Radiohead aura disparu seulement une semaine d’Internet - une éternité au pays 2.0 - avant qu' ‘A Moon Shaped Pool’ soit disponible en digital. Bientôt viendront les disques et les très chers packagings collectors. Coup de génie marketing ? Peur du leak ? Désir de buzz ? C’est un peu plus compliqué que ça.

How to Disappear Completely. La prochaine fois peut-être, Thom. Tu finiras bien par fermer l’autre œil aussi, un de ces jours. Mais pas ta gueule, visiblement. Cette tronche de plus en plus en biais, où le temps fait son nid. Chez toi, ça creuse les joues. Tu n’as jamais donné l’impression d’être un marrant, hein ? Si ça se trouve, sorti du studio, c’est la fête du slip et parties de chat-bite avec tes potes… On ne saura jamais et on s’en fout. J’ai toujours eu un faible pour ton art de la torture et les nœuds au ventre. J’aime bien le recul et le second degré, mais avec toi et ton groupe, je préférais danser la fin du monde.

En vrai, Radiohead n’a jamais disparu. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil à ses dates : elles sont presque déjà toutes complètes.

Radiohead---photo-Alex-Lake

Beaucoup trop de bruit pour rien

En ce début de XXIe siècle, chez les stars de la musique, et Internet aidant, il est visiblement devenu impossible de sortir un disque sans qu’il ne soit précédé d’un boucan comme les casseroles au cul de la voiture de la mariée. Ce qui empêche de se contenter de juste l’écouter et oblige le simple auditeur et fan hardcore de se taper tout un tas de questions à la con. Du genre : « Radiohead est-il de retour au sommet ? » Ne cherchez pas : presque tout le monde dit I Love You. Au risque de passer pour un snobinard contrit, la seule chose qui m’intéressait depuis que ‘A Moon Shaped Pool’ est disponible, c’était de savoir si c’était un putain de bon disque. Dernière digression, avant de rentrer dans le vif du sujet : le groupe d’Oxford n’a pas révolutionné le rock ni influencé « toute la pop contemporaine », comme le titre Lesinrocks.com, au prétexte qu’ils ont un jour troqué leurs guitares contre un laptop. L’époque des grands groupes qui dominent la pop music est terminée. Du succès, oui. Des chefs-d’œuvre à tous les coups, non. Coucou ‘King of The Limbs’. Radiohead a fait sa propre révolution, c’est un fait et c’est déjà pas si mal. Mais en ça, le groupe n’a rien inventé. Il a juste refusé, comme beaucoup d’autres avant lui, de capitaliser sur le succès d’un tube (Creep) et a décidé, comme n’importe quel artiste digne de ce nom, de ne pas se répéter, d’explorer le champ des possibles et de coucher tout ça sur bandes. Petit miracle au pays de la musique formatée, frileuse et sinistrée gouvernée par des comptables, ça a marché. De là à en faire des génies… Mais assez jacassé, poussons la porte et allons brûler la sorcière.

Alors donc, Daydreaming et Burn The Witch furent balancés en guise de teasing de luxe, avec clips léchés à la clé. Dans la première, Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, Punch Drunk Love, There Will Be Blood… Vous avez dit indé ?) filme un Thom Yorke qui passe son temps à ouvrir des portes sur une bande son éthérée qui ne prend jamais feu malgré les dernières images. Pour la seconde, place à un film d’animation, dont les personnages très Playmobil contrastent avec l’horreur du propos (le héros va être brûlé vif sur la place publique, à moins que…). Partages, pouces en l’air et orgasmes en pixel. Justifiés ? Oui et non. Outre le fait que j’en profite pour dire que le génie de Mark Zuckerberg aura été de tous nous transformer en homme-sandwich (« ça restera toujours gratuit », tu m’étonnes), les atermoiements et les violons de Daydreaming ont plus des allures de B.O. que de pop songs. Ça n’est ni bien ni mal, c’est comme ça. Radiohead fait ce qui lui chante et c’est pour ça qu’on a longtemps aimé le groupe. En revanche, Burn The Witch était une belle promesse, un œil dans le rétro et l’autre à moitié ouvert sur le futur. Enfin, dans le contexte actuel, impossible de ne pas sourire en entendant Thom Yorke y chanter « shoot the messenger ».

