Véritable référence pour les guitaristes de hard-rock de tous poils apparus dans les années soixante-dix, Leslie West est le véritable inventeur du gros son heavy. La scène stoner-rock doit autant à Mountain qu’à Black Sabbath, d’où l’émotion qu’a engendré l’annonce de la mort de West ce 23 décembre 2020. Sa contribution à la guitare électrique est inestimable, premier des guitaristes à faire saturer une Gibson Les Paul Junior dans une rampe d’amplificateurs Marshall. Avec Blue Cheer, Mountain est le grand pionnier du hard-rock américain face à la toute-puissance de la production britannique, et sans qui Kiss et Blue Oyster Cult n’existeraient pas.

Leslie Weinstein est né le 22 octobre 1945 à New York dans une famille de confession juive. Il grandit entre Hackensack dans le New Jersey et Forest Hills, dans la banlieue de la Grosse Pomme. Leslie est comme beaucoup de jeunes gens de son âge ébloui par la British Invasion du début des années 60. Il découvre les Beatles et les Rolling Stones, et se met à jouer de la guitare. Sa vocation prend un tour sérieux en 1964, lorsqu’il rejoint les Vagrants, une formation de Blue-Eyed Soul dans la lignée des Rascals. Le divorce de ses parents est un détonateur dans la vie du jeune garçon, qui opte pour le pseudonyme de Leslie West. Il trouve un emploi stable pour gagner sa vie en tant que joaillier dans une boutique de négoce de diamants.

Les Vagrants sont typiquement dans ce que l’on considère aujourd’hui comme le garage rock américain du milieu des années 60 aux côtés des Seeds, Nazz, ou Thirteen Floor Elevator. Les Vagrants signent sur le label Southern Sound en 1965, et publient un premier simple : Oh Those Eyes / You’re Too Young . Larry West, le frère de Leslie, tient la basse, Jerry Storch les claviers, Peter Sabatino le chant et Roger Mansour la batterie. Le groupe tourne dans l’État de New York et le New Jersey. La chanson Oh Those Eyes fait l’objet d’un petit clip promotionnel, où l’on voit le groupe jouer au bord d’une piscine devant des jeunes gens dansant en maillot de bain, dans une atmosphère typiquement sixties. Leslie West est repoussé sur le fond de la scène du fait de son physique rondouillard, à côté du batteur. Il effectue un pas sur le devant de la scène pour interpréter un solo un peu hésitant, avant de se remettre en retrait. Le Garage Rock des Vagrants est plutôt plaisant, et le simple suivant sera publié en mars 1966 sur le label Vanguard : I Can’t Make A Friend/ Young Blues.

Leur réputation va grandissante, et ils finissent par signer sur la filiale d’Atlantic : Atco. Ils enregistrent trois nouveaux simples : une reprise de Respect d’Otis Redding couplé à I Love, Love You (Yes I Do), publié en mars 1967, A Sunny Summer Rain/ Beside The Sea en août 1967, et And When It’s Over/ I Don’t Need Your Loving en janvier 1968.

Les Vagrants piétinent, et Leslie West commence à s’ennuyer dans ce groupe où il peine à s’exprimer comme il le désire. En 1967, il découvre le blues électrique de Cream sur la scène du Fillmore East de New York, et c’est la révélation. En comparaison, sa formation est bien terne. West sait désormais que sa voie se situe dans ce heavy-blues faisant une large part à l’improvisation. Parallèlement, il se nourrit de blues anglais, celui de John Mayall, Jimi Hendrix, Cream, du Rock anglais des Who et du folk de Bob Dylan, dont les mélodies l’impressionnent. Parallèlement, il se lie d’amitié avec Felix Pappalardi, le producteur des enregistrements de Cream. Pappalardi est intervenu sur certains simples des Vagrants en tant que producteur, et il est fasciné par ce gros bonhomme rondouillard, au jeu de guitare particulièrement convaincant. Le frêle moustachu apprécie ses compositions, et fait une promesse à West : si le guitariste désire enregistrer un album solo, Felix sera de la partie. Pappalardi est convaincu que le guitariste est né pour être un immense musicien.

