Il faut croire que certains genres musicaux se prêtent mieux à la postérité que d’autres : Alors que la date de péremption sur les disques « rock » affiche la trentaine maximum, au risque d’une indigestion, les compositeurs de l’école dite minimaliste, qui englobe finalement trop d’artistes et de sous-genres pour qu’on en délimite clairement les contours, semblent rajeunir avec l’âge. C’est le cas de Gavin Bryars, 79 ans, et dont la musique résonne encore comme les cordes de sa contrebasse. Rencontre avec l’Anglais au sourire fuyant, à l’occasion de son passage à Paris en mars dernier, pour un long entretien en français dans le texte.

Fixer longuement la monotonie d’un ciel bleu, s’y perdre comme on répèterait un mot à voix haute jusqu’à en oublier le sens, puis finir par distinguer des détails qu’on n’avait jusque là pas soupçonné, un nuage, un point blanc, cette oiseau qui passe et qu’on n’avait pas vu, même ce qui ressemble être un Ovni, là-bas tout en haut, avec un crane chauve et un physique de prof de lettres classiques. Voici comment on pourrait décrire au novice l’entrée dans la musique de Gavin Bryars, un compositeur dont le corps est injustement découpé comme les cobayes de cirque, en trois parties ; une pour l’avant-garde, l’autre pour la musique contemporaine et la dernière pour le minimalisme.

Dans cette œuvre courant sur six décennies, pas facile de retrouver ses petits. Bryars, moins médiatisé que des pontes comme Philip Glass (taquin, l’Anglais nous confiera hors interview que Glass, un temps, composa des musiques pour des montres), est aussi plus anguleux, à rapprocher surement de compositeurs comme John Adams, bien connu des habitués du cénacle, mais moins « pop » que Steve Reich. Le fait d’arme du contrebassiste né en 1943 ? Avoir été la première référence discale du label de Brian Eno, Obscure Records, ou celui qui venait de plaquer Roxy Music décida avec une vista étonnante pour l’époque d’associer les deux grandes pièces qui feront plus tard la notoriété de Bryars : face A, The sinking of the Titanic, en hommage aux musiciens qui décidèrent de jouer jusqu’à l’immersion du paquebot dans l’eau, face B, Jesus’ Blood Never Failed Me Yet, une pièce écrite après que le musicien soit tombé sur les chutes d’un documentaire où l’on entend un SDF londonien chantant a cappella pendant 20 secondes un hymne religieux autour duquel Bryars brodera progressivement 25 minutes d’une musique à la fois pure et fondamentale pour la musique répétitive ; rappelant par ailleurs les travaux de Chassol autour de l’harmonisation. Le disque édité en 1975 chez Eno, qui résume à lui seul une partie de l’importance du bonhomme sur la scène contemporaine, permettra aussi de lancer d’autres musiciens de cette génération, comme Harold Budd ou Michael Nyman, tout en permettant progressivement au principal intéressé de faire carrière dans la musique discrète. 

On aurait cela dit tort de résumer Bryars à ses deux seuls « tubes », tant la discographie est riche de disques et créations en tous genres, et loin des variations sur le même thème d’un Glass, par exemple. Citons « The Last Days » avec le Balanescu Quartet en 1995, « The Stopping Train » en 2017 ou encore « Ferme tes jolis cieux » de Midget, la même année, sur lequel l’Anglais se liera d’amitié avec le duo français au point d’imaginer « Qui parle ombre », une symphonie en 8 mouvements.

Le préambule étant maintenant terminé, on s’approche de Gavin Bryars, ce mercredi 2 mars au 104 où il se produit justement avec Midget. De loin, l’homme semble austère ; sa canne semble porter le poids de toute une vie. De près, c’est un homme francophile à la modestie rare dans ce milieu, et doté d’un british humour imparable. « Pourquoi est-ce que je ne souris jamais sur les photos ? Peut-être pour garder les gens à distance » confiera-t-il en fin d’interview, avec un rictus qui montre que comme tous les Anglais, il aime surtout à rire à l’intérieur de lui-même. Pas vraiment surprenant de la part d’un membre du collège de Pataphysique depuis 1974 et qui, à presque 80 ans, continue de considérer la vie comme une partition sans fin.

A voir :

Gavin Bryars et Midget, hommage à Moondog, le 14 mai à l’Opéra de Lyon.

A lire :

Gavin Bryars, en paroles, en musique par Jean-Louis Tallon, chez le Mot et le reste (2020). 

A regarder dans la même famille :

Notre interview filmée de Philip Glass
Notre interview filmée de Terry Riley
Notre interview filmée de Charlemagne Palestine
Notre interview d’Irmin Schmidt, sur la vie après CAN.

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