A l’instar d’Egyptology et d’une poignée d’autres doux rêveurs, le groupe Sommet rêve de conquête spatiale et de claviers vintage qui flotteraient dans l’espace silencieux tels des satellites à la recherche d'une vie après le rock. Aussi belle soit cette mission impossible, pas facile d’être un homme moderne quand on n’a rien connu d’autre que les vieux génériques des années 80.

Comme son nom ne l’indique pas, Sommet un est groupe qui se conduit à deux, sans rétroviseur. Au volant, le sémillant Sébastien « Testa » Rosat remarqué précédemment dans Service, groupe prometteur composé de jeunes cadres dynamiques fringués comme des technocrates et signé chez Pan European pour un premier album qu’on espérait aussi dévastateur qu’un tank sur l’esplanade de la Défense. De fil en aiguille, Service retira finalement la nappe, les couverts puis l’assiette pour se retrouver, pauvres comme Job, avec un disque entier longtemps remisé au placard parce que le label a décidé – pour une raison qu’on ignore encore – de leur réenregistrer tous les morceaux en français. En attendant la sortie dudit disque à la rentrée – finalement ce sera en Anglais – Service flambe pour l’heure comme le soldat inconnu sur la place Charles de Gaulle.

À la place du mort, c’est Clément Bonnet du groupe KFTP, lui-même fondé sur les braises de Kill For Total Peace. Un groupe qui, comme Service, avait jusque-là davantage excité les rockeurs que les mathématiciens, façon de dire que la suite de l’histoire et le virage électronique était pour le moins inattendus. Auteurs d’un premier album (« Kill For », 2009) explosif, les rockeurs de Kill For Total Peace et de Service errent désormais dans l’inconscient collectif d’une génération post-bébé rockeurs ayant découvert avec Turzi, Koudlam et quelques autres qu’il existait une vie après la mort (du rock). La vie pouvant se résumer à une suite accidentelle de hauts et de bas, et comme on n’a pour l’instant pas beaucoup de nouvelles des groupes précités, la naissance de Sommet paraît soudain inévitable.

Après Service et autres hobbys dominicaux – le rock, la notoriété sur Facebook et l’espoir d’une carrière internationale – démolis par la trentaine, voici donc Sommet. Un duo empruntant au passé ses claviers futuristico-romantiques, ses drames héroïques tapotés sur de petites touches en plastique et ses séquenceurs mille fois entendues dans une décade précédente, qu’il s’agisse de spots publicitaires pour des aspirateurs novö ou de musiques d’illustration pour K-2000 ou Tonnerre Mécanique. Si le duo de Sommet a été bercé par le bruit d’un doux ronron, c’est bien par celui des années 80. Inutile donc de préciser que si les parties de jambes en l’air de Sommet se regardent en fumant la cigarette électronique avec un T-Shirt Blade Runner collé sur votre bide d’homme-robot, le disque éponyme n’a, en soi, rien de révolutionnaire. Tout au plus l’ultime secousse après tant d’autres ; le dernier disque en date qui pourrait définitivement dresser la ligne Maginot entre archaïques présumés – les rockeurs en cuir – et modernes synthétiques – les fans de synthé en scaphandre. Ne comptez pas sur Sommet pour creuser un tunnel sous les lignes adverses, leur album se déleste sans complexe des codes en vigueur dans le rock’n’roll pour ne garder au fond du moteur que le strict minimum : Conrad Schnitzler, de la bouffe sous forme de pilules, Kraftwerk, une bio écrite par Joseph Ghosn et une carte routière de l’espace.
À haute altitude certes, mais très probablement en bas des charts, une musique mineure seulement accessible aux initiés capables de fantasmer au travers des accords sensuels de Base Camp le corps d’une Marilyn Monroe transporté sur le plateau de La planète sauvage ou tout autre film évoquant un ailleurs, un lointain, inaccessible à quiconque n’aurait pas le physique imbaisable d’un nerd boutonneux. Peut-être que ces deux cosmonautes, bien trop terre-à-terre pour donner aux morceaux de ce disque des noms aussi co(s)miques que Solar System 3092 ou Franprix odyssey for beginners, ont simplement fait le pari de la modestie. Auquel cas il faudra voir leur « Sommet » comme la montée du mont Ventoux ; quelque chose d’un peu douloureux mais à la portée de tout le monde. Un disque qui, contrairement au « My God is blue » de Tellier, ne donne pas envie de vomir au premier virage. Mais qui pour autant peine à complètement donner le vertige.