Mountain Guitarist Leslie West Has Died

La faute à Led Zeppelin

Les choses se concrétisent en 1969. West signe chez Windfall, le label de Pappalardi, une division de Columbia. En juillet sort l’album « Mountain » de Leslie West. Pappalardi tient la basse et produit. Norman Smart, issu des groupes de pop psychédélique Kangaroo et Bo Grumpus, prend les baguettes. Norman Landsberg assure les claviers. Ce premier album est un véritable festival de heavy-blues brûlant, qui passa fortement inaperçu à sa publication derrière l’avènement de Led Zeppelin, et la musique colorée et californienne de Grateful Dead, Jefferson Airplane, et Crosby, Stills And Nash. C’est pourtant assurément l’un des disques de Heavy Music les plus puissants de l’année, tenant largement la dragée haute à la concurrence du Jeff Beck Group, de Grand Funk Railroad et de Led Zeppelin. Seules petites faiblesses : le chant de West est un peu trop mis en avant, et le jeu de batterie de Smart manque de force. Néanmoins, on trouve déjà quelques futurs classiques de scène de Mountain : Blood Of The Sun, Dreams Of Milk And Honey, Long Red (reprise par Mott The Hoople en 1971) ou Southbound Train.

Les choses s’accélèrent lorsque Leslie West et son groupe sont intégrés à l’affiche d’un festival rock se tenant au mois d’août dans un champ à côté de la bourgade de Bethel, dans l’État de New York : Woodstock. West, Pappalardi, Smart, et l’organiste additionnel Steve Knight, qui joua avec Pappalardi au sein de The Devil’s Anvil, deviennent tout simplement le groupe Mountain. Ils assurent leur troisième set en tant que groupe sous ce nom sur la scène du désormais mythique festival. Le groupe joue dans un halo de lumière bleutée, dans la chaude nuit d’été. Les musiciens font grande impression, et auront le privilège d’apparaître sur le second double album consacré aux meilleures prestations du Festival : « Woodstock Two » en 1971. On peut y entendre Blood Of The Sun et Theme From An Imaginary Western, une composition de Jack Bruce sur son premier album solo : « Song For A Tailor ».

Si l’affiche du festival de Woodstock fut essentiellement consacrée à la musique de la scène Folk et californienne, certaines figures majeures jouent de ternes prestations : Creedence Clearwater Revival assure sans plus, et Grateful Dead passe à côté de l’occasion. Finalement, ce sont les groupes électriques qui font le spectacle : Who, Ten Years After, Jimi Hendrix, Santana, Johnny Winter et Mountain.

La carrière de la formation est bel et bien lancée, mais un petit souci reste à régler : Smart n’est pas à la hauteur. Sa frappe est certes précise, mais manque de relief. Comparé à la guitare exubérante et saturée de West, et la basse supersonique de Pappalardi, Smart fait pâle figure. Il faut donc trouver de toute urgence un batteur puissant et volubile, une sorte de fusion de John Bonham et de Keith Moon. Le candidat parfait sera trouvé en la personne de Corky Laing, d’origine canadienne. Pour le poste dans Mountain, Laing va s’astreindre à un régime d’athlète : pas de drogue, ni d’alcool, et un entraînement physique régulier. L’objectif est de pouvoir assurer un jeu de batterie fulgurant et très visuel, qui nécessite une énergie hors du commun.

Désormais propulsé par pareil batteur, Mountain monte d’un cran en termes de qualité musicale. Mountain retourne en studio pour capter ce qui sera son album mythique : « Climbing ! ». Paru le 7 mars 1970, il sort à peine un mois après le premier album de Black Sabbath en Grande-Bretagne. Les quatre de Birmingham ne sont pas encore venus jouer aux Etats-Unis, et il n’est pas exagéré de dire que Mountain est le groupe de Rock le plus féroce des Etats-Unis à ce moment-là. Il sera bientôt rejoint par une autre bande de furieux du Blues suramplifié : Cactus.

Mountain Climbing Album Cover Sticker

« Climbing ! » est un furieux concentré de hard-blues : la guitare de West rugit, la basse de Pappalardi vrombit, la batterie de Laing explose littéralement au visage. Seul Knight vient apporter un peu de douceur dans ce climat particulièrement mordant, débuté par le classique Mississippi Queen. La chanson va propulser les ventes de l’album, qui vont rapidement atteindre les 500 000 exemplaires. L’histoire du morceau débute en août 1969, lorsque Corky Laing fait encore partie du groupe Energy. Ils assurent un set pour une fête de plage, à proximité de Nantucket, une île américaine située au large de Cap Cod, dans le Massachussetts. La température est tellement élevée que les climatiseurs de toute l’île tournent à plein régime, provoquant une coupure d’électricité générale. Energy, qui est sur scène, se retrouve privé d’amplification. Laing, est fasciné par une jeune femme dansant devant la scène dans une petite robe transparente couverte de fleurs. Se sentant investi de la mission de maintenir l’ambiance et de permettre à la charmante naïade de continuer à danser, il se lance dans un solo de cowbell sur sa batterie, hurlant à tue-tête la phrase suivante : « Mississippi Queen, do you know what I mean ? », et ce pendant plus d’une heure. Laing se souviendra de cette anecdote et en jouera quelques bribes à Leslie West en studio, qui aura immédiatement l’idée du riff de guitare, ainsi que l’apport de la double grosse caisse.

