Les crânes d’œuf du monde entier ont de quoi se réjouir : leurs idoles Karl Hyde et Brian Eno viennent de pondre deux albums coup sur coup. Le chanteur guitariste d’Underworld et la tête pensante la plus influente de la musique contemporaine ont mis les bouchées doubles dans des styles radicalement différents : un album de pop funk et un autre plus expérimental. Ne vous attendez pas à lire trop de ragots dans l’article qui va suivre, les deux hommes sont secrets, on est ici pour parler de musique. On sait juste qu’Eno préférait la chatte à la défonce quand il avait encore l’âge de se livrer à ces saines occupations.

Avant de parler de « Someday World » et « High Life », permettez-moi de chausser mes lunettes demi-lune en écailles de crocodile : je vais vous emmerder à vous parler d’un temps que les plus jeunes n’ont pas connu, de ce ton docte et ampoulé qui me caractérise tant.

Une collaboration d’Eno et Hyde m’aurait fait rêver il y a quinze ans. Et j’ai été d’autant plus surpris d’apprendre leur collaboration, les deux zigues affichant 123 ans au compteur à eux deux. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, même si l’association de deux artistes dont les heures de gloires sont passées depuis 20 ans a tout pour foutre les jetons. Les albums de musiciens ayant dépassé la trentaine sont souvent merdiques et il y a peu de contrexemples : Miles Davis avait 43 ans quand est paru « In a Silent Way », peut-être son meilleur album, Bowie en avait 48 au moment d’« 1. Outside » (produit par Brian Eno) et Paul McCartney affichait 63 piges au compteur en 2005, année de sortie de la bonne surprise « Chaos and Creation in the Backyard ». Tout cela reste exceptionnel mais le rock est un art qui s’accommode mal de la vieillesse, à la différence du cinéma, de la littérature ou de la peinture, domaines où la maturité peut améliorer sensiblement la qualité des œuvres. Pour dire les choses simplement, les films récents de Martin Scorsese sont mille fois plus riches que les disques récents d’Iggy Pop (ceux parus après 1977).

freurSi Karl Hyde est cadet d’Eno et n’a pas sa notoriété, il n’est pas non plus un perdreau de l’année. Hyde a démarré sa carrière dans Freur – bonjour le nom de merde – un groupe new-wave obscur et dont le fait le plus notable était le look terrifiant de ses membres, sans parler de coupes de cheveux sur lesquelles les mecs de Flock of Seagull n’auraient pas craché. Lorsque le groupe s’arrête en 1986, Hyde fonde Underworld avec Rick Smith, claviériste de Freur. Deux albums merdiques d’electropop sans âme plus tard empêchent Underworld de décoller : on ne donne alors pas cher de leur avenir musical et, pour tout dire, on s’en cogne comme de l’an 40.

Il est difficile de connaître la contribution réelle de chacun des membres d’Underworld à leurs disques mais il semble bien que le succès du groupe est essentiellement dû à l’arrivée de Darren Emerson au sein du groupe. Plus jeune que Hyde et Smith, il est recruté en 1991 à 20 ans et apporte une touche techno et trance à la musique du groupe. A ce moment, les musiques électroniques anglaises n’ont jamais été aussi bonnes. En 1994, le premier album enregistré en tant que trio, « dubnobasswithmyheadman », est une réussite. Il est suivi deux ans plus tard par « Second Toughest in the Infants » qui est porté par le hit Born Slippy figurant sur la BO de Trainspotting. Ces deux albums proposent des hymnes techno à la rythmique implacable. Des sons pour faire danser les foules qui sont paradoxalement empreints d’émotion. Deux raisons à cela : des mélodies subtiles et le chant de Hyde. Ce dernier a un timbre plutôt délicat, presque féminin, et la combinaison des rythmes synthétiques et de sa voix est irrésistible. Leur musique a séduit un public plus large que les simples amateurs de techno; mais la qualité des compositions d’Underworld s’est lentement étiolée au cours des albums suivants.

