Bill Plympton, autoportrait

Deux seins géants qui envahissent une maison, un astronaute qui copule avec des aliens et une ordure qui a des ailes d’ange lui poussant dans le dos. Voilà les idées qui peuplent l’esprit drôle et dérangé de Bill Plympton. Bardée de 7 longs-métrages (dont un 8ème en préparation), son oeuvre se démarque par son ton libertaire pionnier, à contre courant des carcans moraux d’hier et d’aujourd’hui. Rencontre avec cet artiste culte du cinéma indépendant américain à l’occasion de la ressortie de ses chefs d’oeuvre punks, L’Impitoyable lune de miel ! et Les mutants de l’espace, par ED Distribution.

Vous êtes un satiriste très connu dans votre pays. Vos films piétinent allègrement l’Americana triomphante. Pouvez-vous me donner un point positif et négatif sur les Etats-Unis aujourd’hui ?

Malheureusement, il y a beaucoup de points négatifs. Beaucoup d’armes en circulation. Ce qui est terrible. Beaucoup trop de Trump, terrible aussi. Beaucoup trop de fous en politique qui sont violents et très en colère. Le bon point est que j’aime les Etats-Unis. J’aime New-York qui est une ville fascinante, jamais ennuyeuse. Rien qu’en y marchant et en observant ses phénomènes, j’y développe mes idées.

Bill Plympton Takes A Bite Out of Trump with New Web Series | Animation  World Network

Quel est votre outil de dessin préféré ? Est-ce le pinceau ? Le stylo ? Ou un autre ?

En ce moment, c’est un simple stylo bille. Laissez-moi vous dire pourquoi : parce qu’il a de l’encre ! Si je fais une erreur, elle reste et je ne peux pas me débarrasser d’elle. Les erreurs, c’est ce qui m’intéresse. Si vous regardez un Pixar ou un Disney, vous n’en verrez aucune. Tout est parfait ! À mes yeux, mes films sont imparfaits, défectueux. Vous savez, j’aime beaucoup les vieux dessins de Goya et il y réside beaucoup d’erreurs. C’est ce qui les rend intéressants en tant qu’oeuvres d’art. Une autre personne que j’aime beaucoup est Roland Topor et les « erreurs » dans ses dessins en font leur beauté.

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Vous avez une carrière riche qui s’étale sur plus de 30 ans. Dans la production de vos films, vous cumulez plusieurs postes (story-boarder, scénariste, réalisateur, acteur). Lorsque vient le moment de prendre le stylo bille, votre poignet sent-il la fatigue ?

Pour moi, c’est du plaisir. À un moment donné, j’avais beaucoup d’argent et je me suis dit : « je vais engager d’autres animateurs pour faire le travail. Ainsi je pourrai me reposer et ne pas bosser autant. » Mais après une semaine, je me suis rendu compte qu’ils n’assimilaient pas mon style de dessin, qu’ils étaient trop lents et l’amusement du dessin me manquait ! Le plaisir de dessiner un film est central. Hier matin, j’étais levé dès 3h du matin et j’ai dessiné toute la journée jusqu’à 19h-20h. Après je me suis couché et je me suis senti si détendu. Car dessiner est une thérapie pour moi. Je me sens mieux par la suite. C’est comme prendre de la drogue, aha. J’utilise le crayon comme une seringue que je plante dans mon bras.

C’est de là d’où viennent les problèmes de sécurité sociale aux States : le dessin !

Ouais !

Quelle partie du corps vous préférez dessiner ?

Le visage ! Il est toujours fascinant à observer. C’est pour cette raison que Your Face a été un gros succès.

Your Face (película 1987) - Tráiler. resumen, reparto y dónde ver. Dirigida por Bill Plympton | La Vanguardia

Et un animal préféré ?

J’ai un chien de garde et réalisé six films très populaires sur lui. Le public tombe amoureux du chien et se sent triste pour lui. Tout le monde le comprend, veut l’aimer et le sauver de sa condition.

La musique occupe une place centrale dans votre oeuvre. Quel rôle joue-t-elle dans votre vie ?

J’avais l’habitude de jouer dans quelques groupes durant les années 70. Dans un groupe de rock  d’abord. Je n’étais pas très bon mais c’était un groupe de dessinateurs amateurs. Puis j’étais dans un groupe de country. Je l’aimais beaucoup. Le problème est que je prenais tellement de temps pour faire mes films que je n’en avais plus pour pratiquer. Mon prochain long-métrage, Slide, est un western et contient justement beaucoup de country.

J’ai lu que vous en écoutiez beaucoup dans votre enfance…

Mon père aimait beaucoup la musique country. Il avait des disques de Johnny Cash, Merle Haggard, Hank Williams etc… Naturellement, j’ai grandi avec cette musique et je l’ai aimée aussi. Je viens de l’Oregon et c’est un Etat dominé par la Nature. On y passe beaucoup de temps dans la forêt ou les montagnes.