En dépit de son nom et comme tous les autres groupes du même genre avant lui, Sommet est autant un retour en arrière qu’une fuite en avant, une oasis faussement prophétique qui cherche en vain les paradis perdus. Au delà de la chronique éphémère qu’on pourrait faire de ce disque intemporel parce que visiblement indémodable, que disent tous ces albums de nous, de notre histoire et de nos centres de gravitation ? Que faut-il entendre lorsque Egyptology [1], Principles of Geometry, Château Marmont et maintenant Sommet s’évertuent à réinventer l’avenir avec deux claviers, une multiprise et des pochettes de natures mortes et pixélisées par des potes graphistes capables de citer François de Roubaix, Neil Armstrong et Pedro Winter dans la même phrase ? Finalement, rien d’autre qu’un courant générationnel désormais arrivé à maturation avec, dans son cockpit, une poignée de trentenaires nostalgiques tentant en vain de reproduire très sérieusement le son des Mystérieuses Cités d’Or. Retremper une dernière fois la madeleine de Proust dans le bol de lait, toucher du bout des doigts l’enfance à jamais perdue. Une aventure à la fois noble et complètement ridicule qui permettra à chacun de choisir son camp entre l’instantanéité du rock électrique et l’introspection quasi freudienne désormais offerte par la musique électronique.

Sommet // Sommet // Desire Records (sortie le 18 juin 2012)
http://sommet.bandcamp.com/track/base-camp 

[1] À qui on pourrait allègrement comparer Sommet, bien que le match soit gagné dès le premier round par Egyptology grâce à un disque plus inspiré, plus mélodique. Plus aventureux, simplement. Et peut-être aussi sorti avant celui de Sommet. C’est aussi ça, la magie des agendas.

22 commentaires

  1. En même temps, quand tu vois le concert d’Ariel Pink à la Villette sonique tu te dis que l’instantanéité du rock éléctrique est elle aussi passée du côté de l’introspection. Une reprise un peu foutraque de « Love me do » = 36° degrè de la conscience rock.

  2. Oh non je déteste les quotas ! Je préfère le Goulag !
    J’aime déjà pas trop les imitateurs de « métier » (Patrick Sébastien, Sébastien Tellier…), mais les Monsieur Jourdain de l’imitation, j’ai du mal ! Remarquez ça peut me faire rire aussi parfois, le sérieux des autres !
    Et Brigitte, elles sont vraiment si horribles ? Je vois pas la différence fondamentale entre elles et Sommet : enfin si, elles ont des zézettes !
    Elles ont au moins le mérite de ne pas les planquer !

  3. « Maintenant, si je dois faire une réserve globale, c’est sur le recours banalisé à l’anglais yaourtisé, comme une perpétuelle solution de facilité, avec l’accent de rigueur trahissant la provenance locale, et qui enlève quoiqu’on en dise de la crédibilité à la musique, et crée une distance, ramène tout au niveau du fantasme : comme si on entendait alors plus ce que les gens veulent faire que ce qu’ils font vraiment, plus ce qu’ils écoutent que ce qu’ils font. Ça ne concerne pas particulièrement les groupes précités, c’est plus une impression générale, qui peut tranquillement tourner au débat d’arrière garde, je ne le nie pas ; il n’en demeure pas moins qu’à recourir à l’anglais systématiquement, on se met dans une position de déférence par rapport au modèle dominant. Et le fait est que ça continue, à un Phoenix près et quelques autres, à bien faire marrer les anglo-saxons. »
    « Oui, le français est à nouveau ringardisé, et ça me rend malheureux. Tout ce qu’on a fait avec Katerine ou Silvain Vanot n’aura donc servi à rien… C’est un combat que de chanter dans sa langue naturelle, peut-être dérisoire, mais à mon sens plus honorable que d’essayer de s’inscrire dans un mouvement mondialisé. Au bout d’un moment, l’accumulation et le suivisme de ceux qui se mettent des barbes et qui chantent « the sun is rising », ce n’est plus possible ! Tout comme les chanteurs français parlant du quotidien sont devenus insupportables. Quant à la « french touch », elle a eu certes de l’écho à l’étranger, mais elle est complètement déterritorialisée. Je ne suis pas maurrassien, mais j’aime que l’on me parle, et en français. »
    Dominique A.

  4. Aussi pertinente soit cette citation de Dominique A, je la trouve hors-sujet vu le registre musical dans lequel s’inscrit Sommet.
    Et si on devait trouver un exemple de musique électronique chantée en Français, dans les groupes actuels, on pourrait citer Turzi. Donc bon, je crois que c’est un vrai débat ce truc sur la langue, mais pas sur ce papier.

  5. Je ne pense pas du tout qu’un genre appelle une langue en particulier, je ne ne vois pas au nom de quels critères.
    Je constate juste que dès qu’il s’agit de ne pas chanter en français, l’anglais se retrouve pavloviennement élu (alors qu’il est bien loin de faire partie des dialectes les plus utilisés en France, et qu’il existe des milliers de langues dans le monde). Pardonnez-moi de ne pas souscrire à ce principe d’uniformisation et de servilité mimétique !
    Et ce en dépit du talent des uns et des autres (je ne connais pas Sommet, mais vous me parlez de Turzi, dont j’apprécie certaines trouvailles, même s’ils chantent eux aussi parfois en anglais).