Les compositions les plus marquantes d’Underworld sont tous gaulées de la même manière : le morceau s’ouvre sur une rythmique qui déboite, Hyde débite des textes déshumanisés d’une voix vocodée – il pourrait réciter l’annuaire sur l’air des lampions – puis la structure de la composition évolue, vire progressive house – bouh, le gros mot – et un équilibre se crée entre un chant porteur d’espoir et des motifs accrocheurs. On met les bras en l’air, on communie avec ses pairs et c’est super : à eux seuls, les trois musiciens sont parvenus à composer une douzaine de classiques. Fait exceptionnel dans l’histoire de la techno : rares sont les artistes ayant réussi à marquer l’attention dans la durée. A vous de faire le tri quand vous vous plongerez dans leur œuvre : ils ont produits un paquet de morceaux dispensables, même sur leurs meilleurs disques. Curieusement, Emerson apparaît assez peu dans les crédits des compositions alors que c’est sa présence au sein du groupe qui a permis à Underworld de décoller. Je vous demande de souscrire à mon intime conviction et de vous en convaincre en écoutant Juanita / Kiteless / To Dream of Love, formidable morceau de seize minutes qui introduit « Second Toughest in the Infants » et ouvraient les concerts du groupe les années suivantes.

http://www.youtube.com/watch?v=s6pouE8YmoQ&feature=kp

Le départ de Darren Emerson en 2000 a laissé ses deux camarades seuls maîtres à bord et responsables d’albums anecdotiques. Le duo continue à se produire sous le nom d’Underworld et ressemble à des ingénieurs réseaux qui auraient fait les soldes chez Monsieur de Fursac. Fin de l’histoire.

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J’imagine que Hyde a dû sauter de joie lorsque son téléphone a sonné et qu’on lui a proposé de collaborer avec Brian Eno le temps de deux albums. C’est le genre de choses qui ne se refusent pas, même si on ignore où l’on va et qu’il est certain qu’on sera plus un exécutant qu’un leader dans le studio. Mais Hyde était probablement déjà habitué aux compromis lorsqu’il travaillait avec Smith et Emerson. J’imagine également que Hyde était fan d’Eno depuis l’adolescence – il a aujourd’hui 57 ans – comme tous les Britanniques de son âge qui ont assisté à l’explosion de Roxy Music en 1972, puis à ses expérimentations musicales après que Brian Ferry l’a saqué du groupe l’année suivante.

Crâne pas, t’es chauve !

resize.aspxBrian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno est très probablement la personnalité du monde de la musique la plus importante de ces quarante dernières années, puisque son influence s’est exercée sur le glam-rock, l’ambient et les musiques électroniques en général, la new-wave, la musique minimale, et la world music. Là où Bowie a brillamment digéré ses influences pour les populariser, Eno a ouvert des brèches et créé des tendances. Son œuvre dans les années 70 a fait de lui un cador, aux côtés de Joni Mitchell, David Bowie, et des Allemands Can et Kraftwerk.
Je suis fan du bonhomme, vous l’avez compris, mais ne comptez pas sur moi pour jouer les laudateurs… Même si j’ai un paquet de trucs à dire sur Brian Eno, son œuvre est tellement riche et complexe qu’on ne sait pas très bien par quel bout la prendre… Et on pourrait même à l’inverse imaginer une liste de griefs qui font d’Eno une baudruche surestimée, un de ces artistes minables et méprisables :

– Brian Eno restera dans les mémoires comme le mec qui a inventé le jingle d’ouverture de Windows 95, et perçut 35 000 $ en contrepartie. La belle affaire ;

