Gonzaï : C’est quoi le punk pour vous ? Le Grand Soir est-il un film punk ?
Gustave Kervern : Je ne pense pas que ce soit un film punk. Un film punk doit bousculer absolument tous les genres et nous, on peut pas dire qu’on innove. On ne fait pas de champ-contrechamp, ce qui est déjà énorme dans le cinéma moderne. Mais un film punk ce n’est pas que ça. Peut-être qu’on a un esprit punk dans la manière de faire des films, de les préparer, de les écrire, de les promouvoir. On s’est toujours revendiqué de l’art brut. Le punk, c’est « prends une guitare et fais de la musique ». Pour nous, le punk, c’est la chance qu’on donne à chacun.
D’ailleurs il y a une actrice débutante dans votre film. Comment est née l’idée de caster Brigitte Fontaine ?
On avait pensé à des comédiennes qu’on aime bien, comme Andréa Ferréol, et puis on a pensé à Brigitte. Elle n’avait jamais fait de cinéma et on aime ça. Le côté totalement neuf. Elle, c’est vraiment une punk, la dernière punk de la chanson française. Elle déborde à la fois de poésie et de rébellion, de spontanéité et de fragilité. Et puis, elle est capable de tout. Elle est difficilement gérable sur un plateau. Elle est très gentille, elle a envie de bien faire, elle connaît son texte. Mais elle est aussi capable de dire « ta gueule » à Dupontel au milieu d’une scène. L’envie de tourner avec elle fait qu’on s’adapte. C’est une rencontre humaine avant d’être un échange professionnel. Comme avec Kaurismäki (le réalisateur finlandais tient un rôle dans Aaltra, le premier film du duo Kervern/Delépine — NdA).
Et musicalement, le punk, ça vous évoque quoi ?
Le punk, ça a été tout et n’importe quoi. Tu as Iggy Pop, Suicide, les Sex Pistols qui sont emblématiques, mais il n’y a pas qu’eux. Les New York Dolls disent avoir créé le mot. Et toute la mouvance alternative française dans les années 1980 était vraiment punk. La Mano Negra des débuts, ça rigolait pas. Ils étaient combattifs. Les Béru aussi. Ils se revendiquaient du situationnisme, avec une pensée politique, brouillonne soit, mais quand même présente.
« La musique de film, c’est un peu comme une aide à la personne. »
Vous parlez de Bashung, de Suicide, des Sex Pistols, de la Mano, autant de groupes/artistes qui ont disparu ou devraient peut-être y penser. Vous êtes nostalgique, ou vous vous prenez encore quelques claques musicales aujourd’hui ?
C’est vrai qu’on ne peut être que nostalgique en écoutant les milliers de groupes qui ont contribué aux débuts du rock’n’roll, des groupes qui n’avaient aucun plan de carrière dans leurs têtes souvent farcies aux diverses drogues et spiritueux. C’est cette spontanéité créative et suicidaire qui manque aujourd’hui. Je n’écoute plus grand’ chose, je me tiens vaguement au courant mais je préfère, c’est vrai, les chanteurs morts. Au moins on est sûr de pas les voir chez Drucker.
En gros le punk, c’est un peu le bordel comme notion, non ?
C’est un peu un méli-mélo de chèvre chaud, ça donne tout et n’importe quoi et c’est ça qui est bien. On est dans cette lignée-là depuis Groland. On n’a pas de plan de carrière. On navigue là-dedans en travaillant avec des gros capitalistes, et à la fois en voulant faire un doigt d’honneur.
En parlant de doigt d’honneur, Cannes fut un festival !
Je revendique des trucs comme le concert des Wampas à Cannes, mais les doigts d’honneur c’était une erreur. C’est l’effet tapis rouge.
Vous avez évoqué Groland. Le générique marque d’emblée son appartenance au mouvement punk. Pourquoi avoir choisi ce morceau emblématique ? Une façon de poser le décor d’un JT subversif ?
Ce n’est pas moi qui a eu l’idée du générique « sexpistolien » de Groland, mais l’idée était surtout d’incorporer un décalage de cet hymne punk à travers le recours à des cors de chasse, c’est-à-dire l’un des instruments les plus cons qui existent, juste derrière la flûte de pan et la scie musicale.
Pour revenir au Grand Soir, on peut dire que la musique est une sorte de fil rouge ?
