Paris, le café de Flore. Les écrivains du petit écran s'affichent en enfilade, les jeunes argentés gomino-cultivés viennent s'acheter la crédibilité des grandes heures pour séduire une paire de guibolles galbées et si possible futées. Les serveurs, dans leur costume de dédain, s'activent dans le grand bal de la brasserie à la française copyright Saint-Germain-des-Prés. Fuck, les fantômes d'Apollinaire, de Breton, de Sartre et Castor coûtent six euros le café. Un couple de Japonais, comme il se doit, scrute l'endroit avec des onomatopées d'admiration : « rhôôô ». Le décor est planté.

Au fond du salon, à l’étage, Alan McGee, un petit roux de peau, la cinquantaine abîmée, chapeau et lunettes noires vissés sur la caboche, donne audience pour raconter l’histoire du label Creation. Le nom n’est rien de moins qu’un hommage au fabuleux groupe de mods anglais aux guitares tranchantes comme une tronçonneuse. Bref, la classe.

N’ayant pas préparé grand chose, ce cher rédacteur en chef canidé et moi-même décidons d’attaquer l’interview par la face nord de la conversation ouverte. J’avoue qu’une certaine appréhension me laisse alors penser qu’on est parti pour se coltiner un bon moment de mépris à l’anglaise, façon Tony Wilson (fondateur de Factory Records, pour ceux qui ont loupé un épisode) avec des propos un rien aristo déglingo-démoniaques. Une discussion avec un mec du genre à bien vous faire comprendre qu’il a eu le pif et la paille pour une génération musicale, puis que son hyper ego pourrait prophétiser un futur courant musical fatalement has been (eh oui, l’homme n’est plus tout jeune, donc potentiellement égaré). C’était faire abstraction de l’aspect working class du mélange. Si Tony Wilson et Alan McGee partagent bien une culture et une attitude du nord du Royaume-Uni, le premier était un dandy, un bourgeois dévoyé, alors que le second reste un pur produit d’extirpation de cette classe ouvrière écossaise qui s’est enfoncée dans le déclin dès les mid-seventies. Résultat, McGee n’a pas oublié d’être sympa, franc et plus qu’abordable.

L’homme a un aspect filou des faubourgs, une bonne jugeote, et surtout une attitude de branleur irrésistiblement intacte. Pas de doute, il en a sous le pied dans ce domaine. Avoir produit la dernière salve de groupes anglais à s’en mettre plein le nez et sous la langue, tout en réussissant à refourguer quelques camions de skeuds, ce n’est pas rien. Surtout lorsque l’on sait que Mister McGee a la réputation d’avoir réussi à coucher à la défonce son grand ami Bobby Gillespie, tête folle de Primal Scream et ex-cogneur de fûts des Jesus and Mary Chain.

Les Jesus, le gros déclic vient de là.

McGee a commencé sa non-carrière en signant des artistes qui étaient simplement bons, mais sans label. Il s’est même frotté aux affres des groupes au sein des Laughing Apple et  Biff Bang Pow, sans trop de succès, mais peu importe. Malgré les médisants qui l’ont qualifié plus tard d’opportuniste et de disciple putassier de Malcom McLaren (un modèle pour lui), l’Ecossais aura fait preuve d’une grande ténacité et d’une fidélité assez solide à l’égard de ses amis. Et boum, après des années de vaches maigres faites d’insouciance, de concerts indie, de fanzines, les cartons médiatiques et commerciaux se profilent, c’est le temps des grandes heures et des excès. L’acharnement pour sortir Jesus and Mary Chain de l’ornière, l’explosion My Bloody Valentine, le hold-up rock & club de Primal Scream, l’incompréhension populaire de Ride et du Teenage Fanclub, le jackpot Oasis, les balbutiements trash des Libertines… McGee a navigué dans les grandes eaux troubles, du DIY à la major.

Aujourd’hui, ses cloisons nasales doivent encore ressembler à des dommages collatéraux en temps de guerre, mais depuis une near death experience dans le milieu des 90’s, le patron a coupé court à la party débridée pour se ranger des buvards. Après Creation, il y a eu Poptones Records, sorte de méthadone qui lui a permis de décrocher en douceur. Petit à petit, il s’est consacré à ce qui lui chante, c’est à dire « no music business, no bullshit. » On l’imagine bien, s’occupant de sa famille, visitant les vieux potes de temps à autres, faisant une sieste avec un bouquin d’Aleister Crowley sur la bedaine. Un gars du peuple, décomplexé, qui ne voulait pas en chier comme ses parents et qui a fini par remporter la timbale au grand loto du Rock’n’Roll. Une espèce en voie d’extinction? La preuve en images, avec l’interview vidéo. (Re)creation.

Alan McGee // DVD Upside Town: Film on creation Records // Dispo en import

Réalisation: Xavier Reim
Illustration: Maxime Roy


ALAN MCGEE :: Portrait d’un working class(e) hero par Gonzai_mag

14 commentaires

  1. ouais ben putain si c’est moi j’ai pris un sacré coup de vieux mon salaud. Note que si tout d’un coup je passe dix ans sous acide et coke, je ne serai pas loin du compte, l’accent en moins quand même…

  2. « Paris, le café de Flore. Les écrivains du petit écran s’affichent en enfilade, les jeunes argentés gomino-cultivés viennent s’acheter la crédibilité des grandes heures pour séduire une paire de guibolles galbées et si possible futées. Les serveurs, dans leur costume de dédain, s’activent dans le grand bal de la brasserie à la française copyright Saint-Germain-des-Prés. Fuck, les fantômes d’Apollinaire, de Breton, de Sartre et Castor coûtent six euros le café. Un couple de Japonais, comme il se doit, scrute l’endroit avec des onomatopées d’admiration : « rhôôô ». Le décor est planté. »

    L’intro là, c’est pour appuyer l’impression de touze consanguine qui se dégage des précédents commentaires, hein?

    Bien vu.

  3. par contre guy tu débordes plus par ta connerie que par ton intelligence et pour rester dans ta métaphore de touze, je te propose de te mettre un bon fist, histoire de calmer tes hardeurs …

  4. Cher Jean claude, ce n’est pas à l’ordre du jour et nous avons sciemment choisi la vidéo. Après je peux comprendre que l’écossais dans le texte soit a pain in the ass… Mais je te rassure, certains anglais peinent à le comprendre aussi .

  5. le mec qui a signé slowdive mérite un grand coup de chapeau, c’est quand même le groupe indiepop du siècle…trop méconnus comparativement à Oasis ou House of love, par contre tout aussi psychés que leur manager/label. J’ai découvert un personnage tout en humilité et en humour intelligent. Merci aux 2 interviewers, bô boulot, thanks

  6. Avez vous vu le film ?! Pas un commentaire pour parler de cela ? Dommage, je trouve qu’il est touchant et décrit justement le tourbillon des bureaux Creation au début des années 90’s.

    Respect pour le ride, tout de même.

    Sinon j’ai beaucoup aimé l’échange viril et non courtois entre Guy la baignoire et Serlach. Enculons nous un peu.

    Avec amour.

  7. Oui, oui le film est bien foutu et même si, comme moi vous n’êtes pas en transe devant toutes les signatures Creation, le dvd est un intéressant pour la représentation de ce moment ou les givrés et les défoncés étaient de sortie. L’esprit de ce label est bon et c’est, à mon sens primordial. La grosse bullshiterie au tableau c’est quand même Oasis que ne tient pqs plus de deux ou trois titres…

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