La récente activité cinématographique que déploie Steven Seagal a surpris surprend ceux qui, il y a peu, cantonnait l'acteur à une filmographie faite de menaces terroristes et de défenestrations sommaires. Pour ceux-là, il semble nécessaire de revenir à l'origine d'une cinéphilie aussi érudite qu'exigeante. Nous sommes en 1992 et Steven Seagal arrive sur le plateau de Piège en haute mer…

Ce qui devait n’être qu’un banal film d’action va devenir en quelques semaines l’un des remakes les plus secrets de l’histoire du cinéma américain. Le scénario était bouclé depuis plusieurs semaines lorsque Steven Seagal approche le réalisateur Andrew Davies. Celui-ci raconte au magazine Variety : « Nous venions de dîner, Steven avait fait une paëlla pour les 700 membres de l’équipe et l’ambiance était plutôt à la rigolade quand il m’a pris à part. J’avais un peu bu et je ne me souviens pas exactement de noter conversation, mais Steven insistait beaucoup à propos d’une scène d’escalier. Il avait le scénario dans les mains et je voyais qu’il avait fait un paquet d’annotation dans les marges. Au début je pensais que c’était à propos de son rôle, mais j’ai rapidement compris qu’il s’agissait de modifications à apporter au scénario. Bien entendu il n’y a eu aucune pression de la part de Steven, mais bon c’est lui qui cuisinait pour tout le monde, on peut donc dire qu’il nous tenait quand même par les couilles. »

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Pour le critique slovène Vienek Zojav, la question ne fait pas de doute Piège en haute mer est un remake du Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein. Celui-ci a pu consulter le script annoté par Steven Seagal et étudier les modifications apportées par l’acteur, chaque élément pris à part semble anecdotique, mais ajoutés les uns aux autres les détails révèlent la cinéphilie extrême de Steven Seagal. Ainsi Jordan Tate, miss Juillet 88 dans le scénario devient miss Juillet 89, l’année de la chute du mur de Berlin. Le personnage principal Casey Ryback devait d’abord être météorologiste, c’est Steven Seagal qui suggère qu’il soit cuisinier. Or c’est justement la question de la nourriture qui provoque la révolte des marins du Cuirassé Russe en 1905.

A travers ce film et en s’appuyant sur l’œuvre d’Eisenstein, dix ans avant les événements du 11 septembre, Steven Seagal offre à l’Amérique une matrice de pensée critique lui permettant de concevoir sa place dans le nouvel ordre mondial. Le philosophe Jean Baudrillard ne s’y est pas trompé puisqu’en 2004 il mène un long entretien inédit avec Steven Seagal et qu’il aborde justement la question d’un lien entre les deux films :

Jean Baudrillard : Dans votre film Piège en Haute mer, on ne peut s’empêcher de voir un retournement de la structure du Cuirassé Potemkine, si le Cuirassé Potemkine est une métaphore de la Russie, l’USS Missouri apparaît bien comme une métaphore de l’Amérique.

Steven Seagal: Mmmh, c’est en partie vrai, mais l’USS Missouri est avant tout une métaphore du Missouri.

Jean Baudrillard : …

Steven Seagal : C’est pour ça qu’il s’appelle l’USS Missouri.

Jean Baudrillard : Ce que je veux dire c’est que le bateau symbolise l’isolement Américain, mais aussi sa fragilité devant la menace terroriste.

Steven Seagal : Je comprends bien Monsieur Baudrillard, mais vous faites erreur. La menace terroriste ne menace pas seulement un bateau ou le Missouri, mais elle peut venir de l’intérieur, comme dans le film, c’est à dire que l’Amérique elle-même peut devenir une menace pour l’Amérique, notre seul ennemi c’est le mal.

Jean Baudrillard: Donc le bateau n’est pas une métaphore de l’Amérique?

Steven Seagal : Le bateau est une métaphore du Missouri qui est une métaphore de l’Amérique. Mon personnage et celui de Jordan Tate, miss Juillet 1989 représentent Adam et Eve qui ont créé l’Amérique et les Américains. Et rappelez-vous cette longue tirage de Tommy Lee Jones sur les petites crevettes cowboys qui chevauchent des hippocampes avec des petits pistolets. C’est bien de la dualité de l’homme dont il est question. si des crevettes peuvent être des cowboys c’est d’abord que l’Amérique est une idée en laquelle nous croyons.

Jean Baudrillard : … donc le bateau est une métaphore de l’Amérique ?

Steven Seagal : Seulement parce que l’Amérique est une métaphore de l’Amérique.

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