Vous n’avez certainement jamais entendu parler de lui, mais Roxy Gordon était fourré dans à peu près tous les bon (et mauvais) coups de la seconde moitié du XXe siècle. Tour à tour journaliste, poète, activiste amérindien et chanteur partageant la scène des plus grands noms country-folk des 60-70s, il est surtout un esprit libre à l’œuvre riche et inclassable. Ce 12 mai dernier, son album de 1988 « Crazy Horse Never Died » a été pour la première fois réédité chez Paradise of Bachelors.

Avec sa dégaine de Hells Angels en jean ou en pantalon de cuir, bandana noir sous son chapeau de cowboy, tatouage d’aigle sur le bras et lunettes Aviator réfléchissantes, Roxy Gordon n’avait pas vraiment l’air d’un tendre. Mais l’habit ne fait pas le moine. Et s’il serait réducteur de résumer un tel personnage à un vieux dicton, c’est qu’il en était la parfaite incarnation.

Après quelques études trop longues à son goût à l’Université de Dallas, où il fonde un magazine de littérature avec Judy, son épouse de toujours, Roxy devient petit à petit une importante figure créative du mouvement outlaw country. Il sillonne les routes du Texas et du reste du pays avec ses amis Billy Joe Shaver, David Allen Coe, Waylon Jennings et Willie Nelson, partageant occasionnellement la scène de quelques rades avec eux. L’une de ses plus grandes amitiés est peut-être celle avec Townes Van Zandt, avec qui il entretient une relation quasi fraternelle, lui faisant passer en douce une flasque de vodka avant un concert de charité contre l’usage de drogues et d’alcool dans une réserve Indienne. Quelques mois avant de passer l’arme à gauche, Townes dort encore régulièrement sur le canapé de Roxy, transformant en salle de concert intimiste son hétéroclite maison remplie de reliques amérindiennes.

Au sein de ce groupe d’iconoclastes, pour qui la guigne et la misère semblent être un véritable idéal de vie, Roxy fait toutefois figure d’électron libre. Sur ses trois albums sortis de son vivant, il transcende les codes de la country, privilégiant souvent le spoken word au chant et troquant souvent sa guitare pour d’étranges synthétiseurs. Son approche viscérale et expérimentale transforme l’ordinaire et l’absurde en poésie : sur Junked Cars, Gordon livre une ode élégiaque aux épaves de voitures qui peuplaient les plaines désertes de son enfance, comme autant de traces de vie humaine dans l’immensité du monde rural. Dans Indians, il divise le monde en deux catégories : Indiens et non-Indiens, les premiers comportant par exemple Hank Williams, Chuck Berry, Pancho Villa et la viande rouge contre New York, Michael Jackson, la ponctuation et le FBI.

S’il est acclamé par ses pairs comme poète et musicien, l’œuvre de Roxy est aussi intrinsèquement liée à son activisme politique. Lui-même de sang Choctaw (ses amis le décrivaient comme « moitié Choctaw, moitié Texas Ranger, moitié Outlaw »), il embrasse cette culture dès sa jeunesse et militera toute sa vie pour les droits des Amérindiens, avant d’être adopté sur le tard par une tribu Assiniboine qui le nommera « First Coyote Boy ». Ses faits d’armes comportent notamment la création d’une antenne de l’American Indian Movement à Dallas, avec laquelle il s’engage dans la lutte pour la libération de Leonard Peltier, un natif américain accusé du meurtre de deux agents du FBI et condamné en conséquence à deux peines de prison à perpétuité. Évidemment, la musique et les poèmes de Roxy seront des canaux privilégiés pour diffuser son militantisme, notamment sur I Used To Know An Assiniboine Girl ou An Open Letters To Illegal Aliens, longue litanie contre l’accaparation de l’Amérique par les colons européens et l’introduction de leurs maux dans le monde sauvage, qu’il comparera à plusieurs reprises au conflit israélo-palestinien.

Au crépuscule de sa vie, Roxy Gordon a signé une autobiographie, plusieurs albums et recueils de poèmes, après avoir partagé la scène avec Bob Dylan, Erykah Badu et la plupart de ses cowboys préférés. Il a parcouru l’Amérique en long, en large et en travers, quittant la vie mondaine de Dallas pour habiter une vieille cabane de famille, visitant régulièrement la côte Ouest et ses amis Jim Morrison et Richard Brautigan. Puis, en 1997, à la mort de son père, Roxy s’installe finalement avec sa mère et sa grand-mère quasi centenaire, avant de lui-même s’éteindre au tournant des années 2000 après une vie passée à ne rien se refuser, pas même la cirrhose de fin de parcours qui a emporté un tiers de ses anciens compagnons de route. Comme il le chantait dans Indians, « expecting to live forever won’t ever be Indian ».

Roxy Gordon // Crazy Horse Never Died // Paradise of Bachelors, réédité le 12 mai 2023
https://roxygordon.bandcamp.com/album/crazy-horse-never-died

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