Glaviots syphilitiques, fix d’héro coupée à la Strychnine, assassinat de Nancy Spungen au Chelsea hôtel : le No Future britannique va peu à peu se dissoudre dans le corps sacrifié d’un gosse paumé nommé Sid Vicious. Deux morts gênantes, mais un beau cadavre pour la légende du rock. My Way, sans sortie de secours. Dès 1978, on passe directement du « j’t’emmerde » du punk au « j’suis dans la merde » de Joy Division. De ce chaos originel naîtra l’after Punk. Au programme : déception, sinistrose, colère froide, cut-up façon William Burroughs, lignes de speed, guitares affutées aux distorsions tranchantes comme des rasoirs. A l’occasion du numéro spécial punk français de Gonzaï, on fait le poing sur ce mouvement qui refuse encore de mourir.

Commençons par la base : le punk originel démarre dans la région de Detroit dès la fin des années 60 (MC5, The Stooges) puis gagne New York vers 1973/74 (New York Dolls, Suicide, Richard Hell, Television) et fini par s’échouer en Angleterre dès 1975 pour devenir massif et populaire, aidé en cela par le sens de la formule du king de l’escroquerie, Sir Malcolm McLaren. Le rouquin frisé et sa compagne, la décadente styliste Vivienne Westwood, permettrons aux Sex Pistols de transformer ce cri de colère d’une jeunesse fruste et désillusionée en un pur produit marketing indubitablement rentable dès 1977. One, two, three… let’s go !

Parallèlement à la vague anglaise il y aura bien un début d’incendie sonore gaulois avec les mythiques Metal Urbain qui sortent « Panik » en mai 1977 (ce seront les seuls punks français à jouer dans le programme radio de John Peel à la BBC). Des myriades d’autres formations se faufileront au fur et à mesure dans le wagon ultra chargé du punk, une poignée de groupes déterminés vont rapidement entrer dans la mêlée, Guilty Razors, Lucrate Milk, Olivensteins, OTH, Dogs, Oberkampf, Komintern Sect ou Warum Joe, suivis quelques années plus tard par les Bérurier Noir, Camera Silens, Les Vierges, Les Sheriff, Les Cadavres, Rats, Collabos, Nuclear Device, Gogol 1er, Parabellum… tous classés dans la scène « rock alternative » mais toujours liés au punk initial de par leurs dégaines, leur son et leur mode de vie.

Interview: Olivensteins | Abus Dangereux

Dans les faits, le mouvement punk a survécu à un enchaînement récurent de cycles et de périodes qui permirent au credo « No Future » de muter vers le slogan « punk’s Not Dead » amenant à une radicalisation stylistique de groupes plus bourrins comme Discharge, Exploited ou GBH. John Lydon considérera ces groupes comme de grossières caricatures, sauf qu’en 1985 j’en ai rien à foutre de ce que pense Johnny Le Pourri.

Punk And Disorderly Sampler (Verschiedene Interpreten) [Vinyl LP]: Amazon.de: Musik

Je découvre vers 16 ou 17 ans les premières compilations du genre, Punk And Disorderly et Chaos En France. Sur le premier vinyle, on retrouvera même sur la pochette les premiers punks d’Avignon photographiés dans une rue de Londres (lire Décélération Punk de Marc Quintana, Camion Blanc). C’est dire l’impact de la deuxième vague punk dans l’Hexagone. Bien loin de ce punk dandy sentant la naphtaline adoubé, encensé et coopté, par une presse rock parisienne nourrie à la plume d’une poignée de gourous qui s’épanchent abondamment dans les pages de magazines aussi vénérables que conformistes que Best et Rock & Folk. Avec les brillantes chroniques de Bayon ou Eric Dahan dans Libération, nous avions là les organes officiels de l’intelligentsia rock française bourgeoise et aristocratique prête à nous éduquer et à nous dire ce qui était classe. Ou ce qui ne l’était pas. Sauf, que le punk de la rue, il n’en a jamais rien eu à foutre de Best, de Rock & Folk ou de Libé ! Pour assaisonner mon propos rien de mieux que de revoir cette merveilleuse interview de Daniel Darc qui n’a jamais eu peur d’être à contre-courant de tout.

Le milieu rock parisien a souvent défini le rock alternatif français des années 80 avec une attitude vraiment condescendante, voire méprisante, alors que c’est justement la spontanéité, l’énergie et la vivacité de ce revival punk des caves et des cités qui aura contribué à sortir la scène du cliché éculé punk/Palace/Pacadis. Ne faisons pas mine d’oublier que Metal Urbain a écrit Crève salope comme un doigt d’honneur à Philou Manœuvre et Patoche Eudeline. Morceau culte, règlement de compte à Ok Corral. This is not a love song.

