Ce que le public cherche ici, c’est la construction progressive d’une image éminemment morale : celle du salaud parfait. (Roland Barthes, « Le monde où l’on catche », Mythologies)
Je savais qu’il allait en enfer. Mais ça avait l’air si cool, tout en en bas, que je voulais aussi aller voir. (Nick Kent évoquant Keith Richards, L’envers du rock)
GQ, le magazine des hommes CSP +, urbains et actifs, l’affirme : Zac Efron, Thierry Henry et Robert Pattinson incarnent L’HOMME MODERNE………………………………………………. (Dix secondes de silence) Vous ne voulez pas ressembler à ça ? Moi, non plus. Une alternative : Randy Orton.
Un tramway nommé Désir. Blanche retrouve Stanley, son beau-frère, ce putain de « polonais » joué par Marlon Brando. Le parfait salaud, alcoolique violent, claquant sa sœur Stella au moindre mot de travers… Mais la frangine est pourtant à deux doigts de mouiller sa petite culotte, quand Tonton Brando, rentrant de l’usine, fait sauter le t-shirt moulant.
Le bon vieux coup de la citerne hormonale. Imparable, malgré une voix d’ado prépubère. Mi- homme, mi-bête, et assez de testostérone pour introduire l’ambigüité la plus troublante dans les revendications paritaires hommes-femmes. Randy Orton joue dans cette catégorie, composée de bestiaux toujours à la limite de la beauferie primitive, force centripète puissance 10. Rien n’a été facile pour autant. Rien n’est facile après tout… Le Legend Killer qu’ils l’appelaient à ses débuts. Un Billy The Kid prêt à défoncer n’importe quel combattant estampillée « future légende », tel un Rastignac en slip. Pendant quelques années, Randy œuvre ainsi pour le renouvellement des générations façon raz-de-marée à Phuket en affrontant successivement la crème des gladiateurs : Randy vs l’Undertaker, Randy vs Hulk Hogan, Randy vs Mankind, etc.
Aucun respect pour les anciens sauf pour Papa – « Cowboy » Bob Orton – qui aide à accomplir les basses besognes au moindre coup de mou de son garçon. Côté physique, en dépit d’un morphotype des plus agréables pour un catcheur, Orton Junior ressemble alors à l’un de ses petits avortons collégiens qui vous menaçait si on ne lui passait pas la balle au foot. Un connard disiez-vous, le primitif bas du front, mais qui sortait avec les plus belles filles, de l’école-puis-du-collège (du 90 C à 14 ans, merde alors !) puis-du-lycée alors que vous peiniez à furer Emilie, second-couteau-planche-à-pain de la 4e3 tout en essayant de faire abstraction de ses boutons d’acné rouge saumon sur la tempe et sur les joues. Connard. Connard. On ne te pardonnera pas.
Randy, fils de…
Randy, gueule de p’tit con…
Juré, on ne te pardonnera pas.
De l’eau a coulé sous les ponts : Papa est retourné garder les vaches et Fiston est désormais accompagné de sbires, eux aussi, rejetons de catcheurs émérites, avec pour mission d’assurer « l’héritage ». Et plus que jamais, Randy est dans la place. Visage creusé, crâne rasé, corps toujours bien huilé, – sûrement une bouteille de vaseline par show – et la voix… Pas un bonbon dans la gorge mais des sacrés bâtons de réglisse à chaque corde vocale…
Un petit attirail biologique au service du feint psychopathe qu’il est : le Legend Killer est du genre à rouler des pelles à Steph Mac Mahon inconsciente, sous les yeux de son mari, Triple H, menotté au coin du ring et a fortiori condamné à regarder. Ou encore couper la chique à cette même Stephanie avec un bon vieux RKO quand elle lui reproche d’avoir passé à tabac son frangin. M’voyez (à partir de 1’10)…
Randy Orton est un salopard, un méchant : un heel dans le monde de la lutte scénarisée. Et comme tout bon catchesque salaud, Randy joue avec les règles du jeu, remportant la plupart de ses matches en trichant, b(i)aisant les lois pour triompher, contestant ces dernières quand elles le mettent le nez dans le tapis. Avec tout ce dossier, Randy chéri devrait se faire conspuer par la totalité de l’assistance qui garnit les complexes sportifs américains… Mais l’animal conserve un noyau dur comme le sein de Stallone, ratissant bon nombre de suffrages de sympathie.
Qui n’aime pas Randy Orton ?
Les jeunes filles en fleurs fans de Twilight ou les enfants de moins de dix ans lui préférent John Cena, le Marine crétin droit dans ses baskets… Mais peut-on compter sur les enfants ? Bien sûr que non ! Trop petits, trop faibles, trop cons. Quelle est leur place dans l‘histoire ? Leur participation à la résolution des conflits de l’humanité est quasi-nulle ! A-t-on vu des enfants conduire des avions durant la Seconde Guerre Mondiale ? Non. Alors soyons sérieux, que diable !
Randy Orton incarne LE contrepoint parfait aux stéréotypes célébrés par la kids era, portant aux nues les héros sans aspérités qui font vendre des figurines, des ceintures de champion en plastique et autres produits dérivés dans le Toy’s’Rus le plus près de chez vous. « Hey, mon gars, on vend aussi des figurines à l’effigie d’Orton » me dira-t-on. Certes. Dans ce cas, réjouissons-nous-en : voila enfin un signe de distinction crédible entre un enfant en bonne santé mentale et un autre parfaitement crétin ! Le gamin fan d’Orton arrive lui, à accomplir des allers-retours entre une réalité où on le bassine avec des devoirs moraux « think positive » et – un spectacle – le catch – où il vénère le mâle incarné.
Car bien au-delà de la réinterprétation moderne du théâtre de Guignol, le catch propose ici une vision d’un homme débarrassé de ses conventions sociales et de ses complexes jekylliens. Dans tous les cas, Randy est un salaud et il ne le regrette pas : il y a du Mister Hyde en Randy Orton. Il est la face B, le côté obscur dénué de conventions sociales et d’hypocrisie, le lieu où l’on n’est pas réveillé par le soleil et le chant du coq, le refuge où on ne se bat pas pour des idéaux, là où l’on détruit. Mais où l’on crée en détruisant, avec classe et esthétique. Sans remords aucun… Si bien qu’on est près à l’accompagner dans son beau pays à bord d’un pickup conduit par Stevie Wonder et Gilbert Montagné.
Randy, fils de…
Randy, gueule de p’tit con…
Mais Randy, parfait salaud.
Parfait.
Alors si, comme le dit l’ami Barthes, l’ami Randy dévoile « la figure d’une Justice enfin intelligible », il est aussi cette idole qui sépare les hommes des grands garçons. Oubliez le connard bas du front qui sortait avec les plus belles filles de l’école-puis-du-collège puis-du-lycée. Tout est pardonné. Il est bon d’aimer Randy Orton, ne serait-ce que par procuration.
Les icônes des magazines « sexués » sont d’ailleurs aussi un peu là pour ça : le Legend Killer devrait donc faire la couverture de GQ. Il ne plaira pas aux CSP +, urbains et actifs, et c’est bien là le plus rassurant.