Avec ce véritable premier album de Mountain, le groupe, on découvre aussi ce qui va faire l’une de leurs particularités : la dualité entre les compositions signées West/Laing et celles composées par Pappalardi et sa femme Gail Collins, qui est par ailleurs aussi l’auteur de la très belle pochette du disque. Les premières sont très blues, hard-rock, interprétées par la voix rocailleuse de West. Les secondes sont plus finement mélodiques bien que très charpentées, chantées par Pappalardi, au timbre plus doux. Ainsi, c’est lui qui reprend Theme For An Imaginary Western de Jack Bruce, qui deviendra un autre classique de scène de Mountain. Les deux leaders alternent les climats : Never In My Life, Silver Paper, For Yasgur’s Farm, un hommage à Max Yasgur, le propriétaire du champ prêté pour organiser Woodstock.

Champagne & cocaïne

L’album grimpe à la 17ème place des classements de ventes d’albums aux Etats-Unis, et Mountain obtient son premier disque d’or. Il semble que la carrière du groupe soit désormais sous le signe du succès commercial. Malgré la concurrence dans le domaine du blues lourd : Humble Pie, Led Zeppelin, Cactus, Free, Black Sabbath…. Mountain a trouvé sa place à coups de sets ravageurs. Ils triomphent sur la scène du Festival d’Atlanta qui se déroule du 3 au 5 juillet 1970. Sa version de Stormy Monday d’une durée dépassant les dix-neuf minutes, figure sur la compilation publiée en 1971 par CBS et consacrée aux meilleures prestations des artistes à Atlanta et au festival de l’Ile de Wight fin août. West allonge sans cesse les morceaux, délivrant des chorus en solo sur scène, interventions que l’on qualifiera d’excessives, mais l’époque veut désormais cela. Qu’importe, le garçon rondouillard est désormais la vedette sur la scène. Cette jubilation se traduit par des excès grandissants d’alcool et de drogues. West boit le champagne au goulot, et a, tout comme Pappalardi, le nez dans la cocaïne. C’est Mountain qui fait découvrir cette drogue aux musiciens de Black Sabbath, lorsque épuisés, ils ne comprennent pas comment les musiciens arrivent à enchaîner concerts et soirées arrosées tous les soirs en étant frais le matin.

Mountain est constamment sur la route, mais trouve le temps d’entrer en studio en janvier 1971 pour enregistrer un successeur à « Climbing ! ». Poussé par Felix Pappalardi, le quatuor se lance dans des morceaux plus ambitieux musicalement, n’hésitant pas à injecter un peu de musique progressive dans son Heavy-Blues. L’enregistrement du morceau titre, Nantucket Sleighride, une composition du duo Pappalardi/Collins, sera toute une épopée. Pappalardi, littéralement imprégné de drogue, fait recommencer des dizaines de fois les prises du morceau, rendant littéralement fou le batteur Corky Laing qui finit par jeter ses baguettes par-dessus son kit avant d’en venir aux mains avec le bassiste. Il quittera les sessions le temps de laisser retomber la colère.

L’ambiance au sein de la formation se détériore du fait de la dynamique étrange enclenchée par le duo Felix Pappalardi-Gail Collins. La jeune femme écrit les textes des chansons, dessine les pochettes, prend les photos du groupe et créée les fonds de scène. Sa présence devient un peu trop imposante au sein de Mountain, et Leslie West n’hésite pas à la comparer à Yoko Ono au sein des Beatles. Felix est rongé par une nouvelle drogue dévastatrice, l’héroïne, et a des aventures extraconjugales dont sa compagne a connaissance. Elle y fait ainsi référence dans les deux premiers vers du morceau Nantucket Sleighride, évoquant une certaine Robin Marie, qui n’est ni plus ni moins que la dernière maîtresse de Pappalardi. Le groupe au grand complet réussit néanmoins à venir à bout du nouvel album qui paraît le 6 février 1971, encore une fois orné d’une magnifique pochette signée Gail Collins. Toutefois, Leslie West ressort contrarié, peu à l’aise avec les structures progressives des nouveaux morceaux, et relégué sur la pochette comme simple guitariste.

