Sa première arme numérique, La Course nue, sort en 2005 et est diffusée sur France 2 l’année qui suit. Elle raconte l’initiative d’une compagnie de télécom de faire courir ses employés nus dans des stades de foot afin de booster ses ventes. De nombreux autres ovnis lui succèderont, tous produits par l’exigeante et courageuse boîte de production Ecce Films. Depuis Belle-Île-en-Mer (récit d’un homme abandonnant la vente à domicile pour vivre avec Alain Souchon) jusqu’à Coloscopia (succes-story d’un côlon féminin) en passant par Respect (collocation d’un ours et d’un jeune garçon prêt à s’engager dans une école de ninjas à Tokyo) ou encore Fuck U.K. (l’anglophobie racontée aux enfants), Benoît Forgeard évolue donc tranquillement dans un univers abracadapopesque. Petit à petit, Forgy fait son nid dans l’underground cinéphile. Puis il s’envole, en avril dernier, avec la sortie son premier long-métrage. Composé de trois sketchs et sobrement intitulé Réussir sa vie, celui-ci reçoit les éloges de la presse curieuse. Un deuxième long, Gaz de France, est actuellement en cours d’écriture, qui racontera la galère d’une ribambelle de story tellers loufoques dans les sous-sols de l’Élysée.
Panoplie d’identités parallèles
Des pitchs biscornus et des personnages colorés – à la fois beaufs et bizarres, atypiques et névrotiques – sont donc la clé de réussite de l’univers Forgeardien. Ces personnages, Benoît n’hésite d’ailleurs pas à les incarner par lui-même, sa vie pouvant être résumée à l’acquisition sans fin d’une panoplie d’identités parallèles et complémentaires. Tantôt Pascal d’Huez, cyclophile devant l’Éternel – qui occupait jusqu’au 12 août dernier une chambre d’un hôtel lillois, rebaptisée « Da Sport VS Erotism Bedroom » pour l’occasion – tantôt Michel Moisan, réalisateur mystique et sans films, tantôt immigré letton doux et rêveur (cf Un Bon Bain chaud, d’Antoine Desrosières, également distribué par Ecce Films), et tantôt Jean Guy le bon vivant sur les réseaux sociaux, Benoît Forgeard se fond dans le maximum d’identités possibles. Critique de cinéma (pour le magazine So Film) et comédien à ses heures errantes, le cinéaste touche à tout pour mieux comprendre comment toucher partout, avec en tête ce simple principe que « c’est en forgeant qu’on devient Forgeard ».
Le rieur de l’émerveillement
Avec sa moustache à faire pâlir toutes les marquises de Sade et son faciès sérieusement drôle, Benoît pourrait sembler n’être qu’un esthète autosatisfait, un trublion burlesque qui se moque tant de tout qu’il finit par ne plus ressembler à rien. Ricaneur inconséquent, Mr Benz ? Comique dandy, Forgy ? Pas vraiment. S’il est rieur, Benoît n’est pas railleur. Loin de s’engouffrer sur les sentiers bateaux de l’humour consensuel, l’homme à moustache préfère la dérision aérienne aux rires complaisants, et le décalage synchronisé aux grincements consanguins des laughing blocks contemporains. Benoît se présente donc – dans la lignée des mordants illustrateurs Charles Burns ou Glen Baxter, comme dans celle d’artistes pop décalés comme Pierrick Sorin ou Pierre Étaix – comme le promoteur d’un rire et désespéré et désarmé, d’un rire joyeux car résigné, dont le seul horizon reste « celui de l’émerveillement ».
Déplier l’absurdité du quotidien, une suite de 1 et de 0
Mais c’est peut-être la manière qu’à Benoît Forgeard de travailler qui nous en dit le plus sur la finalité de son entreprise artistique. D’abord, le moustachu a pour habitude de travailler en dormant, ou du moins de récolter ses rêves au levé comme un collectionneur de supra-réalités. Ensuite, Forgeard n’a de cesse de tirer les fils d’incohérence qu’il rencontre dans son comportement et dans celui de ses proches. Le cinéaste traque l’absurdité qui sous-tend nos actions quotidiennes : à partir de lapsus, de maladresses verbales ou de comportements biscornus, il s’agit pour lui de s’engouffrer dans les brèches du réel et d’en extraire toute la sur-naturalité. Tirer le sens littéral des expressions courantes (l’aversion pour l’anglais de la part des Français deviendra Fuck U.K.), multiplier les méta-remarques (les intermèdes ponctuant Réussir sa vie sont celles d’un réalisateur, Forgeard himself, s’observant être réalisateur), incarner les possibles vertigineux des nouvelles technologies (dans l’Antivirus, les 378 « copains d’avant » d’Alex la rejoignent dans sa chambre) ou encore faire d’une œuvre d’art un véritable monde (« Belle-Île-en-Mer » d’Alain Souchon engendre l’univers bucolique du court-métrage du même nom), sont en effet autant de moyens qu’utilise Benoît pour explorer la sous-réalité courante. On retrouve d’ailleurs le goût du cinéaste pour la torsion du réel dans la méthode de travail toute virtuelle dont il se sert pour diriger ses comédiens – à savoir la simulation 3D (les comédiens jouent le film sur un écran avant de véritablement l’incarner) – ainsi qu’à travers les couleurs très contrastées de ses films, qui leur donnent une allure irréelle.
Benoît Forgeard le mystérieux n’est donc pas réductible au stéréotype de l’archéo-LOL qui creuse sa hype dans le second degré. Plutôt, il est cette espèce de caméléon 2.0 dont la malice audacieuse n’a d’égale que la fraîche loufoquerie du regard qu’il porte sur nos quotidiens blasés.
3 commentaires
Merci pour ce portrait, le type est complètement ding-dong.
Un homme qui se prête à ce genre d’articles est une MERDE!
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