MES)AVENTURES SONORES ET AUTRES FARIBOLES: METAL URBAIN - LES HOMMES MORTS SONT DANGEREUX (1981)

Comme le dit si bien Eric Debris, le punk c’est « inventer sa vie ». Le mouvement fait des petits et c’est bien la deuxième génération qui va exploser les compteurs et avoir du succès. Les groupes sont de plus en plus variés, beaucoup viennent de province. Paname n’est plus le centre de cette explosion issue du punk initial. La capitale n’a d’ailleurs jamais été le centre de ce mouvement, n’en déplaise à certains ayatollahs de l’exégèse punk d’ici. La discographie d’un groupe comme le Messagero Killer Boys de F. J. Ossang fricotera également avec le surréalisme, le romantisme décadent et la littérature fantastique. La deuxième vague permettra à un pays entier de vivre une révolution à travers une jeunesse désenchantée, anti-condés et anti-système, qui suivra ses héros fêtards partout. Comme nous l’explique le journaliste Bruno Blum (ex-membre de Private Vices, réalisateur, auteur, et chroniqueur dans Best) :

« La question c’est que tout le monde parle de punk dans tous les sens et que c’est souvent devenu synonyme de nihilisme, de défonce, de laisser-aller, de n’importe quoi… mais à l’époque à Londres en tous cas c’était un mouvement pour rire, pour s’amuser, pour militer. Le Clash était un groupe engagé à gauche, t’avais Sham 69 qui parlaient de l’Irlande du Nord, les Pistols qui cassaient la reine, les Stranglers qui faisaient scandale avec un t-shirt « fuck », les Damned qui faisaient un plan vampires complètement délirant, Motörhead qui se sapaient en nazis, les Buzzcocks qui étaient ironiques, c’était marrant et provoc quoi. Et puis après tout a dégénéré dans le truc sinistre genre Joy Division et Siouxsie et c’est à ce moment-là que les Français se sont réveillés. Mais le punk rock c’était fini en 1980. Le truc punk français c’était bien après avec Gogol et les Bérus, tout ça. Les précurseurs comme les Dogs ou Métal Urbain n’avaient aucun succès en 1977. Mais ici, comme l’expo Europunk de la Cité de la Musique l’a montré, le plus gros truc s’est passé dans les années 80, c’était dans Best tous les mois. Seulement voilà moi j’étais à Londres en 77 et Asphalt Jungle, Bijou ou Taxi Girl c’était vraiment pas ça. « Betty Jane Rose » quand c’est sorti j’ai rigolé. Moi tous les soirs c’était Wilko, Motörhead, les Saints, Jam, Clash, Pistols, les Heartbreakers, Generation X, et les Américains qui débarquaient, Richard Hell, les Ramones, Patti je l’ai vue en avril 76, ils sont tous venus, c’était un autre niveau tout ça ! » (Extrait du compte Facebook de Bruno Blum, 26 novembre 2020)

Dès le début des années 80, des milliers de gamins souvent issus de milieux ouvriers investissent les squats (Vilins, Cascades, CAES de Ris Orangis ou l’usine squattée de Pali-Kao située dans le 20e arrondissement où se sont produites de nombreuses formations alternatives de l’époque). C’est dans ce milieu que le groupe Bérurier Noir donne son premier concert le 19 février 1983, monte des labels associatifs, presse des disques et diffuse des fanzines ou des cassettes. Les concerts font le plein et la folie festive et bordélique prend le pas sur le nihilisme minimaliste et funeste des débuts.

Nous pensions à l’époque que l’anarchie était une panacée, alors que la plupart des groupes de rock alternatif ne rêvaient secrètement que d’une seule chose : signer sur une major.

Je débarque dans le punk jeu à ce moment-là en tant qu’amateur de musiques déviantes et énervées, vers 1984 je découvre Bérurier Noir avec « Macadam massacre », puis « Concerto pour détraqués » dont le titre Porcherie deviendra un hymne générationnel anti-fa pour une partie de la jeunesse qui, faute de réellement « emmerder le Front National », va finir par se rendre compte qu’elle est vouée à être récupérée par un système clientéliste ne cherchant qu’à se maintenir au pouvoir en s’appuyant sur les votes d’une jeunesse déshéritée. Je sortais en 1985 avec une petite punkette avignonnaise qui me fit découvrir le sexe, la bière frelatée et les chiffons de trichloréthylène. A la fois trop binaires et un peu naïfs, nous pensions à l’époque que l’Anarchie était une panacée, alors que la plupart des groupes de rock alternatifs ne rêvaient secrètement que d’une seule chose, signer sur une major. Ce que fera d’ailleurs sans scrupules la Mano Negra en 1988 en quittant Boucherie Productions pour rallier Virgin. La pression et le chemin de plus en plus commercial que prendra la scène rock alternative constituera une des nombreuses raisons qui précipiteront le split de Bérurier Noir en 1989 marquant ainsi la fin de ce mouvement en France. Cela dit, le concept punk français n’est pas mort et il suffit d’écouter les textes d’un groupe actuel comme Cobra pour comprendre ce qui se trame sous les braises du punk rock au vitriol.

