A la manière de Please Kill Me, Jürgen Teipel empile dans Dilapide ta jeunesse (Allia) les témoignages et déroule la bobine du punk et de la new wave allemande. Des hippies aux hipsters, léger retour en arrière sur le destin des groupes D.A.F et Malaria !

En 1978 Gabi Delgado-Lopèz, « petit dictateur » comme il le rappelle dans le livre de Teipel, est à la tête de l’Amitié Germano-Américaine plus connue au travers des initiales D.A.F. Avec son ami Robert Görl, il est fasciné par la violence qui bien souvent symbolise la trop forte proximité entre punks et teds au Ratinger Hof, à Düsseldorf. Là-même où Joseph Beuys enseignait à l’Académie des Beaux-Arts, avant qu’il ne se fasse limoger pour avoir accepté de donner cours à tous les weirdos non-inscrits des environs. Ayant fondé l’Organisation pour la démocratie directe par référendum, il répondait d’ailleurs à son renvoi « La démocratie, c’est drôle ! ».

A force de chercher son reflet dans le regard des enfants de la D.A.F., Gabi lui gardait le cap sur l’esprit « straight » et radical, ainsi que sur ses « règles d’élimination ». C’est ainsi que fraîchement débarqué à Londres avec les autres membres du cru, le bassiste Michael Kemner que l’on peut entendre sur le single Kebabträume fut le premier à quitter le navire. Not tough enough. Entre temps, les mecs avaient passé des journées entières chez Rough Trade à jouer leurs cassettes enregistrées ici et là, une opération qui s’était soldée par la signature de Daniel Miller sur un contrat portant le logo Mute. Chrislo Haas, qui pourtant était le plus extrême de la bande et s’était beaucoup amusé avec son MS-20 et Robert Görl dans leur cave londonienne, fut remercié. Le seul mec encore en piste, le guitariste Wolfgang Spelmans, fut la victime d’une défaillance de la mémoire du couple Görl-Delgado après avoir écopé d’une jaunisse à Berlin, le laissant cloué sur un lit d’hôpital sans une seule nouvelle des deux larrons.

C’est pendant cette date à Berlin que l’histoire ici succinctement résumée de D.A.F se lie avec celle d’un autre groupe : Mania D., composé de Beate Bartel, Gudrun Gut et Bettina Köster. Une fois mise en couple avec Haas, Beate Bartel cassa tellement les couilles des deux autres pour qu’ils l’intégrent à la formation 100% féminine, que Köster et Gut formèrent Malaria ! Elles étaient assez dark pour pondre des titres comme Trash Me, et assez cool pour rapidement être invitées à venir jouer au Studio 54 de New York. Aussi, avec leur look, elles eurent droit à une photo publiée dans le NME. Bottes de cheval noires, pantalons noirs, chemises noires à œillets rouges. A la différence de D.A.F, alors qu’elles devaient briller sur le même terrain, les filles de Malaria ! n’eurent ni l’occasion de travailler avec Conny Plank, ni l’opportunité de dire à Mute d’aller se faire foutre pour déflorer sec chez Virgin (Alles Ist Gut). Historiquement, on ne peut pas non plus leur léguer la naissance de la techno.

Un peu plus de 200 ans avant cette histoire, l’Anglais Joseph Priestley mit au point un procédé consistant à infuser du dioxyde de carbone dans l’eau, créant alors la première eau gazeuse man-made. Ce fut l’objet d’un traité en 1772, Impregnating Water With Fixed Air. A quelques milliers de kilomètres de là, l’horloger allemand Johann Jacob Schweppe s’inspira des travaux du chimiste et déménagea à Londres bien avant les membres de D.A.F. pour créer sa propre compagnie d’eau gazeuse artificielle, qu’il baptisa bêtement Schweppes. Sur l’étiquette de ces boissons, on peut aujourd’hui encore y lire la mention Contains Quinine, une molécule dont l’abus provoque étourdissements, maux de tête et troubles de la vision, mais qui fut d’abord utilisée contre… la malaria.

C’est drôle, cette coïncidence. En lisant Please Kill Me de Legs McNeil comme Dilapide ta jeunesse de Jürgen Teipel, on vérifie le poncif assimilant le punk comme la Neue Deutsche Welle à une ébullition, avec ses quelques coups d’éclat et ses nombreuses immondices. Miraculeusement, en écoutant D.A.F. en duo aujourd’hui, ce truc en plus qu’on appelle concept + force reste splendide. C’est se confronter à longueur de disques à toute la violence et la dureté que l’on retrouve dans le livre de Teipel. Ce qui reste au fond plus important à 30 ans d’écart que la poignée de titres, même magiques, que l’on trouve chez Malaria ! (Kaltes Klares Wasser, Trash Me). Qui nie ?

Jürgen Teipel // Dilapide ta jeunesse // Allia
www.editions-allia.com

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