Signée en 2019 sur un petit label du sud de la France, la jeune musicienne ukrainienne Julia Bondar compose une électronique minimaliste et texturée à base de synthétiseurs modulaires Endorphin.es, fameuse marque dont elle est la co-fondatrice avec son compagnon Andreas Zhukovsky. Son nouvel EP « Tropic of Virgo » vient de sortir sur WARRIORECORDS. On a décroché le téléphone pour un questions-réponses.

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Tu es née en Ukraine, mais tu vis à Barcelone depuis 5 ou 6 ans avec ton compagnon, le concepteur de la fameuse marque de modulaires Endorphin.es. J’imagine que vous avez encore de la famille à Kiev. Comment supportez-vous le drame que traverse votre pays depuis que Vladimir Poutine a tenté d’envahir votre territoire ?

Effectivement, nous avons déménagé à Barcelone il y a 7 ans. Cela nous semblait un excellent choix pour l’entreprise que nous avions démarrée à Kiev à l’époque. Je comprends maintenant à quel point nous sommes chanceux, mais nous avons travaillé très dur toutes ces années pour faire d’Endorphin.es ce que cette marque est devenue aujourd’hui. Ces dernières années, nous avons dû surmonter de nombreux défis personnels, et cette putain de guerre c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je suis heureuse que vous ayez posé des questions à ce sujet parce que c’est une grande tragédie et que le monde de la musique, ou plutôt l’industrie du divertissement, ne semble pas toujours y prêter beaucoup d’attention. J’ai des membres de ma famille qui ont décidé de rester en Ukraine et ils essaient de suivre le rythme de leur vie dans cet environnement malsain. Mais la famille la plus proche est ici avec nous. Cette situation a bouleversé notre vie, mais nous sommes toujours très chanceux de les avoir près de nous dans un endroit sûr. Je comprends que l’avenir de l’Ukraine pendant, mais surtout dans la période d’après-guerre, sera très difficile. Il faudra des années pour restaurer tout ce qui a été perdu.

Quand as-tu commencé à faire de la musique et quelles sont tes influences majeures ?

J’ai commencé il y a environ 9 ans. C’est difficile de parler d’influences et c’est beaucoup de groupes et d’artistes qui façonnent mon son. Je ne veux pas dire de noms car la variété des genres vous paraîtrait incompatible, mais ça englobe tout le spectre de Marylin Manson à Sade et de Gesaffelstein à Serge Gainsbourg.

Depuis deux ans, et l’album Top Hits, ta carrière musicale est en train de prendre une ampleur sans précédent au niveau international. Comment es-tu rentrée en contact avec la fameuse Rebeka Warrior (alias Julia Lanöe de Sexy Sushi, Mansfield TYA, Kompromat et patronne du label parisien WarrioRecords) ? 

Depuis 2018 je produis de la musique, et à chaque sortie je façonne mon style. Je suis passé d’un son très minimal à des pistes technos bien plus chiadées. Je relie toutes mes influences. J’aime toujours le format chanson, mais d’un autre côté j’aime faire danser les gens et livrer des sets dancefloor de qualité. Chanter et jouer en live est très difficile. Je devais choisir où je pouvais assurer le plus. Et chanter à 4 heures du matin dans un club c’est le dernier truc que je souhaiterais faire – donc j’ai découpé des phrases vocales de mes morceaux en échantillons et cela fonctionne très bien pour moi. Je dois dire que mes auditeurs sont très internationaux et l’Espagne est le pays où ma musique est la moins écoutée. Je vois que de nombreux artistes sont généralement plus appréciés en dehors des contrées dans lesquels ils vivent. Mais c’est aussi un défi bien plus grand de se battre pour accéder à la scène internationale. J’ai eu la chance d’avoir le soutien et l’amour de la communauté mondiale des synthés modulaires qui m’ont donné l’impulsion initiale. Avec mes deux derniers albums complets « Industrial Symphony » et « Bonding », j’ai gagné beaucoup de fans de techno. Je pense que c’est aussi comme ça que Rebeka m’a découvert. J’avais l’habitude au départ de sortir ma musique moi-même, donc je sens que j’en suis responsable et mes morceaux sont comme mes propres enfants. Je sais comment m’occuper d’eux correctement. Je traite chacune de mes sorties très au sérieux, et j’inclus beaucoup de travail et de promo dédiée. Mais cette fois, il me semblait juste de m’ouvrir à une collaboration avec WarrioRecords. La scène française m’a toujours attirée. J’apprécie la façon dont ils traitent leur communauté et je sens que je veux en faire partie.

Tu viens d’ailleurs jouer bientôt en France. Quel type de live vas-tu proposer au public ?

