Le rockeur du nouveau siècle a souvent la joue creuse et les poches vides. Plus de boulot, pas d’avenir et une famille à nourrir, son lent déclin fait parfois penser à ces ouvriers de l’industrie sidérurgique des années 80 Mais l’inévitable domination du tertiaire sur les machines-outils, c’est aussi l’histoire que chante Blind Digital Citizen, fortement influencé par les remontées mécaniques du vieux chef de chantier Alain B. Un dos-d’âne plane.

Il y a d’abord un son. C’est froid. Couleur bleue. Cela peut être la buée qui s’accumule sur la fenêtre du bus scolaire en hiver, comme les lèvres de Laura Palmer retrouvée morte sur les rives d’un Canada glacé, le bleu des mots de Christophe comme celui des cristaux liquides qui se figent sur ta vieille montre à quartz, ou même, pourquoi pas, celui des nuits bleues du Novövision d’Yves Adrien. Le bleu, c’est aussi toute la palette de bonheurs accidentels qu’on retrouve sur la pochette du premier EP de Blind Digital Citizen. Avec ces gars-là, le thermomètre descend plus bas que le Dow Jones en période de crise. Les mecs ne sont pas vraiment là pour rigoler. Plutôt du genre à se taillader les veines aux toilettes pendant que vous êtes là, comme un con, à fêter votre promotion dans l’open space. Ça se défend : on comprendra un jour – mais bien trop tard – que le secteur des services a tué plus de gens que le communisme.

Mais trêve de plaisanterie, un peu d’Histoire. Jusque-là, la série Podium du label parisien Third Side avait ce quelque chose d’inédit qui laissait un peu perplexe. Après plusieurs années à sortir de « vrais » disques contenant tous une poignée de belles chansons, et d’autres un peu plus dispensables – de toute façon le format LP a de moins en moins de sens, Third Side s’est un jour décidé à lancer une série de EP manufacturés en mode micro-économie avec des groupes ayant tous ce point commun d’être français, inconnus et portés par des ambitions, si ce n’est modernes, du moins à contre-courant. La série Podium, ce fut donc par ordre d’apparition : La Femme, Splash Wave, Holstenwall et Mungo Park. Tout ça pressé en série limitée pour les fétichistes, et disponible en digital pour les autres. Une initiative pas vraiment commerciale, qui faisait jusque-là ciller des paupières sans pour autant donner envie de se relever la nuit. Enfin bon, tout ça c’est une question de point de vue et l’on doit, entre autres choses, à la série Podium la découverte de La Femme, disciples novö de Elli & Jacno, à qui on aimerait ici conseiller de se bouger un peu le bas des fesses pour enfin sortir leur premier album avant de finir comme le groupe précité ; c’est-à-dire dans les orties, avec pour seule récompense la gloire des coupures de presse qu’on regarde un peu bouffi vingt ans plus tard.
Je m’égare un peu. À ma décharge, Blind Digital Citizen c’est à la fois comme le Port-Salut – c’est marqué dessus, avec un nom qui dit tout – et pourtant pas facile à décrire. En synthèse : des gamins fascinés par le goût du métal froid, le Berlin d’avant la chute du mur, l’Angleterre de Margaret Thatcher et de Joy Division, et les premiers disques synthétiques du grand Alain ; avouez qu’on est ici plus proches du zéro absolu que d’une réunion de yuppies friqués au Club Med local. Pour autant ce Podium #5 consacré à Blind Digital Citizen est captivant comme une autoroute dévalée de nuit, avec les yeux injectés de sang et de la TNT planquée sous la banquette. Et pourtant c’est pas grand’ chose. Quatre titres, deux faces. Même pas 20 minutes qui scotchent l’auditeur à tel point qu’on conseillera aux curieux l’écoute de ce disque couleur bleu de travail en dévorant un Bazooka d’époque ou bien, plus modestement, en tapant frénétiquement du marteau sur les objets du quotidien pour retrouver la joie de l’artisan qui transforme sa haine du capitalisme sérialisé en amour du travail bien fait.

Strauss, Reykjavík 402, War et Valhalla – clin d’œil à Aucun Express de Bashung ? – il y a dans ces quatre petites vignettes du monde d’antan une sorte de contestation éloquente qui aurait délaissé les pancartes de manifestation au profit d’un groove froid et esthétique ; quelque chose comme un ancien franc avec, côté pile, « Play Blessures », et « Primary Colours » côté face. Un air de lutte finale numérisée sur disque – vraiment – dur qui délaisse l’horrible chanson engagée et le trop-plein de mots malaxés comme des cailloux dans la bouche au profit d’ellipses à la fois concises et pleines de bon sens.
Au civil, les types de Blind Digital Citizen sont peut-être guichetiers à la RATP, professeurs d’arts plastiques ou bien encore contrôleurs qualité dans des PME spécialisées dans le recyclage des déchets. À dire vrai, on se fout royal du quotidien de ces jeunes gens. Même les plus grands terroristes ont souvent des boulots de merde ; ça n’empêche pas le plastique de sauter à heure fixe et les victimes d’avoir à recoller les morceaux. C’est exactement pareil avec l’EP de Blind Digital Citizen, la surprise est explosive. Entre roulette et montagne russe, pas mal pour des novices.

Blind Digital Citizen // EP « Podium #5 » // Third Side
http://blinddigitalcitizen.com/ 

9 commentaires

  1. Merci pour l’article. Presque ému par le mail de Mr Meuble nous indiquant sa publication du genre vous auriez pu me prévenir.

    Par contre la photo (tout en haut) ce n’est pas nous mais Caandides !!!

    Comment y remédier ??

    Au plaisir

  2. les mecs de third side records me cassent les couilles…toujours à surfer sur les modes…pendant la vague puantes de la folk ils étaient là…et là dans cette vague revival 80’s les revoilà…ils font du bot’ox 5 ans après bot’ox….je ne vous félicite pas …
    Quand on les compare à Manset ou à Bashung…ça me fait vraiment beaucoup rire…même raphael est un cran au dessus

  3. On se demande qui a un boulot de merde dans l’histoire… Celui qui, caché derrière son écran, dévalorise d’autres professions pour donner du  » relief  » à son article ou celui qui essaie de transmettre un certain regard du monde auprès des jeunes générations ? Cher Bester, changez parfois d’angle de vue, vous verrez, ça fait du bien 🙂

    Charlotte

  4. Chère Charlotte,

    vous avez tout à fait raison.
    Depuis 2 semaines je suis commercial dans une société spécialisée dans les taille-crayons et mon point de vue a radicalement changé. J’ai changé mon angle de vue, mon bureau donne sur une cheminée industrielle et tout va beaucoup mieux.

    Bisou.

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