  6. « Et le fait est que ça continue, à un Phoenix près et quelques autres, à bien faire marrer les anglo-saxons. »

    Ca c’est un myhte franco-français, que de s’imaginer que les Rosbifs et les Cainris sont morts de rire quand ils nous entendent chanter leur langue avec notre accent.
    En réalité ils s’en battent, ça ne les dérange pas plus que nous quand on écoute la Birkin.

  7. A Slice,

    si je mets en avant ces propos de Dominique A., c’est que je considère qu’il explicite ce que je veux dire avec clarté, mieux que je ne le ferais moi-même. J’aurais bien pu citer des tas d’artistes (célèbres ou pas) qui se sont exprimés sur ce sujet, et il y en a !
    J’ai peut-être tort de fixer sur cette question de l’anglais, mais désolé, elle me semble, non pas importante, mais fondamentale !
    Le choix d’une langue est cruciale quand on écrit des chansons (le métier que j’ai choisi), et je pense que même les paroliers ou interprètes de France les plus anglophiles militants (dont je combats la philosophie, vous l’avez compris) vous le diront.
    Ben oui je ne connais pas Sommet, sauf donc via ce portrait écrit par Bester et l’extrait (instrumental) l’accompagnant (dont je ne suis pas fana d’ailleurs, mais c’est encore une autre histoire).
    Pour finir, il est vrai que j’aurais pu intervenir sur le forum d’une autre page ou sur un autre site (ce ne sont pas les groupes français artistiquement anglophones qui manquent de nos jours, ni les journaux qui les promotionnent, surtout sur le Web), mais il se trouve que je lis Gonzaï et que cette question de la langue est évoquée dans l’article de Bester (et pas seulement en creux) !
    Yann

  8. A Stephen

    Oui je suis d’accord avec vous, je pense qu’ils s’en foutent (comme de beaucoup de choses d’ailleurs) !
    Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi vouloir à tout prix s’aligner sur la culture de gens qui s’en carrent totalement.

  9. « Le choix d’une langue est cruciale quand on écrit des chansons (le métier que j’ai choisi), et je pense que même les paroliers ou interprètes de France les plus anglophiles militants vous le diront. »

    Non, je suis encore pas d’accord, Yanko.
    Je pense que les anglophiles ne sont pas militants, le militantisme est du côté des francophiles acharnés seulement. Si vous leur demandiez, ils vous diraient que le choix d’une langue n’est pas du tout crucial, mais au contraire secondaire.
    Enfin si vous écrivez des chansons en français, c’est très bien, je ne vois pas pourquoi vous voulez « combattre » ceux qui ne font pas comme vous, alors que c’est grâce à eux que vous êtes original.

    Ah oui, et aussi j’ai écouté Sommet et ils ne chantent pas en anglais, en fait ils ne chantent pas du tout, donc je ne sais pas de quoi on parle.

  10. Stephen,
    autant pour moi si Sommet ne chante pas du tout (ce n’est pas ce qui est décrit dans l’article pourtant) !

    « Je pense que les anglophiles ne sont pas militants, le militantisme est du côté des francophiles acharnés seulement. Si vous leur demandiez, ils vous diraient que le choix d’une langue n’est pas du tout crucial, mais au contraire secondaire. »
    Dans la majorité des cas, vous avez sans doute raison, il y a beaucoup de suivisme assez peu raisonné. Mais j’en connais personnellement qui en font aussi profession de foi (par rejet de la langue française, par goût de la distinction, par souci de valorisation d’une culture jugée supérieure…).
    Dans les deux cas, cela reste du militantisme pour moi (ou du prosélytisme si vous préférez) !
    Et je n’ai d’ailleurs pas de problème avec ça, c’est juste que je préfère une parole claire et frontale, dans un sens ou dans l’autre, à quelque chose d’un peu mou et dilué.
    Je ne suis pas un ennemi de la langue anglaise en soi, ni d’ailleurs un adorateur béat du français (j’aurais beaucoup de choses négatives à dire sur lui, et sur son histoire), mais je suis juste frappé (et énervé) par cette acceptation progressive (et accélérée) d’une forme de colonisation culturelle par et dans la langue (mon militantisme se situe là), que je retrouve chez beaucoup de mes camarades de génération, même ceux qui se prétendent un peu « dissidents » ou originaux.

    « Enfin si vous écrivez des chansons en français, c’est très bien, je ne vois pas pourquoi vous voulez « combattre » ceux qui ne font pas comme vous, alors que c’est grâce à eux que vous êtes original. »
    C’est pas faux !
    Mais je ne vois pas d’incompatibilité entre le fait d’écrire des chansons d’un côté (ou faire n’importe quoi d’autre d’ailleurs), et de s’inscrire dans un débat d’idées et de mots de l’autre (pour moi ça va même ensemble).
    La musique, et plus particulièrement la chanson, étant l’un de mes sujets, c’est sur ce thème-là que je donne mon avis c’est tout.

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