Électricité Punk & Courant Alternatif

8 mai 1987, étudiant souvent fauché (mais toujours marteau) aux Beaux-Arts de Valence je décide avec un pote keupon d’aller voir un petit festival dans un bled paumé près de Montélimar. On a tout juste de quoi se payer nos billets de concert et aucun moyen de locomotion. Notre principal carburant c’est l’enthousiasme et la détermination. Les nerfs à bloc nous prenons la route destination Montélimar. A l’affiche du festival il y a les Bérus, Ludwig Von 88, Nuclear Device et Haine Brigade, dans une salle d’environ 2500 personnes. Le voyage pour accéder à ce festival depuis Valence fut parsemé d’embûches car nous étions sans thune.

8 mai 1987, on monte dans le train Valence-Montélimar sans billet. On est repérés par le contrôleur SNCF qui nous demande fermement de descendre à mi-chemin. On se retrouve paumés dans un village de la Drôme avec deux tickets de concert en poche mais sans aucun moyen de transport pour arriver jusqu’à destination, et tout juste 20 francs pour boire des verres. On marche le long d’une avenue qui grimpe dur, Kéké repère une mobylette sans antivol stationnée devant un PMU. Il me propose de monter dessus et de démarrer en trombe. L’engin hoquette, Kéké prend le guidon et je monte derrière, sans casque évidemment. On roule comme des tarés durant une bonne heure sur des routes départementales sans croiser un seul gendarme et notre destrier motorisé fini par tomber en panne d’essence à 3 ou 4 kilomètres du festival. Kéké jette la mobylette dans une roubine et nous avançons d’un pas décidé vers la grange qui accueille les concerts. En bord de route, on croise d’autres keupons de toute la région, on se fait des potes sur le parking et ils nous font tiser sur leurs bouteilles en tirant sur quelques bédos. Arrivés devant la salle on sent l’atmosphère électrique et tendue, une poignée de skinheads vient de se faire refouler par le service d’ordre redskins des Bérus. Le public est chaud bouillant, dehors ça proteste bruyamment. Une fois à l’intérieur on s’approche de la scène. Ivresse, pogo, canettes de 33 Export brisées au sol, vestes camouflage, chaines de vélo, je me prends un coup de coude dans l’œil, bleus partout sur le corps, pieds endoloris, rangers customisées au tipex, œil au beurre noir.  J’ai 18 ans, je suis punk et je t’emmerde !

Après le concert des centaines, de petits agités rassasiés de décibels sortent de la salle, ça bastonne sévère avec les skins. On monte dans une caisse grise pourrave, deux fans des Cramps nous déposent à la gare. On monte dans un train une fois de plus sans billets. A peine 5 minutes après qu’on se soient posés dans un wagon vide, voilà qu’une dizaine de crânes rasés pénètre dans notre espace. Je reconnais tout de suite les fils de rien qui nous avaient agressés en décembre 1986 à Valence. Le meneur de cette bande de fafs arbore une étoile d’araignée tatouée à l’arrière du crâne et quelques balafres sur la face. Il vocifère pour qu’on l’entende bien : « hé les gars on se fait un remake de Train d’enfer ». Kéké n’a pas vu ce film de 1984, il me regarde avec étonnement, je lui susurre discrètement à l’oreille « Merde, c’est un film où des fachos défenestrent un Arabe alors que le train est en marche, on est dans la merde, faut bouger d’ici ». On se lève à tour de rôle faisant semblant d’aller fumer une clope dans le couloir. On accélère le mouvement, on se planque dans les chiottes en bout de rame. Vivement que le train arrive à destination pour foutre la poudre d’escampette.
A deux contre dix skins, frustrés qu’ils sont de ne pas avoir pu assister au concert des Bérus, je pense qu’on aurait pu y laisser notre peau. Le train arrive à peine en gare qu’on descend en courant pour se faufiler dans les ruelles voisines et échapper à ces nazillons. Cavale à toute berzingue dans les ruelles sombres, arrivée à l’appart et le premier disque qu’on s’écoute c’est Cris sans thèmes d’Oberkampf. Quelques mois plus tard je croise sur Avignon des mecs de l’organisation SCALP (Section Carrément Anti Le Pen) qui sont descendus de Paris pour nettoyer les rues de ces hordes de skins qui nous cassaient les couilles trop souvent. Le 11 novembre 1989 je vois le dernier concert des Bérus à Paris avec ma meuf de l’époque. Comme le dira Loran le dernier soir : « à vous de jouer, c’est la relève qui doit prendre le pas ! ».