Les morceaux magiques sont encore légions. La prise de son est plus fine, moins abrupte. Mountain reste néanmoins un groupe sans concession. En témoigne le percutant Don’t Look Around, tout en roulements de caisses et mellotron. Les thèmes abordés dans les chansons sont toutefois beaucoup plus sombres. Nantucket Sleghride raconte l’histoire d’Owen Coffin, jeune homme embarqué sur un baleinier au dix-neuvième siècle. Après avoir harponné un cachalot sans l’avoir tué, le bateau est traîné par le cétacé à travers les mers. L’équipage finit à court d’eau et de nourriture, et décide de tirer à la courte paille pour tuer et manger le perdant. Coffin sera le malheureux élu. Le morceau éponyme deviendra le tour de force scénique de Mountain, étiré sur près d’une demi-heure à chaque concert, West trouvant enfin sa place sur cette pièce de musique d’exception.

L’album grimpe à une très convaincante 16ème place dans les classements de ventes d’albums américains et sera une nouvelle fois certifié disque d’or. Le premier simple qui en est tiré, The Animal Trainer And The Toad/ Tired Angel publié en mars, ne fait par contre pas mieux que 76ème. Les simples suivants ne connaîtront tout simplement pas les classements. Il semble que bien qu’apprécié sur scène, et avec des ventes convaincantes, le groupe n’arrive pas à percer de manière définitive sur la scène musicale américaine. Mountain reste dans l’ombre de Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath.

Par contre, l’album fait une entrée dans les classements d’albums britanniques, à la 43ème place. Ils effectuent leur première tournée en Europe, jouant en Grande-Bretagne, en Scandinavie, et en Allemagne. Ils apparaissent à l’émission Beat Club le 26 juin 1971 et y jouent en direct Don’t Look Around.

Le groupe retourne rapidement en studio pour capter quelques nouvelles chansons en novembre. Le disque « Flowers Of Evil » paraît le 11 décembre 1971 et présente une face studio, et une face en concert. Parmi les nouvelles compositions, on retrouve le splendide Crossroader, chanté par Pappalardi, et traversé de superbes interventions à la slide de West. Ce morceau sera repris à plusieurs reprises, et récemment encore par le trio du guitariste-chanteur Wino Weinrich, The Obsessed, sur leur dernier album, « Sacred », paru début 2017. La face en concert a été captée au Fillmore East de New York. On y trouve une longue jam du nom de The Dream Sequence de plus de vingt-quatre minutes, et une version de Mississippi Queen massive.

Cette fois, « Flowers Of Evil » se classe péniblement à la 31ème place des classements de meilleures ventes d’albums aux Etats-Unis. Il ne réédite pas non plus sa percée sur le marché européen. L’ambiance commence à être morose au sein du groupe, et après une tournée britannique, Mountain se sépare en février 1972. Les raisons invoquées sont la volonté pour Pappalardi de revenir à la production d’une part, et celle de West de jouer avec un de ses héros, Jack Bruce de Cream, d’autre part.

West, Bruce and Laing — Wikipédia

Pentes escarpées

Plus prosaïquement, Pappalardi est épuisé par le rythme album-tournée frénétique du groupe, et les ventes décevantes et des derniers enregistrements. Sa santé a également été durement touchée : il souffre de sa dépendance à l’héroïne, et son audition a pâti du volume supersonique de Mountain sur scène. Sa femme Gail Collins le convainc donc de lever le pied quelques temps, également pour l’éloigner des groupies. Des conflits entre Pappalardi et le reste du groupe éclatent également sur les parts de royalties, le bassiste s’étant approprié de l’argent sur des chansons qu’il n’a pas composées comme Mississippi Queen.

Entretemps, un album en direct est publié : « The Road Ever Goes On », qui regroupe sur la première face deux extraits du concert au Festival de Woodstock, et la seconde face en janvier et février 1972 sur les dernières dates du quatuor. Les ventes s’amoindrissent aux USA, mais progressent en Grande-Bretagne où Mountain tourna régulièrement entre fin 1971 et début 1972. Ainsi ce très bon disque en direct se classe à la 21ème place des ventes d’albums dans ce pays.

