Fétichiste des images du Durt, Gonzaï en profite et paye le Picon-thé pour en savoir plus sur l’artiste qui ne sait toujours pas dessiner mais continue de décimer haut la main tous ses confrères de bacs. Après deux tentatives tombées à l’eau, nous l’avons enfin eu au bout du micro. Avec, en spécial bonus, la recette de la chambre à gaz au poppers….
Gonzaï : Salut Elzo, enchanté d’enfin te rencontrer. Tu te souviens, on devait se voir à Europunk pour un portrait croisé avec Kiki Picasso ?
Elzo Durt : Oui, et je suis jamais arrivé, désolé… J’étais… C’était un weekend corsé, on avait fait la fête à l’infinie et je pouvais plus bouger. Dommage, ça aurait été chouette en plus. En plus j’avais déjà bossé avec Kiki, au cours d’une exposition à Bruxelles et d’une série de concerts, et d’un disque qui compilait tout ça. Pour Deus Ex Machina aussi, on sort un 45 tours avec Cheveu, Pierre & Bastien et Violence Conjugale et ça tourne autour du thème de l’expo. Les Cheveu ont fait un morceau en latin.
Tu as exposé des centaines de fois, beaucoup en France, qu’est-ce qui t’as motivé cette fois-là ?
Ouai, peut-être 150 fois en Europe. Avant je partais avec mes affiches sous le bras et j’allais les poser. La sérigraphie ce sont des images qui se roulent, et par exemple ce mois je suis allé poser des images dans 4 galeries (Marseille, deux à Paris, et Bruxelles). Mais j’en ai marre, je voulais changer de support, donc là, j’ai décidé d’investir les thunes que j’ai pris sur la galerie Red Bull pour faire un truc super classe entre des plaques de Plexi (des Diasec). C’est plus grand, moins transportable, mais pour avoir accès aux plus grandes galeries, il faut passer à autre chose. Sinon je vais rester dans les squats et les librairies avec mes sérigraphies. Je vais passer à d’autres manières pour sortir mes images.
Elzo Durt, ce n’est que du travail à l’ordinateur ?
Que de l’ordi, du Photoshop, et jusqu’à très récemment avec un scanner normal. Une image c’est un collage de plein de trucs, BD, vieilles gravures, n’importe quoi. Avant j’avais un atelier, maintenant je bosse de chez moi et j’achète beaucoup de vieux bouquins car je dépends trop de ma documentation. Ce qui est le plus important dans mon métier, c’est ma base de données de malade. Mieux je la connais, mieux je peux réagir sur un sujet. J’ai illustré pour Le Monde là, j’avais 20 heures pour faire une image.
Comment tu ranges tes disques et tes images ?
Le rock c’est rangé par ordre alphabétique. La techno c’est le bordel. Le gros bordel. Pour les images je garde les livres. Donc ça devient le gros bordel aussi. Je n’archive pas dans mon ordinateur, je scanne toujours des images fraîches. C’est déjà difficile sur la longueur de travailler vite, de trouver du pognon, de ne pas se répéter, donc je préfère devoir re-scanner une image si j’en ai à nouveau besoin.
Tu travailles en tunnel de boulot ?
Oui je peux bosser 20 heures d’affilée. Je me suis déjà fait des deux jours non stop. J’aime bien rentrer dans un truc et le finir, sentir l’aboutissement. Mais c’est pas automatique, parfois une image, je l’ai quasi fini et je bloque, je reviens dessus plus tard.
Comme tu ne dessines pas, quel est ton point de départ pour une image ?
Par exemple pour ma série de portraits, je pars d’un élément principal. Ici sur mon tee-shirt c’est un litchi ou un ananas. Et après je commence à travailler dessus, colorier, poser des yeux… C’est comme du dessin, sauf que l’ordi te permet de revenir en arrière. De tester les couleurs.
« Un chouette rose ca marche toujours ».
On dit que les mecs maitrisent mieux la forme et les filles les couleurs. Chez toi il y a un truc très libre dans celles que tu utilises.
Les couleurs j’adore ça, c’est instinctif chez moi, même si finalement le spectre n’est pas énorme : un chouette rose ca marche toujours. Puis c’est aussi la voie royale pour rendre les images contemporaines, alors qu’il s’agit de gravures du 17ème ou 18ème siècle. Le noir et blanc pourrait marcher, mais la couleur transforme l’essai.
Dans tes images, on voit bien deux imageries opposées entre le côté rock des portraits, des cartes à jouer, et les scènes sacrées de Deus Ex Machina, non ?
Non il y a plein de trucs différent [il me regarde avec des yeux qui disent qu’il va me tuer parce que je ne comprends pas son art, non je plaisante, il est trop gentil]. Disons qu’il y a deux boulots très différents ; l’affiche qui doit communiquer un message, et l’illustration, que tu maitrises à force de bosser et d’accumuler de la doc’.
Ok, mais Deus Ex Machina, c’est que du divin ?
