J’entends beaucoup, de plus en plus souvent, des mecs se déclarer libertariens. Si ce n’est le jeu de mots stupide qui me vient directement depuis la rime (libère : t’as rien / mènent à rien…), j’avoue être dépassé par le concept. Par la réalité du concept. Enfin par la chose elle-même.
Un libertarien est un enfoiré, voilà ce que je pense dans un premier temps. Je préfère encore me taper Badiou qu’un bon vrai et dur libertarien qui me cite Robert Nozick. Mais le libertarien séduit ; il est partout, très en vogue dans les cocktails, les bons restos, il est de toutes les partouzes. Le libertarisme est encore plus chic que le radical-chiquisme de Badiou. Avec le libertarien on est carrément dans l’intello-chic, et de droite s’il vous plait. Anticonformiste, renseigné, casse-couilles, le libertarien est une engeance avec laquelle il va falloir compter.
Kezako
Le libertarisme est un courant philosophique et politique – fin du wikipédisme. Chose étrangement oubliée par les hippies dreadeux, ce mouvement prend son essor depuis le Center for Libertarian Studies qui à la base, messieurs, combat l’interventionnisme étatique au nom des vertus – que l’on devine nombreuses in a land of milk and honey – de l’économie de Marché, et ce dans le respect bien entendu de la liberté individuelle laisse moi kiffer la vibe avec mon mec chuis pas d’humeur à c’qu’on mprenne la tête.
En fait, le libertarisme est même une idéologie tout ce qu’il y a de plus libérale – au sens des libertés positives n’est-ce pas ? I mean : celles qui « permettent de » (manger des steaks, chier dans les bois, buter mon voisin à coups de pelle). Les libertariens sont des mecs comme Friedrich Hayek ou Robert Nozick qui pensent ces présupposés individualistes en filiation directe avec les théories du Marché et d’État de droit. On a connu plus sexy. Évidemment, Marx en prend plein la gueule dans l’histoire, dont le moteur de l’histoire est en panne. Les collectivistes également. Et à juste titre : le libertarien vivant dans un squat par exemple, s’enfermera dans son logis avec des cadenas municipaux (l’État de droit garantissant sa propriété) et mangera ses petits pains au chocolat LIDL tout seul. Tandis que le collectiviste, lui, laissera ses portes ouvertes en partageant ses mandarines avec le premier clodo du coin. Qui le violera et partira avec sa thune (la main invisible du Marché). Exit donc également les communautariens (qui ne mènent à rien), les multiculturalistes (dont on ne saisit pas bien le concept) et tout le monde en fait, puisque la base est tout de même ma liberté individuelle, arrêtez de me casser les couilles.
« Mais si tu l’es, dis-moi, que veux-tu que je sois ? »
Le libertarien possède néanmoins une morale : soi-même. Le système philosophique peut d’ailleurs très bien se ramener à cela en permanence. L’individu. Tout est pensé en fonction de ça. La justice ? Ses étalons de valeur doivent être fixés en fonction de l’individu, de sa raison et de ses droits, non pas en fonction de cette saloperie de norme sociale partagée par les gueux, les riches, n’importe qui n’étant pas moi. Laisse-moi kiffer j’te dis.
Le libertarien ne reconnaît pas l’État. Pâle état. Toute intervention publique est condamnée, même si elle vise à filer un peu de blé au clodo à mandarine qui vient soigner sa vérole. La redistribution c’est péché, parce que l’État il a des effets pervers, mon fils. Tu vois, quand il veut imposer des mécanismes de solidarité sociale, ben il perturbe le libre jeu du Marché tu vois ? Et le Marché c’est le Marché. Tu comprends, l’État y porte atteinte au respect absolu de la propriété de soi, personne y doit t’astreindre à payer pour les pauvres, t’ as compris ? Allez, va lire Hayek, fiston :
« Mon cher Papa,
J’ai lu Hayek, Papa. J’ai mal à la tête. Ce mec, c’est pire que les cours de la bourse ! Y parle tout le temps du marché, de l’offre et de la demande, de l’itilité marginale. Alors j’ai pris l’aut’ livre qui était sur la commode de Maman. Murray Rothbard. Lui, y va jusqu’au bout. Y veut créer une société sans État, où même la justice et l’armée y seraient assurées par des entrepreneurs privés. Comme les vigiles. Plus besoin de quotas. Rothbard y dit que l’État y pourrait exister quand même, mais seulement après que les membres de la communauté ont signé un contrat, entre membres consentants. Comme à la banque.
Y a même un truc énorme chez Rothbard. C’est d’imaginer un « panarchisme » (inventer par Emile de Puydt en 1860), c’est le kiff ce truc j’te jure. Ce serait quand chaque individu y serait capable de contracter avec le gouvernement de son choix – ou aucun, même – dans un système international où tous les systèmes politiques y coexisteraient.