D’autres inspirations ou genre musical ?

J’aime beaucoup Django Reinhardt. J’aimerais beaucoup faire un film d’animation sur sa vie mais sa musique est trop chère pour être utilisée.

Quel biopic musical aimeriez-vous faire sinon ?

Les Beatles. L’un de mes rêves ! Leur musique serait là tout le métrage et différents animateurs de par le monde choisiraient leur chanson préférée pour en faire leur segment. J’adore la chanson Blackbird : la mettre en images serait géniale. Mais encore une fois, leur catalogue est trop cher. Yellow Submarine est une grande influence aussi. Le designer Heinz Edelmann a conçu tout ce magnifique univers graphique pour la Warner. Lorsque j’ai réalisé mon premier long The Tune, nous essayions d’émuler sa pâte si unique.

C’est un groupe important pour vous…

Pour tout le monde même. Les Beatles étaient tellement bons. Pour être honnête, la musicienne la plus importante de ma vie est Emmylou Harris. Elle est une grande influence pour moi : je l’écoute tout le temps. Je l’avais rencontrée au festival de Telluride. On était dans la file pour voir un film et elle était juste derrière moi. Je suis devenu idiot : je lui ai donnée un de mes DVDs en lui disant : « je ferais n’importe quoi pour réaliser un clip pour vous. » Elle m’a répondu : « Oh super ! Contactez mon agent. » Ce que j’ai fait, mais cela n’a rien donné.

Mes deux Plympton préférés sont Des idiots et des anges et L’Impitoyable lune de miel !. Deux films radicaux mais aux héritages diamétralement opposés : le premier a servi de référence esthétique à toute une génération (La Tortue rouge par exemple) alors que le deuxième est tellement fou dans sa violence et sa sexualité qu’il est un peu devenu une île en lui-même dont la magie ne peut être dupliquée.

Absolument. L’Impitoyable lune de miel ! reste mon film le plus fou. J’étais très inspiré par la japanimation adulte de l’époque très vulgaire et graphique. Je me suis dit que ce serait cool de raconter une histoire dans cette gamme mais avec de l’humour. C’était mon credo : « sois fou, n’en aies rien à foutre des censeurs, fais juste le film le plus drôle et le plus cinglé possible. » Ça a payé car j’ai fait beaucoup d’argent grâce à lui.

Pour rester dans la japanime, Des idiots et des anges m’avait beaucoup rappelé Angel’s Egg de Mamoru Oshii.

Je ne pense pas avoir vu ce film. J’ai vu Akira qui est super mais c’est Wicked City qui reste une grande influence sur L’Impitoyable lune de miel !. Je ne pense pas être influencé plus que ça par la japanimation. Toutefois, j’adore Mind Game même si depuis, les films du réalisateur sont devenus trop propres et communs.

Quelle est l’oeuvre préférée de votre filmographie ? Courte ou longue ?

J’aime Les amants électriques. Je pense que c’est une excellente histoire.

Votre prochain film Slide sera donc votre premier western. Qu’est-ce qui vous plait tant dans le genre ?

Enfant, j’adorais les films de cow-boys et me déguisais. J’adore les dessiner : ils sont tellement drôles et iconiques. J’ai pris la version traditionnelle de cette figure qu’a parodié Mel Brooks dans Le shérif est en prison et l’ai exagérée autant que j’ai pu. Jusqu’à l’absurdité totale. Spécialement le méchant cow-boy qui n’hésite pas à tuer n’importe qui.

Il s’agit de la plus longue période d’attente entre vos films. J’ai vu que vous aviez travaillé sur Les Simpson entre temps.

Je vais vous raconter une histoire. Nous sommes amis avec Matt Groening. Il y a dix ans, nous étions à Annecy ensemble. On était au bord du lac à boire du vin et manger de la baguette. À la fin, nous étions ivres et Matt a dit « Bill, tu devrais venir bosser pour Les Simpson. » Il m’a ensuite commissionné pour une série de couch gags.

Donc c’est votre message : soyez ivre pour avoir de belles opportunités de carrière ?

Exactement ! Ça et manger des baguettes.

Avez-vous un genre que vous souhaitez explorer après le western ?

J’aimerais faire une série animée. Mais quelque chose pour internet. Pas pour les studios ou la télé. Quelque chose de très bizarre et différent. Plus de 300 pages de storyboards sont déjà écrites. J’ai juste besoin des fonds pour lancer l’aventure.

Avez-vous vu un cartoon sur Adult Swim appelé Smiling Friends ?

Non.

Cette série me fait aussi beaucoup penser à vous. Vous avez encore un autre « enfant » dans la nature !

Aha, c’est génial ! J’y jetterai un coup d’oeil.

Le 15 mars 2023, ED Distribution a ressorti en salles deux longs métrages de Bill Plympton : « L’Impitoyable Lune de miel » (1997) et « Les Mutants de l’espace » (2001). 

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