– Objectivement, sa contribution à la musique de Roxy Music est famélique. J’exagère un peu, bien sûr, mais le groupe a enregistré ses albums les plus intéressants après son départ. Je précise préférer la sophistication et les mélodies de leur deuxième période que les bidouillages et tâtonnements des premiers disques. On sent qu’Eno est bridé – à l’instar de Jean-Vincent Placé – car il faut parfois tendre vraiment l’oreille pour percevoir son apport, hormis sur quelques chansons comme For Your Pleasure ;

– Sa notice Wikipedia n’est traduite qu’en 41 langues, là où celle de Raphaël Varane, le tout jeune défenseur de l’équipe de France de football et du Real de Madrid totalise 43 traductions. Eno est en train de tomber dans l’oubli, c’est un signe qui ne trompe pas ;

– Eno se prétend non-musicien, et c’est de la foutaise ! Il faut vraiment avoir un ego surdimensionné pour déclarer un truc pareil. Imaginez que Godard – Jean-Luc, pas le docteur – se présente comme « non-cinéaste » par exemple… Ou Gary Glitter déclinant son identité en précisant qu’il est l’ami des enfants. Et bien, c’est du même acabit ;

– Permettez-moi d’enfoncer une porte ouverte mais Eno est le producteur de deux des groupes de pop / rock contemporains les détestables et les moins intéressants, à savoir U2 et Coldplay. Certes, les quelques qualités que l’on peut trouver à des albums comme « Achtung Baby » et « Zooropa » sont grandement liées aux trouvailles de la production d’Eno. Je n’ai rien à dire sur Coldplay, je n’aime pas ce groupe par principe, sans avoir jamais écouté l’un de leurs morceaux. Et j’ai suffisamment de choses qui m’occupent l’esprit pour que la question de franchir le pas ne se pose pas. Eno ne gagne rien à travailler avec ces artistes, mis à part pour gagner encore plus de blé. Il vieillit, il a suffisamment d’argent pour faire vivre plusieurs générations, et il consacre donc une partie de son temps à produire des groupes mainstream qui vendront quoiqu’il arrive des pelletées de disques quelle qu’en soit la qualité artistique : triste.

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– Certains de ses travaux sont surestimés ou complaisants. « The Drop » ou « Nerve Net », albums solos parus dans les années 90 sont chiants comme la pluie. S’il est l’un des artistes ayant le plus contribué à l’apparition d’ambient, il est loin d’être celui qui en a écrit les plus belles pages. Biosphere, Aphex Twin, Global Communication ou The Orb ont surpassé le maître. Même en tant que producteur, Eno a pondu des trucs soporifiques comme le premier album solo de Devo « Q : Are We Not Men? A: We Are Devo! » Qui a envie de s’infliger ça trente-six ans après, franchement ?

– Brian Eno était chauve à 25 ans et a donc pris l’habitude très jeune de se coiffer avec un morceau de couenne de porc. La lose.

– Alors que tout le monde monte un groupe de rock pour prendre des drogues et bourrer des nanas, Enon a écarté l’idée de consommer des stupéfiants d’un revers de main pour se concentrer sur la baise. Cette propension à aimer bouffer de la chatte est l’une des rares choses qui aura filtré sur la vie privée du bonhomme, d’ailleurs. Bref, son dégoût des toxiques en fait quelqu’un de louche, presque inhumain. Confiriez-vous vos gosses à Eno ? Brrrr, sûrement pas !

– Enfin, qui écoute encore la face B de « Low », le chef-d’œuvre de Bowie paru un an avant en 1977 ? Alors que la première face aligne les standards pop impeccables produits par Tony Visconti, il faut ensuite se fader avec les compositions plombantes et dépressives de Bowie et Eno.