West profite de cette pause forcée pour enregistrer avec Jack Bruce, remplaçant évident du fait de la connexion entre Pappalardi et Cream. Les négociations entre le bassiste et le guitariste débutent dès l’annonce du départ de Pappalardi de Mountain en janvier 1972. Il est suivi du fidèle batteur Corky Laing. Les trois fondent un trio simplement nommé de leurs patronymes : West, Bruce, And Laing. Il sera le précurseur de Beck, Bogert, Appice. Mal considéré, il a pourtant beaucoup à dire. Le trio est la fusion entre deux fans de Cream, et un musicien en quête de respectabilité en solitaire.

Why Dontcha : Bruce West, Laing: Amazon.fr: Musique

« Why Dontcha » déçut par son âme étrange et poétique. On attendait tant de cette fusion Mountain-Cream. On rêvait d’un trio démoniaque, capable d’aboutir à toutes les fusions, mais celle de Cream-Mountain était impossible. « Why Dontcha » est un album magnifique, autant empreint du Blues de West que du talent de mélodiste de Bruce. Le public espérait une sorte de super-Mountain, un groupe capable d’enfoncer aussi bien en terme de puissance qu’en terme de technique les meilleurs desperados du hard-rock. Mais les fantasmes voilèrent la vraie valeur du trio. « Why Dontcha » développe de superbes thèmes, tous dotés de la force poétique de Bruce et du brio musical de West. Corky Laing trouve également un espace de liberté plus grand, et ne se contente plus d’enfoncer ses caisses à coups de baguettes. Il a même droit à son morceau à lui, avec Turn Me Over, accompagné de Bruce à l’harmonica et de West à la guitare. Le disque sort en novembre 1972 et atteint la 26ème place des ventes d’albums aux Etats-Unis et reste classé vingt semaines. La tournée qui accompagne le disque est un succès immense, et les plus belles salles leur sont ouvertes à travers le monde. Le groupe signe pour une tournée de 30 dates à travers les Etats-Unis avant d’avoir finalisé son contrat avec CBS. En novembre 1972, les 6000 places du Radio City Music Hall de New York trouvent acquéreur en moins de quatre heures.

Néanmoins, West, Bruce And Laing est une expérience éprouvante pour les organismes. Bruce plonge dans les excès de boissons et de drogues, West également. Laing, sobre, plonge dans une overdose de sexe débridée. Le trio joue sans discontinuer aux Etats-Unis et en Europe entre novembre 1972 et le printemps 1973. Le kit métallique de la batterie de Laing servira à ramener l’héroïne britannique, de meilleure qualité aux Etats-Unis, le surpoids n’étant pas détecté à la douane. Le succès commercial de l’album et de la tournée décide CBS à pousser ses poulains en studio au plus tôt. Dès le milieu de l’année 1973, le trio enregistre de nouveaux morceaux. Cette fois, personne n’a de matériel sous la main. Epuisés par la tournée, les musiciens bâclent quelques nouveaux thèmes pour l’album « Whatever Turns You On » qui n’atteint qu’une maigre 87ème place dans les classements américains à sa sortie en juillet. Malgré l’improvisation complète, quelques très bonnes chansons se distinguent : Backfire, Token, ou Dirty Shoes montrent une formation moins démonstrative et plus compacte malgré le manque certain d’idées rassemblées.

Bien évidemment, il est aussitôt prévu de remettre le groupe dans le tour-bus. Mais ne voyant plus sa famille et sentant que sa santé physique et mentale se dégrade à une vitesse catastrophique, Bruce refuse. A la fin de l’année 1973, West, Bruce And Laing n’est plus. Les sessions du second disque auront été les derniers moments où les trois musiciens auront joué ensemble. Un album en concert est publié en 1974 après l’annonce officielle de la séparation : « Live And Kickin ». Il rassemble quatre morceaux captés en direct et se classe à une maigre 165ème place dans les charts US.
Mal aimé, considéré comme l’exemple typique du disque d’auto-satisfaction et d’auto-célébration mégalomaniaque, symbole des abus des super-groupes, « Live And Kickin » est pourtant bien plus intéressant qu’il n’y paraît. En effet, il n’y a ici nulle trace de solo individuel. Les morceaux sont joués en trio, concis, cohérents, et font preuve d’un esprit d’aventure musicale rare, confinant au Jazz. Les trois musiciens développent les thèmes avec ambition et inspiration, se relançant mutuellement afin de ne jamais perdre la folie du moment. Il est assurément un disque d’une immense qualité, sous-estimé, et qui aurait mérité d’être double. West avouera par ailleurs que Jack Bruce lui a réellement enseigné l’art de l’improvisation sur scène durant les concerts du trio.

