Le roman de Benjamin Dierstein aurait pu être un porno musical, va savoir, il y a tellement de malades autour de nous, tout est possible. Mais a priori, ça se présente comme un polar : « deux hommes qui vont se livrer un duel sans merci au cœur de la barbarie et des faux semblants du monde contemporain » dixit la quatrième de couverture.

Tu ne t’en doutes peut-être pas mais je te le précise, ça va être des putes et encore des putes avec autour des salopards et des mecs défoncés. Deux flics donc, un gentil accro et un pourri quand même attachant, accro également. Une histoire à deux voix, une combine nickel de l’auteur qui alterne les rôles à chaque chapitre. Une fois il dit « je » (capitaine intègre Gabriel Prigent bonjour), ensuite il écrit « tu » (lieutenant craignos Christian Kertesz, casse-toi tu pues). Et roule ma poule.

Tu regardes souvent les culs d’abord, mais aujourd’hui tu regardes son visage. Maquillage discret. Des lèvres fines de chaton. Des joues creusées. Un tout petit menton. Tu vois les yeux de Sandra dans les siens et tu te sens vide. … La fille derrière l’image fuyante, l’être humain derrière la façade. Tout ce que tu as toujours cherché avec Sandra, et que tu n’as jamais trouvé.

Et c’est un peu l’histoire du livre, tu fouilles, tu fouilles et puis tu trouves rien. Mais vas-y comme t’es pas le boss. Quand tu finis par débarquer, les sirènes sont clairement décédées, cramées vives, torturées et violées. Pas mineures mais presque. Toutes jeunes, bonnes ou mauvaises familles, le commerce du cul n’ayant plus vraiment de barrières sociales de nos jours dans les capitales civilisées. Toutes des gamines donc qui tapinent sur Internet pour le grand frisson avant de se faire filocher par de gros méchants.  

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Athena, ici Éric. Je suis intéressé par un rendez-vous.
Bonjour Athéna, faites-vous des prestations à domicile ? Je suis dans le XXème.

La routine, quoi.

Des clients qui veulent des filles et des filles qui se préparent pour les clients. Conversation en anglais, en français, en serbe, en hongrois. Des hommes d’affaires, seuls, de passage à Paris et qui ont entendu parler de l’agence avec des confrères. Des groupes d’hommes qui travaillent ensemble et veulent fêter une bonne nouvelle professionnelle (sic). Des Parisiens mariés qui trompent l’ennui avec des escorts…

On discute avec l’auteur sur Internet, on le croise ensuite à la Maroquinerie, quelques heures avant le concert d’Aldous Harding  qui tourne ici avec des potes à lui (perso, il ne connaît même pas, c’était juste une occasion de venir à Paris). Le gars est de Rennes, bonne gueule de fêtard, t-shirt Superman, 35 ans, bière ordinaire. Professionnel de la musique (electro), tombé dedans avoue-t-il après s’être copieusement rincé de rock façon Gonzaï.

Des détails ? « Bah, je ne sais pas jusqu’où il faut préciser… ? Je dirai, la scène française déviante qui tape un peu… ». Pas de la techno classique, plutôt ce qu’il de la musique old school avec cette petite moue au passage. Revival du vival ou bien l’inverse… « Le truc se mord la queue, non ? »

En préface du livre, prix découverte « polar sang-froid », le très huge Caryl Férey annonce tout de suite la couleur. Dierstein est seul, il vient de sortir son premier roman. Personne ne le connaît… Aucun repère devant lui, le vide…

En fait, l’histoire de ces sirènes débute il y a presque 15 ans. Le jeune Benjamin s’essaye à la gribouille d’un scénar un peu « chaud noir » mais s’enfonce dans l’écriture d’un improbable bouquin dans lequel il perd pied. Un vrai fil à la patte. « J’ai arrêté de lire de la fiction, je me suis mis à compulser des documents, pendant des années ». Un vice de fouille-merde qui va notamment se concentrer sur les ouvrages consacrés au trafic d’êtres humains et aux enlèvements d’enfants. Le parfum de James Ellroy au-dessus de tout ça. Le souvenir du divorce de ses parents à Lannion, petite sous-préfecture des Côtes-d’Armor où il passait d’un bloc à l’autre de la cité au gré des droits et des envies de garde.

Rien à ajouter sinon que la famille paternelle est alsacienne sans que l’on sache trop ce qui a bien pu motiver son immigration bretonne. Quoi qu’il en soit, le grand-père a changé de patronyme histoire de s’intégrer et de se la couler douce en fest-noz. Dierstein aka Laguadec, les origines se troublent. Peut-être le vrai début d’un destin d’écrivain.