J’arrête là la mauvaise foi, les reproches, et de faire le malin, j’aime vraiment Brian Eno, et son travail, dont j’avais déjà parlé à l’occasion de l’album solo de Damon Albarn. Plutôt que de retracer toute sa carrière, j’aimerais bien parler de ses quatre premiers albums solos parus entre 1973 et 1977, hors son disque ambient « Discreet Music ».
J’envie les gens qui ne les connaissent pas, parce leur découverte sera un choc esthétique. Ces merveilles s’intitulent « Here Come the Warm Jets », « Taking Tiger Mountain (by Strategy) », « Another Green World » et « Before and After Science », et contiennent des tas d’idées pour les générations futures et des chansons mémorables, de celles dont on ne se lasse pas. Tout est là : il vous faudra des années pour arriver à bout de ces pierres angulaires du rock. Si Eno cultive l’image du mec cérébral et conceptuel, il se dégage une grande spontanéité de ces disques qui paraissent avoir été si faciles à composer. Eno établit un pont entre musiques d’avant-garde et commerciales. Un exemple : il invite à la fois Phil Collins, son copain d’alopécie, et Jaki Liebezeit, le batteur hors pair de Can, sur « Before and After Science ». Difficile de faire plus large comme éventail… Ecoutez Eno : vous aurez l’air intelligent et sa musique est géniale, bien plus accessible que ce que son amour des concepts et son occiput glabre peuvent laisser supposer.

Quand on les écoute, les chansons de ces quatre albums font naître un grand nombre d’images. Je suis persuadé que ce sont des disques qu’adoreraient les enfants en bas âge, quand se forme l’éducation musicale et que se définissent les goûts qui marqueront vos choix et vos inclinations une fois adulte. Les titres rappellent les quatre éléments que sont l’eau, la terre, le feu et l’air : Baby’s on Fire, Backwater, Burning Airlines Give You So Much More, On Some Faraway Beach, In Dark Trees, China my China, Over Fire Island… Les chansons d’Eno sont des vignettes propices aux songes, ses albums des livres d’images. On trouve de tout dans ses compositions, c’est la Samaritaine : des mélodies irrésistibles, du doo-wop, des rengaines, des berceuses, de l’ambient, de la new-wave avant l’heure et d’autres choses inclassables. Plus le temps passe et plus elles s’éloignent des formats pop traditionnels pour tendre vers une abstraction éthérée.

Sa musique est aussi originale et accrocheuse que les méandres qu’il s’impose pour travailler sont tortueux. Il serait superflu et chiant de s’attarder sur le sujet mais Eno a co-inventé les « Stratégies Obliques », des cartes contenant des injonctions comme Be dirty ou Cut a vital connection qui vous permettent de sortir de situations de travail délicates. Elles aident à faire des choix : on se libère par la contrainte et l’aspect intéressant de cette démarche, c’est qu’elle permet une très grande variété de combinaisons. Iconoclaste, Eno l’est par ces aspects : en permutant les instruments des musiciens avec lesquels il enregistre, ou en pissant dans l’urinoir de Marcel Duchamp dans le cadre d’une performance au MOMA. Le titre « Here Come the Warm Jets » serait d’ailleurs une métaphore désignant la miction.
L’évidence de sa musique donne l’impression d’une facilité déconcertante lors de leur conception. Ça n’a pas toujours été le cas : l’aquatique « Before and After Science » a nécessité plus de deux ans de boulot et une grosse centaine de compositions. Ce n’est pas l’album le plus attachant du lot, même s’il sonne comme la troisième pièce d’un diptyque aux côtés par « Low » et « Heroes », les deux albums de Bowie et coproduits par Eno. Ces disques sont structurés de la même manière: une première face pop tandis que la seconde est plus instrumentale et introspective. Parce qu’Eno a été aussi l’un des plus grands producteurs de l’histoire pour les Talking Heads, James ou encore Ultravox. Son style de production est moins facilement identifiable que celui d’autre orfèvres tels Martin Hannett, Dr. Dre ou Phil Spector. Mais ses intuitions et les chemins de traverse empruntés améliorent significativement les créations auxquelles il prend part.

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Les bases étant posées, on peut maintenant s’atteler à l’écoute de « Someday World », un bon nom pourri d’album, n’est-ce-pas ?

