Au Japon, Shizuka Miura est connue pour les poupées articulées qu’elle fabriquait de ses mains. Dans le reste du monde, elle est l’objet d’un culte invisible, formé autour d’une musique sombre, contrastée et fragile, à l’image de sa personnalité. Elle s’est suicidée en 2010 en laissant derrière elle un seul album studio, « Heavenly Persona », réédité ce 7 avril chez Black Editions.

La plupart des cultes se bâtissent sur les histoires incomplètes. À sa mort, Shizuka n’a pas laissé grand-chose derrière elle. Peu d’interviews, peu d’apparitions, même les circonstances de son suicide restent obscures. Mais entre ses poupées et sa musique, l’univers de Shizuka se dessine : des corps fins et pâles, une noirceur omniprésente, une esthétique gothique et romantique, une oscillation permanente entre des avalanches de noise et des envolées lentes et mélancoliques, ponctuées de la voix fragile et plaintive de la jeune fille aux doigts de fée.

Lorsqu’on lui demandait quel était son groupe préféré, Shizuka Miura mentionnait invariablement Les Rallizes Dénudés, peut-être le plus culte des groupes japonais de l’underground des 70’s. C’est avec son mari Maki Miura, qui fit ses armes aux côtés de Mizutani (lequel partagera la scène de son dernier concert avec la chanteuse), qu’elle fonde au début des années 1990 le groupe Shizuka. Son partenaire venait de traduire en musique un des poèmes de la jeune créatrice de poupées, ce qui poussa la future égérie à se produire sur scène. Malgré l’assise et les connexions de Maki dans la nébuleuse souterraine artistique de Tokyo, c’est bien Shizuka qui tient les rênes du groupe, en lui donnant toute son aura sulfureuse et mélancolique.

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En 1994, Shizuka sort sur le label underground PSF Records son premier et unique album studio, « Heavenly Persona ». D’abord noyé dans la frénésie noise du mari, le tempo ralentit, perdu dans la réverbération et la lente mélodie. Et Shizuka s’envole, sa voix fragile habitée comme une prière, expression de chants élégiaques évoquant la douleur morale et physique, la fascination pour l’ombre, la solitude et une vision romantique de la souffrance. Celle-ci constituera l’âme de son art et au cours de sa vie et Shizuka en connaîtra un lot, entre santé mentale vacillante et maladies récurrentes qui l’empêcheront de poursuivre pleinement carrière et tournées.

 

Mais ce sont encore les textes de Shizuka qui en disent le plus sur son existence énigmatique. Planning for Loneliness évoque sa lutte contre un cancer de l’estomac, en même temps que son quotidien de jeune mère d’un enfant d’un an et demi à la fin des années 80. Un déchirement permanent entre vie et mort qu’elle expliquait parfois dans ses quelques apparitions publiques, évoquant une mission artistique quasi divine et la volonté de trouver dans la souffrance un éclat de lumière. Et, quelque part, le mince espoir que celle-ci brille aussi dans la vie des autres, à défaut d’avoir suffisamment illuminé la sienne.

Shizuka // Heavenly Persona // Black Editions, sortie le 7 février
https://shizukatokyo.bandcamp.com/album/heavenly-persona

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