Tomber nez-à-nez avec une pile de BD de Gérard Lauzier au pied d’une poubelle du boulevard de Ménilmontant, c’est un peu comme avoir vu la vierge Marie à poil en train de danser le gangnam style à Lourdes : une aubaine. Mieux, un miracle eucharistique. Faut-il vraiment être con pour balancer sur le trottoir ces Tranches de vie, La course du rat et autres Lili Fatale comme s’il s’agissait d’une bouse de Paul-Loup Sulitzer ou de François de Closets ? Les bulles de Lauzier ont beau avoir 35 ans bien sonnés, parler d’une époque où Giscard jouait de l’accordéon à la télé en prime-time, où le col se portait pelle à tarte et la pilosité était érotique, tout ce qui est à l’œuvre aujourd’hui dans notre meilleur des mondes ultra-libéral y était annoncé : course au fric et consumérisme lobotomisé, solitude et misère sexuelle 2.0, cynisme et crétinisation ambiante… Bref, Houellebecq n’a rien inventé.
Et si Lauzier, plus connu aujourd’hui pour l’adaptation de ses albums sur grand écran (Tranches de vie et Je vais craquer avec l’ineffable Christian Clavier) ou sa contribution de scénariste à des films inégaux des années 80-90 (T’empêche tout le monde de dormir, Mon père ce héros…) que pour son travail de dessinateur, était finalement d’actu à l’insu du plein gré de l’imbécile qui a abandonné ses œuvres complètes dans un pauvre carton à la faveur d’un grand ménage de rentrée ?
Extension du domaine de la turlutte
Jeunes cadres arrivistes, artistes ratés, pubars honteux, ados attardés, petits bourgeois contestataires, baba-cool donneurs de leçons, intellectuels toujours partant pour une partouze, pères de famille cyniques, sont autant de sujets de railleries pour Lauzier. Pour Philippe Ostermann, son éditeur chez Dargaud, “une telle liberté de ton ne serait bien sûr plus envisageable aujourd’hui, tant Lauzier à la manière d’un Desproges ou d’un Coluche, ont été les précurseurs de cet humour grinçant et transgressif typique de la fin des années 70”. A l’époque, la vanne était décontractée du gland et comme Dewaere et Depardieu dans Les Valseuses: on pouvait se moquer des bourgeois et des arabes, des communistes et des juifs, des handicapés et des vieux, des hétéros et des homos, sans se faire taxer de racisme ou se retrouver avec Les Femen ou une manif pour tous sur le dos. “Lauzier c’était tout le contraire de quelqu’un de méchant ou de raciste, il était l’exact opposé des personnages qu’ils mettaient en scène dans ses BD. C’était un homme d’une politesse rare, gentil, qui avait un regard tendre et amusé sur le monde. Un vrai seigneur qui ne s’en prenait qu’aux cons”, assure Philippe Ostermann. Allez faire comprendre ça aujourd’hui aux obsédés du politiquement correct et autres Gaspard Proust.
L’humoriste ne s’est pas seulement contenté de dire une époque. Il a documenté le fonctionnement d’une machine idéologique qui a enterré mai 68 et converti la France du Concorde et du TGV aux principes de la “libre entreprise” et au culte du fric. Figure centrale de ses albums: le mâle occidental contemporain au bord de la crise de nerfs. Jeune loup stressé ou artiste raté, l’homo erectus de Lauzier se décompose dans l’enfer ordinaire de l’entreprise et des petits chefs. Et perd tous ses moyens face aux femmes, amazones parfois castratrices mais toujours fortes, intelligentes… et bien roulées (même les moches). L’auteur de La course du rat n’a pas attendu L’extension du domaine de la lutte ou 99 francs pour décrire la débandade du cadre triomphant. Quand il publie ses premières “tranches de vie” en feuilleton dans Pilote en 1974, Gérard Lauzier a déjà 42 ans et bien roulé sa bosse. Il fait en tout cas forte impression sur le red’ chef Goscinny: “Au milieu de tous les archanges qui nous entourent et qui pensent bien, il pense mal, c’est d’ailleurs le détail qui fait de lui, profondément, glandulairement, un humoriste”, écrit ce dernier à propos de son nouveau poulain.
Un certain malaise
Aux yeux de la critique gauchisante de l’époque qui le classe bêtement à droite, il passe néanmoins pour un épouvantable réac’ phallocrate. Tout faux. Même si sacrilège, il balance sur Saint Jean-Paul Sartre: “ Je suis sûr qu’il a eu une influence néfaste sur toute son époque. C’était un génie stupide atteint de don juanisme médiocre qui a dit des âneries hallucinantes sur le plan politique”. En fait Lauzier n’est ni de droite, ni de gauche bien au contraire comme dirait Desproges. C’est surtout un homme à femmes. Mais qui les aime et les respecte. “Pour moi les femmes sont saines même quand elles sont salopes. Ce sont les mecs qui sont tordus”, expliquera-t-il dans une interview filmée donnée à Angoulème en 2006, à l’occasion d’une expo hommage à Pilote. “Dans ses BD les femmes sont belles, intelligentes et surtout dominatrices. Pour moi c’était un vrai féministe”, confirme encore son éditeur Philippe Ostermann.