Certes, on n’attendait pas « Doggystyle », « Kill’em All » ou « Taking Drugs to Make Music to Take Drugs », parce que ces intitulés étaient déjà pris. Mais quand même…. Il s’agit certainement d’une idée d’Eno, parce qu’il avait intitulé son dernier album solo de 2005 « Another Day On Earth ». Un autre titre merdique de vieux schnock qui pense avoir des leçons de vie profondes et spirituelles à dispenser à son public…

Les boules à Kaboul, et retour dans les années 80 : « Someday World » a cette fraicheur des productions du début de la décennie maudite, lorsqu’on commençait à appeler le post-punk « new-wave », et que la structure de la chanson revêtait une importance aussi grande qu’à la fin des années 60. Le deuxième âge d’or de la pop, après la fin des années 60, n’allait pas tarder à s’achever. « Someday World » aurait pu être enregistré il y a trente ans, et ce n’est pas un reproche. Les morceaux sont des compositions pop standards et la production est tout sauf ramenarde. Eno et Hyde se sont amusés à jouer avec des boîtes à rythmes et des claviers pourraves, probablement vintage.

L’album est un accident heureux et donne l’impression d’avoir été enregistré dans un contexte serein et apaisé. Les compositions ne sont pas toutes géniales mais sont suffisamment spontanées pour être écoutées plusieurs fois d’affilée. On l’a vu, les chansons de mecs vieillissants sont laborieuses et plan-plan. Ce n’est pas le cas ici. Les sonorités funk en rajoutent dans ce revival eighties. Bémol : les voix sont faiblardes. Certes, on savait qu’Eno et Hyde n’avaient les cordes vocales, ni de Florent Pagny, ni même de Caruso mais au moins est-on sûr que ces chansons ne seront pas reprises à la Nouvelle Star. Sur certaines d’entre elles, la voix est franchement pénible (Daddy’s Car par exemple). Mais l’ensemble possède un charme lo-fi dont le dépouillement relatif fait ressortir la structure des compositions. The Satellites, Strip It Down, Who Rings the Bells sont les points d’orgue de cet album. Bien sûr, je n’échangerais pas un baril de « dubnobasswithmyheadman » ou de « Fear of Music » – le deuxième album des Talking Heads produit par Eno – contre trois barils de « Someday World ». Mais je vous recommande de jeter une oreille attentive à cet album honnête écrit, composé et produit par deux types qui n’ont plus rien à prouver.

Dans les dossiers de presse communiqués par Warp Records – le légendaire label de musiques électroniques d’Aphex Twin, Boards of Canada et LFO – on apprend qu’Eno et Hyde n’étaient pas très chauds pour organiser la promotion de « Someday World » et qu’ils ont pris la décision de travailler à la place. Que ce soit vrai ou non importe peu. Ce qui compte, c’est le résultat de ces sessions : « High Life » au titre à peine meilleur que le précédent, mais au contenu radicalement différent.
Six titres dont la moitié avoisine les dix minutes… Hyde et Eno proposent un exercice de style bien particulier, et voilà ce qu’ils ont dû se dire en studio : « Alors on va jouer un morceau à la manière de Velvet qu’on intitulera Return puis on passe au prochain, et on joue comme si on était les Talking Heads en 1980 et on appellera ça DBF… » et ainsi de suite. L’ensemble est minimaliste et sonne comme « My Life in the Bush of Ghosts », un album de collages radiophoniques enregistré par Eno et David Byrne en 1981, chanteur guitariste des Talking Heads. Ce disque était novateur, mais je l’ai toujours trouvé très chiant, surtout en comparaison de leurs autres albums enregistrés ensemble à l’époque. Il y a dans les influences – les racines africaines – et la polyrythmie beaucoup de similitudes, mais je m’en voudrais de vous casser les bonbons avec ce genre de détails… Ecoutez le morceau No One Receiving qui ouvre « Before and After Science » et vous comprendrez tous seuls.

