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12 juin 2025

La voix de Nitzer Ebb s’est éteinte

Depuis son apparition dans les années 80 comme frontman de Nitzer Ebb (puis de Recoil) et bénéficiant du statut de « rock star », le chanteur anglais a réalisé un parcours sans fautes, entre morceaux cultes pour dancefloors cybernétiques et passages en boucle sur MTV, Douglas fut la voix d’une génération, la mienne !

Un communiqué officiel sur la page de NITZER EBB nous a appris hier soir la disparition de l’élégant Douglas McCarthy (1er septembre 1966 – 11 juin 2025), l’une des voix les plus emblématiques des années 80, une icône absolue pour tous les fans de musique électronique, qu’elle soit EBM, New Wave ou Techno !

 

J’avoue avoir été profondément attristé ce matin par la nouvelle de ce décès survenu après deux ans d’un combat éprouvant contre la maladie qui aura fini par écourter la vie de cet immense artiste décédé à seulement 58 ans. Déjà en 2022, Douglas fut rapatrié en urgence à Los Angeles quelques heures avant le passage de Nitzer Ebb sur la scène du Hellfest. Trent Reznor de Nine Inch Nails avait eu carte blanche pour inviter Killing Joke, Ministry, Youth Code et Skinny Puppy, mais le groupe de Vancouver ayant été contraint d’annuler sa venue du fait de problèmes de santé de leur chanteur Ohgr, le leader de NIN avait rapidement opté pour un remplacement au pied levé de Skinny Puppy par Nitzer.
Excités comme des dingues nous étions calés devant la chaîne Arte pour voir l’événement en direct quand j’ai compris en apercevant Bon Harris et David Gooday seuls sur scène que quelque chose de grave venait d’arriver, des amis communs m’ont donc expliqué que Doug avait eu un gros pépin de santé. Depuis ce jour fatidique nous eûmes la chance de revoir Douglas remonter quelques fois sur scène, notamment à Berlin en 2023 lors de la tournée commune des titans de l’Electronic Body Music : Front 242 et Nitzer Ebb. Le chanteur britannique semblait en petite forme et avait considérablement maigri par rapport à son concert du Berghain que nous étions allés voir en décembre 2018 pour le lancement de la tournée mondiale de Nitzer Ebb cette fois-ci avec les 4 membres originaux.

 

Douglas est né dans l’East London, c’est à l’adolescence qu’il monte Nitzer Ebb avec le batteur David Gooday et le machiniste Bon Harris, le projet va grandir dans l’Essex jusqu’à signer sur le label Mute Records qui sortira le séminal « That Total Age » en 1987. L’impact des premiers E.P et albums du groupe fut phénoménal, leur notoriété en Espagne, en Angleterre, en Belgique, en Suède ou aux Etats-Unis, fut sidérante et ne cessa de grandir bien avant l’explosion des raves et de la Techno. Le groupe se sépara en 1995, après la sortie de leur dernier album officiel « Big Hit » (plus indie-rock), avant de se reformer en 2006 après la collaboration avec Terence Fixmer qui redonna envie à Douglas de revenir sur le devant de la scène avec son groupe culte.

Dans les années 80, Douglas était cette voix extraordinaire et reconnaissable entre mille, ce vocaliste énergique qui haranguait les foules avec des slogans cultes qui ont eu un impact considérable sur nos vies et notre inconscient. Il avait une façon de chanter, à la fois avec virulence et douceur, il avait une voix magnifique, avec une texture vocale grave qui a influencé ma propre vision artistique d’un genre musical régulièrement galvaudé par des cancres plagiaires en manque d’originalité. Nitzer Ebb était pour moi le petit frère énervé de Depeche Mode, ce groupe célébrissime dont ils firent la première partie mondiale à plusieurs reprises dès la fin des années 80, puis au milieu des années 2000. Camarades de label, Depeche Mode et Nitzer Ebb ont été offerts au monde par Sir Daniel Miller, le grand manitou de Mute Records.