De fait, entre un père absent et une mère distante, Lauzier grandit entouré de femmes. Enfant, il vit entre ses deux grand-mères, “une pétroleuse communiste” et “une bourgeoise qui jouait de la harpe dans son salon”. Deux référents majeurs dans son éducation. Le petit garçon hésite entre trois vocations: peintre maudit à Montparnasse, écrivain de génie et officier méhariste… “J’ai toujours dessiné des petits bonshommes mais si quelqu’un m’avait dit que je deviendrais dessinateur de BD, je lui aurais craché à la gueule” dira plus tard l’intéressé au moment de recevoir son Prix d’Angoulême en 1993 (rapporté dans Tranches de Lauzier, une bande dessinée biographique cosignée avec Marie-Ange Guillaume). Diplômé des Beaux Arts en 1955, le jeune Lauzier prend le large direction Bahia do Brazil pour des vacances qui durent: il collabore comme caricaturiste à un quotidien de gauche, bosse pour une agence de pub…et oublie de se présenter à la caserne. A son arrivée en France, deux gendarmes l’attendent. Affecté dans un régiment para, il échappe à la guerre d’Algérie et sort de l’armée moins anti-militariste qu’il n’y est rentré ! Rien n’est manichéen chez ce Lauzier, qui a surtout le sens de la contradiction.
Retour au Brésil, où, manque de bol, il tombe en plein coup d’Etat militaire. L’ambiance est un peu trop chaude, Lauzier s’en va jouer les gringos foutraques sur une île au large de Bahia, où il aiguise son trait en dessinant la vie et surtout les filles locales. Il rentre à Paris en 1965 au bout d’un an, las de ce régime bordels-samba-cachaça. Le franc-tireur poursuit sa carrière de dessinateur de presse et colabore à plusieurs journaux: France-Soir, Paris-Presse, Paris-Match…et Lui dont le directeur de la rédaction – Paul Giannoli pas Beigbeder – part chez Dargaud en 1974 et l’emmène dans ses bagages pour publier une première BD érotique: Lili Fatale où les aventures d’une nymphomane en porte-jarretelles capable d’éclater conjointement les tronches de Chuck Norris et de Chris Tucker dans le décor de la jungle “Bobocalandaise”. Premier succès critique. Tout y est déjà: cul, provoc et dérision… S’en suivront quinze albums. Des classiques du genre qui dépeignent avec férocité – à la manière des Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac – les rebelles de salon aux dents longues et aux idées courtes, la gauche bientôt caviar, les années de fête et de fric, les artistes maudits et les gentils idiots. Tout compte fait, des sujets de raillerie qui collent parfaitement à l’époque, la notre, dans tout ce qu’elle a de pire aujourd’hui. Sauf que depuis, on a salement perdu le sens de l’humour et l’auto-dérision.
12 commentaires
Formidable Lauzier, j’ai jamais pigé pourquoi ses bd n’étaient pas rééditées.. Voilà donc qui est chose faite. En revanche je ne suis pas d’accord avec votre article, on pourrait très bien se moquer aujourd’hui comme le faisait Lauzier à l’époque. C’est à dire de manière très fine et acide. Juste qu’on n’a pas vraiment d’humoristes, d’auteurs de son calibre, capables de railler sans insulter. Le problème c’est que la plupart aujourd’hui se contentent de faire les malins, ils n’analysent rien et ne font que réagir aux faits divers et à « l »actu » (mais l’actu d’il y a 48 secondes). En gros ce sont de vulgaires animateurs TV, pas beaucoup plus.
Le personnage est passionnant, ses reeditions excitantes, en revanche, helas, trois fois helas, l’article est nullissime, mal écrit et bas de plafond – et ce n’est pas la première fois que son auteur se vautre dans la fange du cliché ecule, de la vanne a deux balles et de la vulgarité vaine. Michel Houellebecq lui-même n’aurait pas osé ce jeu de mots rance ; et les allusions politico-philosophique relèvent plus d’un que sais-je mal digéré qu’autre chose .
Aucune perspective, rien de plus qu’une énième resucée de ce que l’on sait, jeux de mots cala-miteux, Lauzier réédité méritait mieux que cet article masturbatoire aussi peu excitant que le dernier Lui.