On n’a jamais réussi à foutre de la musique dans nos films. On trouve que ça fait plaqué. On déteste l’idée de mettre des violons quand on veut faire pleurer. On a commencé avec Gaëtan Roussel (il a composé la musique du film Louise-Michel). Mais on lui a dit : « Surtout fais de l’art brut, pas de morceau mélodieux. » Pour Le Grand Soir, comme c’était un peu punk on s’est dit « Tiens, on peut mettre les Sex Pistols. » Mais à 50 000 euros la minute… Et l’harmonica de Bashung, deux titres de Fontaine et Cantat dont un inédit, c’est juste miraculeux. J’aurais bien aimé mettre un morceau de Bashung, c’est mon chanteur préféré. Peut-être Rebelle. Mais l’harmonica, c’était un peu art brut et les chansons de Brigitte passent bien.
« Le Grand Soir, c’est un peu du western social. »
Pourquoi avoir évité la musique dans vos films ?
Maintenant sur un film tu as de la musique tout le temps. Un mec est dans une cuisine, t’as de la musique. C’est comme une aide à la personne. Pareil pour les mouvements de caméra. Il faut qu’il se passe quelque chose. C’est sans doute dû à l’habitude de la télé, que ça aille vite, le zapping. Il faut que ça bouge. Ça me fait penser à un morceau de U2 dans un film de Canet (Ne le dis à personne). Le film était bien, mais la musique… À un moment, le personnage tape sur un clavier d’ordi et la musique démarre. C’est pas possible. On a un vrai problème avec ce type d’utilisation. J’avais eu l’idée de Daniel Johnston sur Louise-Michel, ça correspondait bien à l’univers. Sa voix barrée, tout ça… Faut trouver des trucs qui collent. Mais je pense qu’on a réussi un mélange dans Le Grand Soir. Mon rêve serait de faire un film avec toutes les musiques que j’aime : garage, sixties…
Le Grand Soir lorgne aussi du côté d’un autre grand genre cinématographique, le western. C’est une source d’inspiration ?
J’ai été nourri de westerns quand j’étais jeune. J’étais un enfant de maintenant, mais il y a quarante ans. J’étais toujours scotché devant la télé. On arrivait de l’Île Maurice et j’avais pas trop d’amis. Maintenant j’ai du mal à en regarder. Pour la préparation, j’ai demandé à un ami de me prêter deux westerns, pour revoir le technicolor, ce bleu incroyable du ciel, l’ambiance. Je ne les ai toujours pas regardés… Mais il y avait cette envie. Et puis, la pataterie, c’est un vrai décor de western. Le Grand Soir c’est un peu du western social.
Comment le titre a-t-il été choisi ? La référence révolutionnaire n’était-elle pas trop lourde à porter pour un film certes social, mais qui joue aussi sur de nombreux autres registres (la mélancolie, l’humour…) ? Vous saviez que le titre avait déjà utilisé à trois reprises ?
On a beaucoup hésité sur le titre, « Le Grand Soir » étant pour moi un peu « vieillot » mais bon, on n’a pas trouvé mieux. On avait pensé à « Not dead », « Burn out », etc. Mais bon, ça n’allait pas non plus. Quand on parle du grand soir maintenant ça fait plus sourire qu’autre chose parce qu’on sait que c’est pas demain la veille, mais ça permet de garder l’espoir que « les choses changent », comme dit Poelvoorde dans le film. On se doutait que le titre était déjà pris mais bon… entre révolutionnaires, on ne se fait pas de procès.
Pour terminer, revenons au punk. Que vous évoque l’icône punk Iggy Pop devenue tête de gondole pour les Galeries Lafayette ? Qu’est-ce que cela signifie pour le mouvement punk ?
Ça veut dire qu’on vieillit. Et quand on vieillit, soit on se range des voitures soit on meurt. Lui, il a décidé de ne pas mourir. Sur scène, ça tient encore la route, il se donne à fond. Et puis il a suffisamment donné pour pouvoir reprendre du Charles Trenet. On ne lui en voudra pas.
Benoît Deléphine & Gustave Kervern // Le Grand Soir // En salles
2 commentaires
Merci Ursula. Dans le genre légèrement sordide, ces gars font les films les plus drôles. Bon idée cette interview.
quoi, qu’est ce qu’il a contre les scies musicales ? comparer le trombone et la scie musicale c’est un coup à prendre une télécaster dans la gueule, sauf vot’ respect m’sieur gustave