Je voulais que cette exposition-là ne parte pas dans tous les sens. Même si tu retrouves deux portraits (un pape et une nonne), j’ai fait des grandes scènes, des vitraux lumineux, des choses très différentes du boulot d’affichiste. Il fallait que je trouve un thème, mais Deus Ex Machina c’est aussi parce que ça fait longtemps que je pars de ce genre d’images, il y a tellement de doc’… Bien que je sois complètement athée, c’est un thème qui me fascine – je visite toutes les églises que je croise. Et puis c’est rigolo de détourner ces images.
Il y a aussi un côté trash dans tes dessins, mais grâce aux couleurs ça reste très positif, très gai. C’est le retour qu’on t’en fait ?
C’est moins trash que ce que je faisais au début. À l’époque on me disait que je faisais du « trash », mais c’est pas tout à fait vrai. Par exemple au Dernier Cri (maison d’édition marseillaise culte dans le genre et dont Elzo est proche, nda), c’est systématique, ils mettent des écorchés, du cul, etc. Avant j’étais attiré par les images anatomiques, plus forcément maintenant. Après j’ai ce truc d’affichiste qui fait que mes images restent imprimées dans l’esprit des gens, d’où ce genre de perception parfois.
« Mon rêve c’était de faire des pochettes pour mes groupes préférés (…) Les mecs avec qui je bosse aujourd’hui, ils vendent pas vraiment de disques. Et ceux qui en vendent, ils payent pas forcément, disons… »
D’où te viens ta vocation ? Tu es autodidacte, mais tu as quand même fait une école ?
Quatre ans à l’école de graphisme Erg à Bruxelles. Au début c’était pas très beau, ça a commencé à venir au bout de la 2ème ou 3ème année. Grâce aux rencontres beaucoup. Les gens du Dernier Cri par exemple, quand tu vois des fous furieux capables de vivre en sortant des bouquins de sérigraphies tout le temps, sans jamais faire de concession. Ça m’a ébloui. Puis est venu l’ordinateur, grâce à un copain patient qui m’a montré. C’est un truc qui me fait chier à la base, mas là je le vois comme un outil, plus comme un ordi. Au début, j’y croyais pas vraiment, mais mon rêve c’était de faire des pochettes pour mes groupes préférés. Et puis là encore ce sont des rencontres. Les Oh Sees m’auraient pas demandé s’ils ne m’avaient pas rencontré avant.
Scénario différent : tu penses que tu aurais pu être publicitaire ?
Je ne sais pas j’ai jamais travaillé dans des bureaux, mais la publicité ne m’attire absolument pas, même si en France c’est un peu moins pire qu’en Belgique je crois. Je pourrais le faire, défendre une marque. Je préfère faire mes images, même si ça ne fait pas bouffer de faire des pochettes de disques (je suis souvent payé en disques…). En plus les mecs avec qui je bosse, ils vendent pas vraiment de disques. Et ceux qui en vendent, ils payent pas forcément, disons…
Genre La Femme ?
Bah par exemple, oui ça n’a pas été cool. On m’a coopté sur la pochette à la dernière minute, et comme je suis mauvais négociant on n’a pas parlé d’argent, donc je peux pas dire qu’ils sont pas réglo. Mais ça sortait chez Universal, et quand on fait du pognon avec un album, je suis d’avis qu’on partage avec les gens qui ont bossé dessus. Là, ils m’ont payé comme une merde, et après ils sont venus me demander les calques de la pochette pour retoucher et sortir en cassette chez Burger Record. Donc non : vous m’avez payé comme une merde, je file pas les calques. Mais surtout : je veux pas qu’on aille pourrir mon image, ça serait le plus grave.
Merde. Sinon c’est toujours la galère ?
Je suis chômeur depuis que je suis sorti de l’école parce que je ne peux pas faire autrement. C’est pas normal, je devrais pouvoir vivre de mon boulot. Seulement mes images attirent plus les sans sous que les gros sous. Mes affiches coutent entre 100 et 120 balles, elles plaisent aux kids, mais ça n’est pas rentable. Je veux me présenter à un nouveau public avec Deus Ex Machina.
C’est vrai que vous avez vraiment gazé une salle de concert au poppers ?
Ouais ! Et cest comme ça que le lendemain on a décidé de sortir le disque de Scorpion Violente sur Teenage Menopause (Essaie Pas, JC Satan, Le Prince Harry, Catholic Spray…). Alors la recette c’est tout con : tu prends une machine à fumée, tu mélanges le produit de la machine à fumée avec du poppers (un ou deux flacons) et puis c’est tout. C’était drôle car ça ne sentait rien. Mais bon, tu le fais une fois pour déconner. Ce soir-là, la machine a tourné tout le temps, c’était un carnage. Je ne me souviens plus de tout, mais on est devenu bien tarés…
Deus Ex Machina, à la Galerie 12 mail, du 26 septembre au 14 novembre // 12mail.fr
http://elzodurt.com/