J’ti laisse, Papa. J’dois faire mon sac pour l’icole. »
Réponse du père:
« Fiston,
Tu vas rendre tout de suite son livre à ta mère. Les anarcho-capitalistes comme Rothbard, c’est pas bon pour c’que t’as. Faut remettre en question l’Etat-providence, oui, mais pas en niquant tout les pouvoirs. Sans ça, c’est la jungle, l’homme est un loup pour l’homme, la société c’est la merde, tu vas te faire bouffer tout cru. Nozick propose par exemple un « Etat veilleur de nuit » qui protège les individus contre les autres individus, la violence. Pis l’Etat il doit protéger nos contrats t’as compris ? Hayek, lui, y dit que l’interventionnisme c’est péché parce que la redistribution elle me fait perdre une partie de ma liberté individuelle. Je t’explique : si tu veux l’égalité des conditions de vie, tu reconnais nécessairement à certains individus des droits (toucher une partie de mon pognon) que tu ne reconnais pas à d’autres (et moi, c’est quand que je reçois du blé de l’État ?). C’est quand même un prix Nobel, Hayek. Allez, j’arrête, je dois faire chauffer la pizza. »
Politiquement vôtre
Aux États-Unis, les libertariens sont classés à droite de l’échiquier politique, voire à l’extrême droite en raison de leurs positions ultralibérales. Certains mecs des Tea Parties par exemple sont libertariens, mais sûrement sans le savoir. Malgré tout, on ne peut pas les confondre avec les conservateurs. Petit problème moral en effet : un libertarien proposera par exemple de disposer librement de son corps ou de bouffer du hasch par paquets de douze si et seulement si la liberté d’autrui n’est pas mise en danger. Tu te cames au krack si tu veux, mais tu viens pas vomir sur mon palier. Le libertarisme est de droite. En somme, tu fais ce que tu veux tant que tu viens pas me faire chier.
Mais on peut distinguer un « libertarisme de gauche » (H. Steiner, P. Vallentyne). Les libertariens de gauche ont vraiment kiffé Avatar et Water World : les ressources naturelles y sont limitées, et elles appartiennent à tout le monde. Elles doivent donc être réparties de manière égalitaire. Par exemple, le fait que Disneyworld consomme en une journée l’équivalent d’un PNB africain incite les libertariens de gauche à réclamer à Disney quelques galettes de pain pour rééquilibrer le mouvement d’ensemble. Ici, le souci de l’égalité est primordial, la redistribution rétablit une harmonie du merdier d’ensemble. Des mecs de gauche, quoi.
C’est évidemment avec les libertaires (squats, réunions bière-ganja, écoles de cinéma, fac de lettres) que les libertariens s’entendent le mieux, même s’ils divergent – et pour un seul homme, oui, ça fait beaucoup – sur quelques points. S’ils partagent tous deux l’idée d’après laquelle l’État est un instrument oppresseur, les libertaires rejettent radicalement la loi du Marché. C’est classique, c’est du Chomsky, le capitalisme est un système dégueulasse de captation des richesses au service d’une oligarchie contrôlant la finance, les médias, les Protocoles des sages de Sion, le Monde, Dieu, ma mère, je me disais bien aussi.
Au final, sont libertaires les punks à chiens ainsi que les intellos-chics de la place parisienne. Sont libertariens les mecs qui se foutent de toutes les questions économiques et sociales, c’est-à-dire bientôt tout l’Occident, qui vire à droite (lire de Raffaele Simone, Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?, chez Gallimard). Vous reprendrez bien un peu de champagne ?
6 commentaires
Super papier !! Merci … Juste un truc, j’ai plutôt l’impression que l’occident vire à l' »extrême » droite. A force d’abrutir la masse on en (re)fait une bête incontrôlable …
Le libertarisme est une hérésie chrétienne post-moderne.
Est reconnu comme individu tout être qui a une âme. À priori, tous les humains, enfin, presque tous.
En quoi le libertarisme est chrétien ?
Les idéologies libertariennes sont conservatrices (de droite) ou néo-conservatrice (de gauche), et toutes sont réactionnaires, elles se réfèrent, comme toutes les églises chrétiennes, à la « loi naturelle », autant dire au droit coutumier dominant dans les nations occidentales.
*C’est en vertu de l’essence « naturelle » des échanges commerciaux que les marchés sou le vocable générique du Marché a une existence propre comme l’Homme.
L’Homme respecte le Marché comme le dernier « topos » sacralisé excepté l’Église Universelle (chaque chrétien selon son obédience reconnaitra la sienne).
Néanmoins chaque église (synonyme de secte chrétienne) reconnait le Décalogue (les 10 commandements) dont voici la version française de l’église catholique dont deux commandements pour la seule propriété (7 et 10) et le quatrième pour le respect de la chefferie :
Un seul Dieu tu aimeras et adoreras parfaitement.
Son saint nom tu respecteras, fuyant blasphème et faux serment.
Le jour du Seigneur garderas, en servant Dieu dévotement.
Tes père et mère honoreras, tes supérieurs pareillement.
Meurtre et scandale éviteras, haine et colère également.
La pureté observeras, en tes actes soigneusement.
