme en laïus de 2 h, au grand dam de ses collaborateurs qui cherchent le bouton on/off, sans succès. Ou face à son grand projet de statues à Montpellier, la place des Grands Hommes du XXe siècle, avec Gandhi, Churchill, Mao et Lénine ! Malgré l’arrachage de cheveux que constitue médiatiquement l’implantation d’un monument au dictateur soviétique, le vieux Frêche reste campé sur ses positions, n’admettant qu’un délai (laisser passer les élections) pour ériger son grand œuvre.

Le Président amène tout spectateur (et électeur) à lire entre les lignes de la communication politique, à se méfier des apparences sympathiques d’un candidat et finalement à ne pas être dupe d’un cirque médiatique, qu’il soit populiste ou polémique, car son intérêt reste le même : faire parler, occuper le terrain pour au final se faire élire. D’outre-tombe, Frêche démontre l’efficacité de son propre système, les rouages d’un métier qui consiste à séduire à tout prix et nous invite à ne plus être le dindon. Quant à la farce, elle est partout présente. Le Président, meilleure comédie de l’année ? Sans doute…

Yves Jeuland // Le Président // En salle le 15 décembre


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