A l’aube des années 2000, dire du monde qu’il était divisé en deux sphères était monnaie courante. Ceux qui creusaient contre ceux qui portaient le flingue, ceux qui dansaient contre ceux qui gobaient l’anxiolytique ; le divertissement était un combat, ne restait qu’à choisir son camp.
Au milieu des nineties, labels et indépendants crevaient la gueule ouverte, imprimant des T-Shirts sans trop y croire, multipliant les P(a)in’s comme une identité singulière, et si la musique était déjà un mouroir, bien peu auraient misé sur Cobain dans une publicité pour Ronald. Aujourd’hui, fin des années 00, venez comme vous êtes: The XX passe en boucle sur M6, Julian Casablancas revisite la Macarena, la niche est devenu un modèle marketing, les meilleurs se battent pour un restant de poussière. C’est le récit de notre aventure moderne : Ne plus croire en rien, porter des jeans slims, ne plus fumer, tapoter trois touches sur un clavier USB, parler music-business pour éviter de parler des groupes. La fin des religions, promis… c’est pour bientôt.
Huit compilations Kitsuné plus tard, difficile de dire si le label inventé par Gildas et Masaya est une marque de vêtements distribuant de la musique ou l’inverse, tant les années 2000 furent leur showroom. Compil(l)er, incuber des dizaines de fœtus (La Roux, Boys Noize, Metronomy, etc..), lâcher des bombes H sur des populations entières avec de nouvelles stratégies pop pour nos enfants (la nu-rave en synthétique, à nouer autour du cou, pour l’hiver 2007) ; tout ces groupes cultivent la nostalgie des premières bitures en boite à La Fabric et le doux souvenir de « la grosse qui vomissait aux toilettes pendant que je culbutais Scarlett ». La vie c’est ainsi, les années 2000, c’est Kitsuné, les paillettes et une huitième compilation à coller sur l’album photo. Au pays des couleurs Kitsuné, le sépia n’existe pas.
Paris. Hôtel Amour, octobre 2009. Gildas Loaec, directeur artistique de Kitsuné, est assis face à moi. Soixante dix centimètres environ nous séparent comme le malaise l’un de l’autre lorsqu’on est voisins et que bruit des enfant d’à coté vous empêche de dormir. Après dix ans de collaboration avec les Daft Punk, Gildas a co-fondé Kitsuné avec Masaya, une marque témoin qui depuis a fait des petits et des envieux. April 77, Zadig & Voltaire, tous ont lancé leur département musique pour surfer sur une vaguelette commerciale dont il est encore difficile de dire si l’écume résistera au coup de chaud des ventes qui fondent comme neige au soleil : « A nos débuts (vers 2003, NDR), associer les disques à une marque était très mal vu. Aujourd’hui, parce que le marché est plus dur, l’échine est plus souple, et les marques ont aujourd’hui bien compris que la musique était fédératrice, pour rester proche du public. Par rapport au prix d’une campagne, c’est peut être aussi moins cher. Ma vision des choses, c’est que le marché du disque chute tous les jours, ce n’est plus une opération rentable. Et le disque, c’est d’abord un métier, un réseau, une distribution. Pour toutes ces marques, je dis donc : « A voir, mais attention…. ». Pendant ce temps, Empire of the sun illustre des publicités pour Ebay, les années 2000 sont passées très vite, Kitsuné a façonné un son. Sans le vouloir même, peut-être.
La musique, c’est comme la mode, ca va, ca vient, entre tes reins.
La différence avec les autres décennies, selon Gildas, ce sont les loops raccourcies (comme les jeans), les modes rallongées (comme les cheveux) et quelques phénomènes qui resteront : « On trouve toujours suffisamment de fans pour faire perdurer une mode, entretenir un genre. Je suis convaincu que certains gamins resteront toujours nu-rave ». En attendant la libéralisation des AK47, faisons la fête ; je reprendrai bien un café.
