Une grande joie. C’est une grande joie que j’ai ressentie quand, ne pouvant rien faire d’autre que rester calfeutré derrière mes persiennes, je cherche à tout hasard un film à mater, un truc qui me tienne de 15 à 17 h, un truc à la fois long, lent et lourd, histoire d’oublier que mon corps se liquéfie. Me vient ce réflexe : chercher sur un torrent tracker dont je tairai le nom si se cachent Erreur de jeunesse de Radovan Tadic ou La vieille fille de Jean-Pierre Blanc. Quelle n’est pas ma surprise en voyant que depuis une semaine, un seeder a planté la graine que je croyais aussi introuvable que l’authentique lepidium meyenii aka la maca du Pérou ! En plus, pour une fois, ce n’est pas une VHS rippée avec les pieds mais une image nette où l’eau de la mer est bleue et le soleil jau… Disons, entre le jaune et le noir, couleurs disposées à servir un humour double. La première fois que j’étais tombé sur ce film, je ne sais pas si on parlait déjà d’OFNI (Objet Filmique Non Identifié) puisque, à n’en pas douter, ce film en était un.
Michael Lonsdale en théologien et Édith Scob en illuminée allumée, déjà ça en jette, non ?
Lonsdale, dont on confond les couinements avec le rire des mouettes, ou inversement ; Scob, laquelle met la barre de la folie un degré au-dessus qu’elle ne l’avait fait dans ses précédents rôles. Puis, l’autre couple, celui qui se forme (lentement, très lentement) tout au long du film, entre Annie Girardot et Philippe Noiret. Film qui est comme ce jeu de palets que l’on trouve dans les bornes d’arcade de stations balnéaires : il apparaît malaisé de marquer un but contre l’adversaire, et encore, s’il n’y avait que sa défense, Ok ce serait jouable, mais non, il y a aussi à vaincre la soufflerie qui fonctionne à plein régime ! Une véritable tectonique des palets que ce film ! Comment aller vers l’autre sans pour autant vouloir altérer une amitié de voisinage qui n’est pas si mal au demeurant, comment toucher l’autre (sentimentalement parlant) sans pour autant le toucher physiquement, comment ne pas empiéter sur les plates-bandes de la robe à fleurs, bref, comment arriver sacré bon Dieu de nom à souffler le chaud sur le froid ?
Aucune grossièreté ni autre drague de plage ici, encore moins de vulgarité.
Chacun va devoir faire des concessions, dans les limites imposées par leurs personnalités respectives très marquées. Noiret, l’ours mal léché (mais toujours plein de cette bonhomie qui a fait son succès dans Alexandre le Bienheureux, en partie grâce à ce double-menton balzacien – entre crochets dans les parenthèses, Balzac a écrit un roman intitulé La Vieille Fille – et cette bedaine de chauffeur routier) va devoir maîtriser sa force face à une Girardot sublime de retenue en vierge effarouchée et chevilles de verre. L’ours va se faire agneau, et pas mouton, là est la nuance. Il va apprendre à connaître la vieille fille, à lui passer ses manières sans pour autant fausser son propre caractère. Loin d’un calvaire sous 37 degrés à l’ombre, ces rayons de soleil-là sont des rayons X du rapport humain qui me réchauffent le cœur, je vous en fais la confidence.
Idée : je reviens à la métaphore des palets, que je change pour plaques, et garde l’adjectif tectonique.
Lorsque deux plaques tectoniques se rencontrent, il y a trois possibilités : soit il y a effondrement (une plaque glisse sous l’autre, et se forme un volcan), soit il y a écartement (les plaques s’éloignent), soit il y a soulèvement (les plaques forment une montagne). À vous de deviner la fin ! J’espère que vous prendrez acte de la folie légère mêlée de pudeur dont j’ai rendu compte, sentiments qui gorgent ce film où les petits riens font, petit à petit, tout. Un film pur et délicat, un premier film qui ressemble à un premier film (Jean-Pierre Blanc ne fera plus rien après), où les erreurs deviennent ses principales qualités, à l’instar d’autres premiers films (on pense à Christian Vincent et La Discrète, Bruno Podalydès et Dieu seul me voit, Didier Haudepin et Le Plus Bel Âge). Les plans y sont à hauteur d’homme. On apprécie les visages, on goûte la moindre mimique. Un cinéma que je n’oserais qualifier de cinéma-vérité, car je ne suis pas là pour étaler des mots. Les images parlent d’elles-mêmes. On pense aussi à Joël Séria, aïeul pas si éloigné… Hop hop hop, j’arrête de me charger de nostalgie, ça me rend lourd ; à vous de recharger vos batteries désormais, oui, c’est à vous de télécharger La Vieille Fille maintenant !
La Vieille Fille de Jean-Pierre Blanc, disponible dans le coffret 4 DVD « Collection Annie Girardot » paru (et presque introuvable maintenant) chez Studio Canal.