Comment faire carrière dans le cinéma expérimental, gagner un Emmy Award puis, à 65 ans, débuter une carrière dans le collage ? Reconversion absurde, mode d’emploi avec Guy Maddin, actuellement à l’honneur à la Film Gallery avec la première exposition consacrée à ses « découpés-collés » qui prouvent qu’il n’y a pas d’âge pour retomber dans les pots à crayons de l’école des couleurs primaires.

Si l’on vous dit « collage », vous penserez certainement au fils de votre sœur, ce gamin hyperactif de 5 ans avec son stick UHU et ses lamelles de papier gluantes qui laissent plein de marques sur la table basse – putain de gosse. Le collage, c’est également un sous-genre de plus en plus reconnu et diablement popularisé par Instagram grâce à des artistes comme Joe Webb, dont la réputation n’est plus à faire.

 

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Tous les artistes de cette scène, pourtant, n’ont pas 25 ans ni un Macbook à disposition pour faire joujou avec des images scannées. On pense à Picasso, le précurseur, mais également à John Ashbery et désormais à Guy Maddin, un cinéaste à qui l’on doit Archangel, My Winnipeg ou encore Pages From A Virgin’s Diary, et qui occupe son temps libre entre deux films en organisant des séances de collage au Canada, où il est devenu un professionnel de la juxtaposition des images.

Alors qu’il est exposé pour la première fois à Paris, à la Film Gallery, interview en terrasse avec ce barbu jovial pour comprendre comment un hobby improbable peut devenir une obsession professionnelle qui, littéralement, colle à la peau.

Bonjour Guy, The Secret of the Milky Moonfrocks est votre première exposition de collages à Paris. La question est évidente mais, quel effet ça fait ?

Flatté, évidemment. Quand je suis entré dans le monde du cinéma, c’était par la porte de derrière, dans la trentaine. Je suis complètement autodidacte, et je me suis retrouvé dans des festivals à coté de mecs qui faisaient ça depuis des décennies. Maintenant que je fais des collages, j’ai le même sentiment ; me voilà entré dans le milieu de l’art par effraction et je me demande franchement quand on va me foutre dehors ! J’ai vraiment l’impression de porter un masque, et que quelqu’un va finir par passer par là pour me l’enlever criant « tu es Guy Maddin, t’es pas sensé être là ! » Faudrait que j’achète un masque de Gary Grant…

Ou de Jim Carrey pour aller droit au but.  

Ca ferait un bon collage conceptuel, aha ! Pendant la pandémie Covid-19, j’ai été victime de pas mal d’insomnies, à me demander quelle était ma vraie place dans le monde. Sans dire que j’avais des idées suicidaires, j’étais quand même pas loin. Et puis bon, finalement, quelque soit la valeur de mon art, j’ai fini par me dire que j’avais finalement de la chance d’être là, avec mes films et mes collages. On verra bien jusqu’où ça nous mène.

Guy Maddin, Tint (after Henry James), 2019, collage, 22 x 30 cm

Pour revenir au sujet essentiel, le collage, c’est censé être à la portée de tous les enfants. Mais techniquement, comment réussit-on un vrai bon collage ?

La majorité des collages que j’ai produit ont été réalisés lors de « collage parties » allant de 5 à 40 personnes. Je loue régulièrement un espace à Winnipeg – un restaurant – où je mets à disposition des magazines, de la colle, du vin et parfois même des femmes nues quand il n’y a pas d’enfant – parce que ça ne sert à rien si ce n’est installer une ambiance particulière. Tout le monde s’assoit avec ses ciseaux et fait des collages et franchement, ça donne des résultats très intéressants ! Même si c’est considéré comme un art à part entière, il ne faut pas oublier que le collage peut être fun. Il doit l’être en tout cas. Et j’avoue me sentir parfois coupable de prendre autant mon pied à faire ces trucs, c’est complètement immoral dans le monde artistique ! Ce qui est intéressant dans ces séances de collage collectives, c’est de sentir l’inspiration flotter dans l’air ; tout le monde s’inspire du travail des autres dans une ambiance très psychédélique. Je me souviens très bien avoir été profondément jaloux d’une gamine de 5 ans ; elle avait réussi le collage parfait et forcément quand j’ai tenté de faire la même chose, c’était moins bien.

« Après une séance de collage ; on est épuisé, mais avec l’impression d’avoir déposé son cerveau à côté de soi en oubliant la peur du jugement ».

D’où vient votre fascination pour les années 50 et 60 ? De Sinatra à Dean Martin en passant par tous ces découpages de photos tirées de Life magazine, toutes vos créations renvoient à la fois à un monde qui n’existe plus et qui, de par vos assemblages, devient complètement intemporel.

J’ai eu plusieurs phases obsessionnelles, notamment une sur Jerry Lewis et Dean Martin, une autre sur les Three Stooges quand j’enseignais à Harvard, au point que ma nana me tabassait avec les magazines tellement elle n’en pouvait plus. Évidemment, toutes ces références renvoient à ma propre enfance. Globalement, j’aime bien l’idée qu’une seule chose puisse procurer plusieurs émotions contradictoires, du rire, du mystère, de la tristesse. Et le meilleur exemple de ça, c’est encore Jerry Lewis.