Redevenu Dierstein, le jeune Benjamin soulève furtivement le couvercle du passé, bonjour les aléas de la vie sur la frontière franco-allemande en temps de guerre. Le mec aurait pu devenir journaliste d’investigation et tu l’imagines très bien en Macédoine du Nord en train de taper le carton avec des Albanais, cousins du cousin du village d’où partent les camions à meufs. Mais le teufeur est à Paris, à l’aise dans sa tenue de camouflage. D’un côté le smiley de l’acid house, de l’autre le vertige de l’acid life. Collecte les faits-divers mortels, détaille les sévices corporels (information non vérifiée, ndr). Il n’a pas ouvert un roman depuis un bail lorsqu’il croise des gros cadors de la BRP (brigade de répression du proxénétisme). « J’étais chargé de com’ au Glazart, les mecs privatisaient le lieu pour leur fête de fin d’année. Ils étaient très copains avec la direction, et venaient souvent boire des coups. C’était marrant de les voir ces baraques crâne rasé, imper en cuir, je kiffais grave”.

Parce qu’on va pas se mentir, si tu écris des polars tu ressens évidemment une certaine fascination pour la figure du flic. Tu peux toujours te branler avec Ellroy, David Peace et les autres, tu peux citer Faulkner, McCarthy, l’écriture “tendue” de Selby, tu n’es pas insensible au prestige de l’uniforme. Et le grand barouf autour des séries télé ne va pas arranger les choses. Même si tu te bouches le nez hein forcément, devant l’esthétique crasse des productions françaises, tu glanes quand même quelques astuces de scénarios, du côté de Mafiosa et d’Engrenages, mais retournes vite à tes trucs de gosses. Le bon vieux cinéma américain.

Quelques bémols, sur Engrenages notamment, où la conduite narrative correspond grosso merdo à celle des Sirènes ; l’emballement des causes et des effets, le piège qui se referme doucement et puis le franchissement de la ligne rouge côté voyou pour le meilleur des valeurs policières, héroïsme en sus. On connaît la chanson (au départ Jean-Patrick Manchette et puis, finalement, le même Caryl Férey). L’envie de parler de la société à partir de ce qui la mine, la noirceur du fait divers. ; ce besoin de gratter méticuleusement la culture du pauvre diable. Et si ce ne sont pas les putes, ce sera le football ici inexistant mais dont l’auteur se présente comme un fervent aficionado, foot féminin compris (Rennes oblige même si c’est plutôt Guingamp qui oblige).

En arrière-plan, bien sûr, la drogue, sujet sur lequel on a ici quelques bonnes notions évidemment liées à l’activité professionnelle, même s’il finit par dire, mollement, que “tout ça repose sur un travail de documentation”. Férey encore, dans sa préface, parle de “DOA (dead on arrival) sous amphètes”, pour résumer la technique de Dierstein qui attrape les hauts et les bas biochimiques de ces personnage pour faire avancer son histoire au galop, “j’ai voulu pousser le cliché, dit-il : rendre hommage et, en même temps, faire cramer”.

Tu lui écrases la tête contre le mur. Il tombe. Tu rentres dans le salon… Tu en profites pour te garder dans la glace. Tu as un bandage qui te recouvre le haut du crâne et l’oreille gauche. Un autre bandage sur l’œil qui cache une orbite vide. Le nez cassé. La bouche en partie édentée et la moitié de la mâchoire qui pend sur le côté droit. Tu ressembles à un monstre de foire. Tu t’en fous. Tu penses à une seule chose : Clotilde.

Le texte, nerveux et dense, pour partie issu du premier manuscrit de jeunesse, court sur environ 500 pages jusqu’à la catastrophe finale, de mal en pie, mais pas complètement non plus puisque déjà la suite est en relecture. On en retire une forte addiction, un dégoût global qui fait écho à la culture porno non-stop qui fait notre brillant quotidien (36 % des échanges sur Internet ai-je entendu, mais je ne peux sourcer), mais aussi une description de l’hétérosexualité qui en effet correspond bien à ce que l’on croit comprendre par ailleurs, IRL. Au fond, pour une nana, deux possibilités existent aujourd’hui : soit elle dépend d’un mec et en subit les aléas. Soit elle peut ne pas en dépendre et elle préfère ne pas en avoir, pour sa santé mentale, son espérance de vie et son bonheur en général. C’est finalement sur ce dernier point que l’auteur est les plus pertinent, parce qu’il jette un regard tendre et défoncé sur un romantisme “qui aurait pu être”… Une pierre volcanique tombée dans l’eau qui disparaît dans un gros pschit.

La sirène qui fume de Benjamin Dierstein, Polar Nouveau Monde éditions, 2019.

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