Les climats proposés par le duo possèdent un charme certain et on s’y sent bien. On retrouve des chants et des fragments mélodiques, je dis cela pour ceux qui redoutent les longues plages sonores pendant lesquelles la musique évolue peu.
Voilà, succinctement, ce qu’on peut dire de ces deux albums inspirés qu’on retrouvera à coup sûr dans les classements de fin d’années. Les capacités de composition des deux bonshommes sont intactes et ils ne sont pas tombés dans la facilité. J’aimerais penser que leur collaboration ne s’achèvera pas tout de suite.

Une dernière remarque, « High Life » fait penser par moments au chef-d’œuvre « E2-E4 » de Manuel Göttsching, l’ancien guitariste du groupe cosmique Ash Ra Tempel. E2-E4, c’est un mouvement classique d’ouvertures aux échecs quand on joue les blancs : le pion situé devant le roi avance de deux cases et libère les diagonales de la reine et du fou. Coup de maître de la part de l’Allemand.
Cet album a été enregistré en une prise à Francfort en 1981 et publié trois ans plus tard, soit une éternité à cette période où de super disques paraissaient chaque mois. « E2-E4 » est une longue boucle synthétique qui n’en finit pas de tourner, de subtils changements faisant évoluer lentement la musique, qui atteint des sommets lorsque Göttsching joue de la guitare, ses arpèges sont sublimes. Influence Ce disque visionnaire avait vingt ans d’avance et est l’un des albums fondateurs des musiques électroniques actuelles, Carl Craig, et James Murphy revendiqueront notamment son héritage. En entendant les six plages de « High Life » pour la première fois, je me suis pris à espérer entendre une boucle de la qualité d’ « E2-E4 ». Le miracle ne s’est pas produit, en dépit des qualités d’« High Life » et de certaines de ses compositions mystérieuses et envoutantes. Göttsching a publié très peu de musique depuis, et « E2-E4 » reste l’un des plus beaux disques jamais enregistrés. Cette boucle inusable ne quittera pas votre cerveau lorsque vous l’aurez entendue. Si on entend que Göttsching a été influencé par Terry Riley et Steve Reich, il y a aussi l’ombre de l’incontournable Eno qui flotte, et plus particulièrement ses travaux ambient . Vous avez maintenant un paquet de bons disques à écouter et du pain sur la planche.

Quant à moi, je vais découvrir « Ghost Stories » et « How to Dismantle an Atomic Bomb ». Il n’est pas certain que je vous en reparle.

Eno & Hyde // Someday World et High Life // WARP
http://www.enohyde.com/

14 commentaires

  1. 1. Devo c’était un groupe, et cet album est une tuerie. 2. Leur album et la face B de Low de Bowie sont des tueries sans nom. 3. Merci je crois que je vais me mettre à Underworld, même si c’est trop tard de vingt ans.

  2. « – Enfin, qui écoute encore la face B de « Low », le chef-d’œuvre de Bowie paru un an avant en 1977 ? Alors que la première face aligne les standards pop impeccables produits par Tony Visconti, il faut ensuite se fader avec les compositions plombantes et dépressives de Bowie et Eno. » (sic)

    Juste quelques uns des meilleurs titres ambiant jamais écrits. Et qui permet de revoir ce sublime film de Bowie poseur « The man who fell to earth ».

    http://youtu.be/IevwLPV86os

  3. C’est tout à fait vrai, Fripon Divin ! Si tu aimes Bowie, il y a un article sur Station to Station dans le numéro 7 de Gonzaï qui vient juste de paraître.

  4. Yes, super article! Depuis, j’écoute (et découvre) les premiers albums solos d’Eno. C’est mon côté bonne élève. Je vais grave pouvoir briller dans les cocktails après. Merci pour ça 😉

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