Jack Bruce ayant retrouvé le calme de sa maison familiale, Laing et West se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils tournent ensemble à la fin de l’année 1973 sous le nom de Leslie West’s Wild West Show. La nouvelle de la dissolution du super-groupe est l’opportunité pour un Felix Pappalardi requinqué et désireux de retrouver le frisson de la route de reformer Mountain. Il contacte West, et décroche une série de concerts au Japon, ou le groupe n’a encore jamais mis les pieds. Le pays du Soleil Levant est une sorte de consécration ultime, le public japonais étant idolâtre et passionné. Les plus grands ont triomphé en terres japonaises : Led Zeppelin, Deep Purple…. Jouer au Japon, c’est rejoindre le cercle très fermé des très grands groupes de Rock internationaux. Pappalardi reste évasif sur la formation exacte de Mountain, West voulant que Laing soit de la partie pour la crédibilité du groupe, et par fidélité pour son ami batteur. Corky Laing ne sera finalement pas là pour de sombres histoires de droits d’auteur impayés par Pappalardi à Laing. Le batteur Allan Schwartzberg le remplace. Ce dernier sera l’un des requins de studio embauchés pour participer aux projets d’albums de Jimi Hendrix « Crash Landing » et « Midnight Lightning » en 1975 et 1976. La seconde guitare et les claviers sont tenus par Bob Mann. Le tout sera enregistré afin de publier un album live, projet dont West n’est pas davantage au courant.

Le résultat de ces sets du mois d’août 1973 sera l’excellent double live « Twin Peaks », publié début 1974 et qui se classe 142ème des ventes d’albums aux Etats-Unis. Il est la synthèse parfaite des meilleurs morceaux de Mountain, tous dopés par la scène. Jamais bavards, les musiciens délivrent un Heavy-Blues magique, auquel il manque toutefois la frappe énergique de Laing. Schwarzberg est un musicien professionnel mais manquant de vigueur. La basse de Pappalardi vrombit, la guitare de West rugit. Bob Mann est un accompagnateur efficace et discret, parfait complément aux trois autres instrumentistes. Crossroader est magique, Nantucket Sleighride est une odyssée spectaculaire de trente et une minutes. Mississippi Queen est jouée de manière quasi-définitive. L’album est un succès qui remet en selle Mountain comme l’une des grandes attractions scéniques américaines de l’année 1974.

Twin Peaks by Mountain: Amazon.co.uk: Music

Toutefois, il convient que Mountain capte de nouveaux morceaux. Et pour cela, West est inflexible : Corky Laing est de la fête ou Mountain s’arrête. Pappalardi lâche, les problèmes financiers sont provisoirement résolus, et le groupe retrouve le studio. Ils enregistrent le prodigieux « Avalanche » avec le musicien afro-américain David Perry à la guitare et aux claviers. Pappalardi se surpasse au niveau de la production, donnant à Mountain un son puissant et moderne, dopé aux amphétamines, et préfigurant Van Halen. La batterie est assourdissante, guitares et basses grésillent comme des bourdons soniques à travers les tweeters. La version du classique de Jerry Le Lewis Whole Lotta Shakin Going On est propulsée dans la stratosphère, tout comme le Satisfaction des Rolling Stones, devenu un Heavy-Blues boueux et malfaisant. Les morceaux originaux sont également de très haute tenue : Sister Justice, Thumbsucker, You Better Believe It, Back Where I Belong. Mountain est assurément à son meilleur niveau, même si musicalement, il n’a aucunement évolué par rapport à 1972. C’est d’ailleurs le reproche qui leur est fait, considérant Mountain comme une machine à heavy-music sans grand génie, efficace sur scène comme Humble Pie ou Black Sabbath, mais sans grande finesse ni esprit d’aventure. Pourtant, c’est oublier que Mountain est très en avance sur son temps du fait de sa production novatrice, mais cela passera bien inaperçue. L’album se classe à une très modeste 102ème place dans les classements américains.