Hiver 1986, mon camarade d’Ecole d’Art, Kéké d’Aigues-Mortes, est un vrai érudit du punk français originel, c’est lui qui me fait découvrir Metal Urbain en nous enfilant des packs de bière bon marché le soir. On s’échange nos cassettes d’Oberkampf, OTH, Les Garçons Bouchers, Les Sheriff, La Souris Déglinguée, Parabellum, Tulaviok, Les Vierges… Il me dira à quel point il exècre Asphalt Jungle ou Starshooter.

Venant de la New Wave et de la Cold Wave c’est dans la période 1985-1986, qui précède mon arrivée sur Valence, que je commence à zoner sur Avignon dans les squats, la gare et la place de l’horloge qui comme en témoigne très bien Jean-Marc Quintana dans Décélération Punk avait été un haut-lieu du punk régional du fait que certains punks avignonnais ou d’Orange avaient été photographiés pour l’une des pochettes de la série de fameuses compilations « Punk & Disorderly » et traînaient à Londres dès la fin des années 70 gagnant leur vie comme modèles à crêtes pour les touristes.

Ma chérie actuelle est sortie au début des années 80 avec Felus aka Mickey, batteur du groupe parisien l’Infanterie Sauvage, et elle a bien connu durant sa jeunesse les milieux punks et Oï parisiens. Elle m’a raconté des anecdotes sur la scène parisienne des squats et des tous premiers concerts des Bérus, quand ils n’étaient qu’un duo punk minimal guitare/voix/boîte à rythmes dont les concerts étaient davantage fréquentés par des skinheads que par des keupons, jusqu’à que le groupe mette les choses au clair en pondant leur hymne générationnel anti-FN, Porcherie.

Des années plus tard, une connaissance me dit « hey je t’ai vu dans le DVD Même pas mort des Bérurier Noir« . C’est toujours étrange de se revoir plus de 30 ans plus tard. Punk un jour punk toujours !

Pour moi, le dernier vrai punk français, c’était sans aucun doute Gilles Bertin de Camera Silens qui fut l’un des auteurs du braquage du dépôt de la Brinks de Toulouse en 1988 et qui obligera le musicien sudiste – toxicomane et séropositif – à s’exiler en Espagne et au Portugal où il ouvrira, avec l’argent du braquage, l’un des magasins de disques les plus réputés de Lisbonne. Il se rendra aux autorités en 2016, sa peine de 10 ans sera commuée en 5 ans avec sursis. Il publie en février 2019 son autobiographie Trente ans de cavale, ma vie de punk (éditions Robert Laffont) puis meurt prématurément des suites du Sida le 7 novembre 2019 à Barcelone.

Gilles Bertin, chanteur punk et auteur d'un braquage en 1988, est mort à Barcelone

Bibliographie :

Un bon hippie est un hippie mort, Eric Debris & Ovidie (Camion Blanc)
I Need More, Iggy Pop (Le serpent à plumes)
Please kill me, Legs McNeil & Gillian McCain (éditions Allia)
Nightclubbing, Alain Pacadis (Denoël X-Trême)
Punk, Bruno Blum (Hors collection)
Rebelles – Une histoire du rock alternatif, Rémi Pépin (Hugo Document)
Pogo – Regard sur la scène punk française (1976 – 1991), Roland Cros (L’Échappée)
England Dreaming, Jon Savage (Allia)

23 commentaires

    1. Ah ba si c’est ternet qui le dit !!
      Un psychopathe du lexique punk bas du front ça vaut bien deux baltringues non ?
      Allez bon confinement

  1. Faire un article sur le punk et ne pas nommer les Ramones comme étant aussi des influences du mouvement reste un papier bon à se torcher le cul avec!
    D’autant que le con reprend le leitmotivs one, two,three en n’allant pas jusqu’à four, c’est un acte manqué !

    1. tu peux pas te torcher le cul avec ce papier c’est du virtuel, je crains que tu ne continues à puer du derche.
      1.Je HAIS les Ramones.
      2. Quand le name dropping est trop exhaustif ça beugle, quand il manque 1 ou 2 noms ça beugle aussi.
      bref jamais contents.
      Ciao Pantin!

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