Le bien d’autrui tu ne prendras, ni retiendras injustement.
La médisance banniras et le mensonge également.
En pensées, désirs veilleras à rester pur entièrement.
Bien d’autrui ne convoiteras pour l’avoir malhonnêtement.
En quoi le libertarisme est une hérésie.
En ce que le libertarien par excès d’amour pour lui-même et surtout pour ce qu’il possède en son nom, renonce implicitement à aimer les autres comme lui-même.
Ainsi, le libertarien ne reconnait pas le message christique :
Je vous donne un commandement nouveau :
Aimez-vous les uns les autres.
Oui, comme je vous ai aimé, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.
Évangile de St-Jean 13-34, traduction de l’école biblique de Jérusalem, reconnue par l’église catholique par imprimatur du 29-10-1955.
On est loin, mais alors très loin du primat de l’individu si cher au libertaire.
On ne respecte que la personne morale, c’est à dire ce qui constitue en droit la propriété d’autrui, voire la sienne propre, si on en a.
Le libertarisme est évidemment une tartuferie de première !
À force de falsifications de l’histoire et de raisonnements sophistes même des anti-papistes viscéraux rejètent le principe de Justicia, le Droit objectif, celui écrit des lois du Saint Empire Germanique qui comme chacun devrait le savoir si on l’enseignait, s’opposa au XIIIe siècle sous l’égide de Frédéric II l’antéchrist au droit Canon et aux tribunaux ecclésiastiques. Ce Droit de l’État, annonciateur de l’état de Droit, que les papes jusqu’à aujourd’hui combattent le principe odieusement laïc d’un Droit qui ne serait pas celui de la religion.
Quand un libertarien invoque le libre-arbitre, il s’agit au mieux d’un contresens, habituellement, un mensonge commode qui édicte que nul autre que le propriétaire de biens, y compris immatériels, n’a autorité à décider de leur emploi car c’est affaire privée et inviolable même par le judiciaire.
Anarchiste de droite est un oxymoron même si on le ripoline avec le vocable libertarien.
Ouais… Dans la théorie, peut être que les libertariens sont proches des libertaires mais dans la réalité, les libertarés sont juste des ultra-libéraux. Ils revendiquent les libertés individuelles « sociales’ totales comme argument pour avoir surtout la liberté économique totale : en gros, pas payer d’impôt. Et au final, ces mecs sont souvent des petits fafs, anti-tout mais ils le disent pas trop fort.
Moi je dis juste qu’il faut vraiment pas avoir lu un seul bouquin de philo de sa vie pour se revendiquer liber-quelque-chose. C’est déjà annihiler la notion de liberté. Les liber-quelque-chose sont tous des gros cons; les seuls qui ont vraiment compris un truc ce sont les capitalistes et les utilitaristes. Eux ils ont le droit de s’aliéner dans une marée de foutre économique, eux ils sont cohérents. Ils ne sont en revanche pas d’une grande humanité. Et c’est exactement ça qu’ils essaient de marteler dans nos crânes à coup de médias de masse et de prescripteurs à proscrire : l’humanité, c’est mal, c’est un truc de pédés et plus vous la détruirez mieux vous nous servirez. Finalement, les derniers survivants de ce carnage seront sans doute les artistes qui auront su illustrer ce processus pour mieux en sortir (éventuellement reconstuire quelque chose). Les autres sont absolument tous morts.
excellent
juste un truc, le raccourci de Chomsky vers le protocole des Sages de Sion, je n’ai pas bien saisi (un peu trop rapide pour moi! ;D)
Article assez intéressant, en dépit de son ton ironique et condescendant, mais c’est la marque de fabrique de « Gonzai », n’est-ce-pas ?
« le libertarien est une engeance avec laquelle il va falloir compter. » : en effet, car c’est une façon tout à fait cohérente et moderne d’être libéral, oui je sais c’est un gros mot pour certains d’entre vous, mais c’est le système dans lequel nous vivons et dans lequel nous allons continuer à vivre pendant longtemps, n’en déplaise aux groupies du sénile Badiou, qui font en réalité du libertarisme dans leur vie de tous les jours comme M. Jourdain faisait de la prose, en dépit de leurs postures pseudo-étatistes.
« Sont libertariens les mecs qui se foutent de toutes les questions économiques et sociales, »
conclusion un peu rapide, vous en avez interrogé beaucoup pour affirmer ça ?
« c’est-à-dire bientôt tout l’Occident, qui vire à droite »
en effet, c’est ce qu’on appelle aussi le mouvement « populiste », il fallait s’y attendre, à force de se pincer le nez dès que le peuple exprime des idées qui ne vont pas dans le sens de la pseudo intelligentsia France Culture-Nouvel Obs, ce serait intéressant que Gonzai fasse un article là-dessus, soit-dit en passant, n’est-ce-pas là le nouvel underground, la nouvelle avant-garde ? Il paraît évident que des gens comme Oskar Freysinger ou Geert Wilders, ce n’est pas la vieille droite à papa.