Mountain reprend la route, en quatuor puis en trio avec le départ de Perry. Il reste une valeur sûre sur scène, mais semble perdre le feu sacré. Le groupe joue son dernier concert le 31 décembre 1974 à New York, et West décide de poursuivre en solo. Il enregistre « The Great Fatsby » en mars 1975 avec la participation discrète mais remarquée de Mick Jagger à la guitare. Puis il fonde l’excellent Leslie West Band à la fin de l’année. Il est rejoint par le fidèle Corky Laing à la batterie, et l’ex-Johnny Hallyday et futur Foreigner Mick Jones à la guitare. Le Leslie West Band publie un très bon disque éponyme en 1976, tout-à-fait en accord avec la personnalité musicale de Leslie West, avec du heavy-blues rageur à tous les étages. Puis ce sera le trou noir durant quatre longues années.

The Stone Band - Music History

Le virage des années 80

Felix Pappalardi se concentre sur la production, Corky Laing publie un premier album solo dispensable, « Makin’It On The Street » en 1977, et West participe à de nombreuses sessions de studio. Il joue en 1979 ainsi pour le second album solo de Corky Laing avec Ian Hunter de Mott The Hoople, et Felix Pappalardi à la basse et à la production. Des histoires d’argent et de labels vont à nouveau perturber les retrouvailles des musiciens, et les sessions feront surface bien des années plus tard avec Mick Ronson en lieu et place des parties de guitare de West. La drogue, l’alcool et l’argent restent des sujets de disputes fréquents, jusqu’à ce que la nécessité financière finisse par avoir raison des dissensions. En 1981, Mountain se reforme avec West, Pappalardi et Laing. Malheureusement, en 1983, Gail Collins, la compagne du bassiste et dessinatrice de toutes les pochettes de Mountain, abat d’une balle de fusil son mari après une énième infidélité. Collins est arrêtée. Elle échappe à la prison, le tribunal ayant conclu à un accident malheureux.

Mountain va poursuivre malgré tout, avec Miller Anderson du Keef Hartley Band à la basse, puis de Mark Clarke de Colosseum et Tempest au poste de bassiste. Le résultat sera le tiède « Go For Your Life » en 1985, qui ne fait pas mieux que 166ème dans les ventes d’albums aux Etats-Unis. L’album permettra néanmoins à Mountain d’accompagner un Deep Purple reformé sur les routes du monde entier. Le trio enregistrera sporadiquement entre deux albums solo de Leslie West, amaigri et désintoxiqué de l’alcool et de la cocaïne. Ritchie Scarlet remplacera Clarke au poste de bassiste après l’album « Man’s World » en 1996. Scarlet enregistre deux albums avec Mountain : « Mystic Fire » en 2002 et « Masters Of Wars », un album de reprises de Bob Dylan, en 2007.

La carrière solo de Leslie West reste riche, son jeu de guitare et sa voix, tous deux intacts, permettant de rendre le moindre album de reprises de blues passionnant, notamment le très bon « Got Blooze » en 2005.

bol.com | Got Blooze, Leslie West | CD (album) | Muziek

Contrairement à pas mal de musiciens des années soixante-dix tombés dans l’oubli, West était toujours resté dans l’actualité, bien connu des amateurs de guitares blues et heavy. Participant à des sessions, assurant régulièrement des tournées en solo ou avec Mountain, West était toujours là, bien que plus discret. Parallèlement, sa vie personnelle s’améliore avec son mariage avec Jenni Maurer en 2009, et un petit business personnel qui lui assure des revenus confortables en plus de sa musique. Le sort va de nouveau frappé lorsqu’il est amputé de la jambe droite le 20 juin 2011, suite à des complications liées à son diabète, lui-même la conséquence de ses nombreux excès passés.

Cette amputation mettra fin à ses activités scéniques, mais pas à sa production discographique qui s’enrichit de trois albums de bonne facture : « Unusual Suspects » en 2011, « Still Climbing » en 2013 et « Soundcheck » en 2015.

West et sa femme avait depuis peu quitté le New Jersey pour la Floride. Ils vivaient dans une belle maison. Leslie avait un projet de nouveau disque, mais son coeur en aura décidé autrement, brutalement, ce 23 décembre 2020. Il reste les précieux albums de la période Mountain et West, Bruce And Laing, ainsi que d’innombrables témoignages enregistrés en direct, tous animés par la force inoxydable de la voix et de la guitare de Leslie West.

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