Guy Maddin, Call of the Wild, 2018

Selon vous, l’art du collage a-t-il à voir avec des mouvements littéraires tels l’écriture instantanée ou le cut-up ?

Totalement. N’importe qui a déjà fait des collages sait qu’on peut passer des heures à bouger des images les unes au dessus des autres, et ça ne donne rien. Et puis en un instant, quand le cerveau se débranche, on tente un truc sans y réfléchir et CLIC, c’est là. Ca me fait penser au jour où j’ai dû réaliser un shooting photo avec Isabella Rossellini, une actrice que j’ai souvent utilisé dans mes films. Avant la séance, elle me dit : « j’ai un vrai pouvoir sur l’objectif, selon les poses que je prends, j’arrive à déclencher l’appareil à distance, c’est moi qui fait cliquer le photographe ». Après ça, je me suis pissé dessus : comment savoir si j’allais cliquer au bon moment avec elle ? Heureusement que mon appareil avait la particularité de prendre beaucoup de clichés à la seconde… Tout ça pour dire que le collage, c’est pareil. Il faut savoir cliquer au bon moment. Et quand cela arrive, c’est une sacrée émotion. On est à la limite de l’auto-thérapie, et je me fous d’être en compétition avec tout Instagram, où l’on trouve désormais des centaines d’artistes faisant la même chose que moi. Je laisse les ciseaux dériver sur le papier de la même manière que je filme en me laissant guider par les situations dans le champ. Parfois au réveil le lendemain, on se rend compte que tout est à jeter ; parfois une œuvre sort du lot, c’est le fruit du hasard. Mais c’est quasi impossible d’être énervé après une séance de collage ; on est épuisé, c’est vrai, mais avec l’impression d’avoir déposé son cerveau à côté de soi en oubliant la peur du jugement.

Guy Maddin, Sans titre, 2018, collage, 18 x 17 cm

La complexité d’un bon collage, si je suis le raisonnement, c’est de ne pas être trop réel non plus, sans quoi ce n’est plus un collage. Il doit à la fois exprimer un sentiment de vérité et être une illusion d’optique.

C’est comme si vous réalisiez un hologramme de votre tante Edna, et que cet hologramme serait si réussi que vous auriez l’impression qu’elle se tient devant vous. Ce serait flippant non ? Un collage, c’est pareil.

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Collage extrait du Flying Circus des Monty Python

Pour finir, je pense aux collages amateurs réalisés par Terry Gilliam, et qui tapissent le Sacré Graal ou le Flying Circus des Monty Python. Étant réalisateur et colleur, n’avez-vous jamais pensé à animer vos créations pour un court-métrage ?

Évidemment, mais je n’ai pas encore réussi à passer le cap de la réflexion. Un très bon ami à moi, un réalisateur nommé Lewis Klahr, fait des projections de films avec des collages des années 60. Je pense que j’aurais trop peur de donner l’impression de le copier. Bon après, et c’est toute la subtilité de la chose, c’est que pour faire bouger des collages au cinéma, il ne faut pas… les coller !

 

Oui mais alors, question fatale : un collage sans colle, est-ce encore un collage ?

Aha ! Oui, un collage sans colle, c’est juste un « age » ! Disons que cela devient un collage métaphorique entre deux images. Un jour, ma compagne et moi traversions les Etats-Unis. C’était à l’époque où un gardien de zoo complètement fou s’était suicidé après avoir libéré des dizaines d’animaux dangereux : des tigres des éléphants et 78 lions ont commencé à traverser le midwest. Et c’est là qu’on était ! Des pancartes sur la route indiquaient « warning : des animaux exotiques sont en cavale ». Avec ma nana, on s’est regardé dans la voiture et on s’est écrié : « ça, c’est un collage ! ». Et pourtant là, il n’y avait pas de colle…

L’expo consacrée aux collage de Guy Maddin, The Secret of the Milky Moonfrocks est ouverte jusqu’au 29 octobre à la Film Gallery, 43 Rue du Faubourg Saint-Martin, 75010 Paris. Curation par Marie-Pierre Bonniol, The Film Gallery et le Centre culturel canadien à Paris. https://www.film-gallery.org/maddinex

Une rétrospective lui est également consacrée au cinéma l’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg 75010. Toutes les infos ici.

7 commentaires

    1. Les films de Guy Maddin m’ont fait triper la première fois que je les ai vu « Archangel » ou « Careful » en ne connaissant rien sur lui, ce qui a contribué à sa fascination.
      Persévérance toujours à l’ouvrir et toujours à côté du sujet comme d’hab’ .

  1. Mon jeune padawan fait des collages dix fois supérieur à ceux de Guy maddin ,les collages de Guy maddin c’est de la merde en barre 24 carats

    1. Encore un argument de pauvre nouille
      Trop facile
      Montres-nous déjà ce que fait ton « jeune padawan » pour voir et on en rediscute.

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