Sur la huitième compilation de Kitsuné Maison, on entend surtout des bribes d’electro(coco), quelques perles (le sublime High Together de Siriusmo, qui plane comme un Sebastien Tellier disco-chic remixé 1999, meilleur titre de la compilation 8) et beaucoup de coquilles vides (Delphic en tête, suivi par French Horn Rebellion ou Jolie Chérie). L’impression de nager dans un pull trop petit pour le corps trop vieux, la sensation que les Beach Boys ont élu domicile au Social Club (The Drums sur Let’s go surfing), le mal-être d’une génération qui ne sait plus s’amuser qu’en faisant la fête ; je vous épargne ici mes digressions de frustré des dancefloor qui n’apprécie la danse qu’en petit comité (seul, de préférence). Ici comme ailleurs, comme sur les compilations précédentes, c’est la similitude entre le disque et son époque qui frappe en premier. Kitsuné serait-il le catalyseur des années 2000, sans pot d’échappement ? « Musicalement, c’est surtout la chance, grâce à Internet, de faire découvrir la musique plus rapidement, toucher simultanément les gens à Biarritz, Bordeaux, Paris ou Stockholm. C’est ce qui a permis à Kitsuné de faire connaître son activité au niveau International sans utiliser les moyens de communication traditionnels. Pour autant, je ne sais pas si la musique a fondamentalement changé en soi. Mes grosses claques, autant que je me rappelle, c’est Klaxons, Fleet Foxes, MGMT. Et La Roux, aussi, bien évidemment. Là je sais pas si tu sais, les anglais cherchent à faire revenir le trip-hop, je te préviens, ca revient là. ».
Dans la vie, y a ceux qui partent et ceux qui reviennent, toi, tu rentres ou tu sors ?
« Ca revient là », ça n’est même jamais vraiment parti. Le concept de nouveautés, de compilations clichées, c’est plus qu’un concept, c’est une marque de fabrique. Tous y sont passés, de Bloc Party aux Teennagers en passant par Gossip. « Chez Kitsuné, on est dans un registre d’incubation, sur nos compilations on présente les nouveaux groupes, nos coups de cœur. Indirectement, on se met aussi en compétition avec des blogs qui font cela tous les jours. Qu’est ce qu’on pourrait mettre en avant qu’un blog n’ait pas déjà fait ? Si tu prends Siriusmo, c’est un producteur d’électro underground qui vit à Hambourg, de façon un peu cachée, culte pour ceux qui le connaissent, mais pas facile à attraper. Faire une compilation, c’est beaucoup de travail, beaucoup de plaisir ». Ne pas fier qu’aux apparences, l’ambition de Kitsuné n’est pas la niche, c’est surtout le mainstream (qui n’est plus une insulte, dans un monde de niches) et les radios anglaises. « Good vibrations », le concept, encore une fois n’est pas nouveau. On laisse à d’autres le soin de d’épancher sur le nouveau business de la musique qui réussit grâce au placement produit et autres croisement mode/marque. Plus qu’une innovation, c’est déjà une réalité. « Pour une marque comme nous, qui vient de la mode, seule la longévité permet de devenir puis rester crédible. Au départ, les gens pensent que c’est une blague, qu’on surfe sur une tendance. Moi, je pense que j’ai le meilleur label de disque au monde, c’est important de penser ça, même si c’est faux. ». En rock comme en mode, l’avenir appartient à ceux qui portent bien le costume, l’étiquette, elle, reste toujours cachée.
En tapant les dernières lignes de cet article, la fatigue aidant, j’ai senti le chlore dans mes narines, le parfum aseptisé des plages en plastique. Souvenir de ces après-midi en bassin, bonnet vissé, à croire qu’on verrait la mer à travers le carton-pâte. Chez Kitsuné comme ailleurs, le monde se divise encore en deux catégories : ceux qui y croient, et ceux qui écrivent des articles.