Beau mais chiant, mais…

Pour le reste, passé trois écoutes, j’ai franchement été tenté de bâcler ce papier d’un « beau mais chiant », en vieux fan déçu. Mais putain de merde, j’ai chialé à leurs concerts et Priscilla, assise à côté sur la pierre antique, aussi. Je ne pouvais pas en rester là.

Au bout de trente écoutes, j’ai bazardé trois mille signes, fait des grimaces, joué de l’air batterie dans l’open space et replongé. Je ne pouvais pas continuer à faire ma danseuse. Il se passait quelque chose. Salauds. Alors comme ça, Radiohead, on allait pouvoir à nouveau vieillir ensemble ? Ça se pourrait, oui. Accepter les temps faibles, tendre l’oreille à un bridge, attendre les secousses, frissonner sur canapé puis écouter la harpe (Pharoah Sanders ?), les violons (Melody Nelson), maugréer aux gémissements de Yorke (on n’a plus 20 ans, merde). OK, le monde est moche, mais nous aussi vieux, nous aussi, marrons-nous. Reprendre espoir de désespoir, enregistrer la fin des tempêtes et acquiescer, bercé de subtilités et tant pis pour l’immortalité l’espace d’un instant, tant pis. « You know what I mean, You know what I mean » (il chante ça sur Desert Island Disk). Si vous voyez ce que je veux dire.

Et puis il y a Full Stop. Où tout est bien à sa place. On pourrait presque danser. Ou vider son sac une bonne fois pour toutes. Eh oui, tiens, pourquoi pas ? Au lieu de ça, grincheux, on se souvient qu’on n’entend plus les guitares. C’est moche de vieillir. Arrivé là, pas la peine d’en écrire beaucoup plus : OK (Computer), Radiohead a encore des choses à dire. Donc oui, pour l’instant, ‘A Moon Shaped Pool’ est un putain de bon disque. Mais jusqu’à quand ?

Radiohead // A Moon Shaped Pool // XL Recordings
http://www.amoonshapedpool.com/

9 commentaires

  1. Allo bonsoir, deux remarques :

    – est-il possible de placer l’ophtalmo de Thom Yorke sur liste rouge ?
    – merci d’avoir souligné les violons de Melody Nelson, car clairement, Tommy a du tomber sur pas mal de disques arrangés par Jean-Claude Vannier.

  2. Effectivement, vous êtes les premiers à évoquer l’ombre omniprésente de Melody Nelson sur ce disque. Du coup, la ressemblance avec le Sea Change de Beck (aussi produit par Nigel Godrich) est flagrante. Un peu trop pour mes petites oreilles.

  3. Au début, je me suis dit : putain, t’es dur. Et puis j’ai lu jusqu’au bout, heureusement. Plein de belles choses dans ce papier, formellement, et plein d’idées derrière la porte. Sinon, Thom Yorke est effectivement de plus en plus laid, donc de plus en plus beau. Everything in its right place.

  4. Salut,
    Je n’ai pas autant de persévérance que vous donc j’en reste (pour l’instant) à une seule écoute, déprimé par la froideur et l’absence de guitare. Pour moi, Courtney Love a dit un seul truc intelligent dans sa vie : reprocher à Thom Yorke de sous-employer Jonny Greenwood.
    Et même sans parler de guitare, les chansons me paraissent moyennes par rapport à un truc comme « Traffic » joué récemment par T.Y. en solo.

    (A part ça, c’est « The king of limbs », pas « King of the limbs »)

  5. Au début il voulait dire Burn the rich, mais se rappelant la taille de son panama paper perso, il a gentiment, sagement, changé son fusil d’épaule.
    On ne dure pas sans quelques reniements

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