Les grands représentants de la musique électronique mondiale rendent aujourd’hui un hommage unanime à Douglas McCarthy, de Richie Hawtin (qui jouait du Nitzer Ebb sur son album mixé Decks, EFX & 909 – Novamute, 1999) à Dave Clarke, de Terence Fixmer à The Hacker, en passant par Alan Wilder (Doug chantera sur deux albums de Recoil entre 1992 et 1997), Djedjotronic, Arnaud Rebotini, Empirion, Kloq (Doug apparait sur Move Forward en 2008), ainsi que pas mal d’autres artistes qui ont collaboré d’une façon ou d’une autre avec Douglas. Sa voix caractéristique a toujours sonné pour moi comme un réconfort, un encouragement, une force pour affronter les épreuves de la vie, un modèle à suivre. Une voix exprimant, à chacune de ses interventions vocales charismatiques et vibrantes, une aura d’une puissance inégalée. Sa voix avait le pouvoir de nous remettre debout, de nous permettre de bomber le torse en toutes circonstances, en tout cas c’est ainsi que je le ressentais.

Pour l’anecdote gonzo, c’est en 2003 que j’apprends par Terence Fixmer qu’il vient de lancer un nouveau projet avec Douglas McCarthy. Ce premier album Between the Devil fera grand bruit, notamment en Allemagne, Belgique, Suède et Espagne. C’est d’ailleurs au Razzmatazz de Barcelone en 2004, que débutera la première date de la tournée internationale du lancement de ce miraculeux duo Techno-EBM. J’étais présent à ce concert mythique avec The Hacker, la prestation fut vraiment fantastique, je n’oublierais jamais Douglas McCarthy arpentant la scène du Loft d’un bout à l’autre en scandant et en haranguant le public catalan, assez jeune et chauffé à blanc par les basslines EBM de Terence Fixmer. L’album Between the Devil changera la donne et influencera considérablement la Techno contemporaine, au point qu’il y aura un avant et un après cet album brutal sorti sur le label allemand SPV. Signés en 2006 par le label français Citizen Records pour leur deuxième album Into The Night (dans un trip plus synthpop façon Nitzer Ebb époque « Come Alive » présent sur le EP As Is), le projet FxM ne sortira que deux albums alors qu’un troisième déjà enregistré par Doug et Terence aurait dû sortir depuis longtemps sans que nous n’ayons eu de nouvelles. Si vous voulez explorer d’autres projets de MCCarthy je vous conseille d’écouter Blackline, fait avec des mecs de Skinny Puppy.

Ce qu’il faut retenir pour les néophytes, c’est que l’EBM originelle se caractérise par un certain minimalisme, un son analogique et modulaire, des lignes de basses séquencées très dynamiques, des sons plutôt froids et industriels couplés à des beats soutenus et accompagnés d’un chant, parfois agressif, mais la plupart du temps délicieusement vindicatif du fait de sa proximité avec l’esthétique indus ou punk d’où il est issu. L’EBM de Nitzer Ebb a autant inspiré la vague New Beat belge des années 1987/88 qu’elle aura influencé une certaine scène techno française de la fin des années 90, incarnée par des figures comme David Carretta, Terence Fixmer, The Hacker, Arnaud Rebotini, Millimetric, Vitalic, puis bien plus tard Gesaffelstein, Maelstrom ou Sierra. L’influence de Nitzer Ebb fut également immense chez Nine Inch Nails, Ministry, Marilyn Manson, tout comme chez Prodigy, Underworld ou Chemical Brothers.

PS : Pour les lecteurs que cela intéresse et qui souhaitent approfondir l’aventure Nitzer Ebb, il suffit de jeter un œil sur mon essai biographique Nitzer Ebb : l’homme, l’âme et la machine (édition française aujourd’hui épuisée chez Camion Blanc mais toujours disponible en anglais ou en espagnol aux éditions Unknown Pleasures Records).

 

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