J’ai un boîtier modulaire 7U plein d’Endorphin.es d’où proviennent toutes mes séquences, voix, échantillons et batterie et j’utilise SH-101 [plug-out pour System1m] pour la ligne de basse. Cette configuration a parfaitement fonctionné pour moi au fil des ans, car je peux voyager avec elle en suspendant les choses à bord. Ceci est important lorsque vous voyagez rapidement au-dessus de l’UE, généralement plus d’une nuit aller-retour afin que vous ne vouliez pas attendre les bagages enregistrés ou au cas où ils seraient perdus. Andreas voyage aussi avec moi à mes concerts. C’est une éminence grise qui m’aide à tout sonoriser correctement pendant les balances, puis à ranger après la représentation, car je suis assez fatiguée après avoir donné toute mon énergie au public. Le SH101 est un excellent synthé-basse et on l’entend sur presque toutes mes pistes enregistrées, mais il s’agit d’un oscillateur unique. Pour l’été, j’ai prévu d’essayer d’autres synthés que j’ai, comme Motorsynth et Virus. Je vais aussi me produire en France en juin au Diskoutal#4 à Ouessant, et pour l’automne je dois préparer un set ambient pour un événement spécial.

Tu as débuté en produisant de la musique purement analogique et instrumentale, mais tu utilises parfois ta voix sur quelques titres (Les Fleurs Du Mal). Penses-tu chanter plus souvent sur tes prochaines productions ? 

Depuis quelques années quand j’enregistre des morceaux en studio, j’essaie de toujours les adapter à mon programme live. J’utilise le séquenceur Endorphin.es Ground Control développé par Andreas qui me sert de cahier pour toutes les idées musicales. Ce séquenceur me permet d’avoir beaucoup de voix et de sauvegarder mes patterns et mélodies que je reproduis sur scène et je peux en tirer des synthés aussi bien modulaires que MIDI. Dans mon studio, je lui connecte un gros clavier pour pouvoir bien articuler. J’ai un lecteur d’échantillons [Endorphin.es Two of Cups], donc je mets des bribes de ma voix à partir des pistes du projet enregistré sur carte SD et je les recrée dans des situations en direct avec d’autres samples ou loops. Cela aide vraiment à ajouter des variations et des surprises aux prestations en direct, et la voix sonne toujours excellente.

Que penses-tu de la scène techno actuelle et de la musique dansante en général ?

Tu sais, il y a environ un an j’ai déménagé hors de Barcelone, nous sommes dans la nature, loin des gens et de la pollution médiatique. J’ai consciemment créé ma propre bulle où je n’ai pas à suivre ce qui se passe dans la techno ou dans aucune des scènes. Je le fais parce que je ne veux pas comparer ma musique et mon parcours avec d’autres personnes ou artistes. Je choisi très soigneusement les personnes, le contenu, les lieux ou les événements, les choses qui me comblent vraiment. Enfin, j’ai un studio de musique correctement traité pour l’acoustique – une salle dédiée où je peux créer. Je vois de nombreux artistes et acteurs célèbres avoir un style de vie similaire et cela ne fait que les aider à réussir. Depuis que je pratique cela, je me sens mieux dans ma peau et dans mes choix de vie.

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Ton univers musical, très minimal et texturé, invite l’auditeur à l’hypnose et à l’introspection. Ton œuvre fait penser à celle de Plastikman et à l’art pictural des Constructivistes Russes à l’instar de Kandinsky, El Lissitzky ou ce que faisaient des peintres abstraits comme Paul Klee ou Piet Mondrian. J’ai l’impression que tu bosses tes créations sonores comme un peintre qui ajoute un couche sur une autre, d’où vient ta façon de créer avec des synthés modulaires ?

Mais merci de faire référence à ma musique de manière aussi poétique avec de si belles comparaisons. J’ai toujours l’impression que mes arrangements sont très structurés avec des voix limitées plutôt qu’abstraits. « Peindre à partir de zéro » mais je ne peux pas définir ma musique et je vous laisse juger. Je suis contente d’avoir trouvé mon son et j’applique simplement ma propre formule et cela fonctionne très bien pour moi. Tout est question d’expérience et j’essaie jusqu’à ce que je sois satisfaite, il n’y a pas d’alchimie particulière. Finalement c’est selon mon oreille et mon goût.

Malgré le nombre de plus en plus conséquent de femmes DJ dans la scène des clubs et des festivals, les filles productrices et compositrices électroniques sont en général moins représentées dans la scène Techno. Fais-tu le même constat, et peux-tu nous recommander quelques productrices actuelles que tu trouves intéressantes ?

Je pense qu’il n’y a pas moins de femmes talentueuses que d’hommes dans toutes les sphères professionnelles, notamment en Europe. N’oubliez pas que seule une petite partie du monde est émancipée. Regardez la sélection d’artistes de WarrioRecords, ce sont principalement des femmes, et toutes sont vraiment talentueuses, une équipe super professionnelle totalement dirigée par des femmes.

Set à Paris le 5 Mai pour la soirée NEXT WARRIOR AMOR À MORT à La Station – Gare des Mines.

Tropic of Virgo de Julia Bondar
 

 

 

 

 

 

 

 

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