N’écrit pas sur le sulfureux , la provoc’ qui veut, sans virer dans le bas de gamme crapoteux. On a connu Gonzai plus inspiré, l’auteur ayant déjà fait injure à la mémoire de Paul Guegauff avec ce mele arsenal d’écriture pauvre et vulgaire. Un survol du sujet, et aucune nouveaute, anecdote de choix en vue… C’est dommage
@Marie-Anne L Votre commentaire c’est un peu l’art vain de la trollitude qui démonte pour démonter, ne démontre rien et jouit de sa hargne pathétique et solitaire. Il est confortable de dauber sur les écrits d’autrui, bien caché derrière son écran blafard, sans rien montrer de sa propre prose…si tant est qu’elle existe. Du Troll contemporain, Lauzier aurait sûrement fait un sujet s’il avait vécu assez longtemps pour voir ce que l’internet est devenu. A se demander « d’où vous parlez » comme disait un cher disparu. Mais la réponse n’intéressera sûrement personne ici. Moi je le trouve très bien ce papier. A bon entendeur…
HI M. John Lolster
Le votre est l’art de la platitude. qui démontre le paradoxe du troll !! Ne daubez vous pas derrière votre pseudo … Lol… ? Nettoyer votre écran et montrer votre prose, avant de vous attaquer à autrui. Merci donc à Marie-Anne L pour son commentaire sur un papier à la limite du scatto
Attention à la grammaire !
Je ne vois pas dans l’article de Marie Borgen quoique ce soit qui mérite une telle hargne. Le fond résume parfaitement l’intérêt de cette réédition, l’actualité et l’intemporalité du talent de Lauzier. Quant à la forme, je ne lis rien de fangeux, de crapoteux, en tout cas qui mérite une diatribe si violente. Mon conseil: réglez vos problèmes personnels avant d’envisager d’en faire étalage sur le net. A bon liseur…
Je ne comprends pas votre commentaire. Cet article est un excellent résumé de la carrière de Lauzier. Je n’ai pas vu de cliché éculé, ni de vanne à deux balles ; quant aux allusions politico-philosophiques, de quoi parlez-vous ? Et je suis désolé, mais « Extension du domaine de la turlutte », c’est bon comme jeu de mots ! On vous sent aigrie.
Je suis fan de Lauzier et je suis assez d’accord avec votre commentaire, le ton de cet article jette un faux jour sur son oeuvre caustique et profonde. Lauzier était plus un moraliste qu’un humoriste, ou plutôt il était les deux, et ne faisait pas de la caricature, mais de la description clinique. Comment s’adapter à la société qu’il décrit? C’était celle où j’avais le malheur de me trouver à 20 ans.
Chère Marie-Anne L
Je suis profondément déçue d’apprendre que votre savoir encyclopédique sur Gérard Lauzier ainsi que votre amour du verbe châtié vous aient empêché d’apprécier ce modeste papier. Je vous conseille vivement de vous mettre à la turlutte, ce qui vous détendrait et vous éviterait d’avoir un ton aussi haineux. Je vous invite à proposer une de vos publications savantes chez PUF à Gonzai.
Crapoteusement vôtre.
L’auteure.
Ah mince, ça me rappelle que j’ai la collec complète sauf Lili Fatale et Tranches de vie 2, qui me les vend ou me les prête?
Enfin, MERCI de nous déterrer Lauzier.
Le grand drame, et il est pointé, c’est qu’à part les « maos » qui ont disparu du paysage (ou en tous les cas qui n’ont plus l’omniprésence politique qu’il avait entre 70 et 80), rien ne semble avoir changé. Il a même deviné l’arrivée des bobos alter-mousdialistes (cf. la planche de la famille émigrée chez les « bamilongos » où le couple de blancs becs à poil déclarent: « On a pensé à la Lozère mais c’est trop saturé de résidences secondaires et de prolos qui se cherche un sens à la vie » « Ici c’est le vrai retour à la vie simple, l’eau est à 18 kilomètres, d’ailleurs Jean-Michel a écrit un livre sur ce que ça fait d’aller chercher l’eau si loin, l’expérience… on fait la soirée de lancement au Fouquet’s le mois prochain, j’ai déjà choisi ma robe chez Saint-Laurent ». Tout est là chez Lauzier, Même Dominique Strauss-Khan! Cf le tome 3 de tranches de vie.
Merci ! Si vraiment intéressé, j’ai en ma possession le tome 2 des tranches de vie 🙂 que je peux prêter bien volontiers.
J’arrive un peu tard dans la discussion, mais Lauzier a toujours été mon guide spirituel. Je suis content qu’il soit redécouvert par certains. Lors de sa mort, il n’a inexplicablement pas eu l’hommage qu’il méritait dans les pages culturelles de mes journaux favoris.