Depuis une dizaine d’années, Quentin Tarantino fait partie des anciennes idoles que beaucoup adorent détester et brûler. Pourtant, son neuvième film prouve qu’il est aujourd’hui au moins aussi bon qu’à ses débuts.
« Pourquoi est-ce que Margot Robbie a si peu de dialogues dans le rôle de Sharon Tate ? » Cette question posée par une journaliste lors de la conférence de presse de présentation de Once Upon a Time… in Hollywood au dernier Festival de Cannes résume à elle seule l’incompréhension entre une partie des médias actuels et Quentin Tarantino. Et pour s’en convaincre, il suffit de voir la moue agacée et boudeuse du réalisateur quinquagénaire au moment de répondre en quatre mots : « je rejette votre hypothèse », avant que Margot Robbie ne vienne mettre fin à ce moment de malaise très gênant avec une réponse diplomatique plus développée.
Depuis 25 ans et la Palme d’Or attribuée à Pulp Fiction sous les sifflets d’une partie du public, Tarantino continue de se rendre sur la Croisette pour présenter ses films en compétition, mais au fond, il doit bien savoir qu’il n’a plus aucune chance de remporter le moindre prix. Dans les années 1990, il était vu comme un frondeur, quasiment un punk du cinéma avec son célèbre doigt d’honneur aux critiques. Aujourd’hui, il a son rond de serviette à Hollywood, et il n’est plus vraiment cool. Il est un cinéaste grand public dont les films cartonnent tellement au box-office qu’il a pu négocier des conditions inimaginables pour quelqu’un d’autre que lui auprès de son nouveau distributeur, Columbia Pictures (Sony).
Car en 2017, il a évidemment dû mettre fin à sa collaboration historique avec son pote le producteur Harvey Weinstein, au cœur d’un gigantesque scandale où il est accusé de viols, d’agressions sexuelles et de harcèlement sexuel par des dizaines de femmes. Quand l’affaire est révélée, Quentin se dit « abasourdi » par ces « révélations. » Le souci, c’est que quelques jours plus tard, il confirme ce que tout le monde imagine : il ne pouvait pas ignorer les agissements de Weinstein, et il n’a rien fait pour les arrêter parce qu’il travaillait avec lui. Dans un contexte où ses films sont déjà scrutés de près parce que considérés par de plus en plus de gens comme des délires de mecs faits pour des mecs, ces aveux teintés de mea culpa ne vont pas faire du bien à la réputation de Tarantino, et toute son œuvre va dès lors être vue sous un autre jour. Autrement dit : le réalisateur est soupçonné d’être un affreux misogyne doublé d’un raciste.
Pourtant, avant d’écrire le conte Once Upon a Time… in Hollywood, le début de carrière de Tarantino a lui aussi ressemblé à un conte de fées. Ancien cancre à l’école devenu boulimique de cinéma en travaillant dans un vidéoclub, il explose dès son premier film en 1992 et devient une coqueluche du cinéma indépendant avec Reservoir Dogs. Pulp Fiction et Jackie Brown enfoncent le clou dans les années qui suivent et à la fin des années 1990, Tarantino est déjà une icône cool de la pop culture quasi unanimement adulée.
Mais dans les années 2000, les choses commencent à se gâter pour Quentin. Après quelques années de pause, il se met à donner des rôles principaux à des femmes dans les fabuleuses histoires de revanches féministes que sont le diptyque Kill Bill et Boulevard de la Mort, deux de ses meilleurs films. Si les aventures d’Uma Thurman font un bon petit carton, le deuxième est un énorme bide incompris du public, qui commence seulement à être réévalué depuis quelques années comme la pépite sous-cotée qu’il est.
En 2009, Tarantino entame pour de bon sa descente auprès des snobs avec un crime de lèse-majesté : il se met à faire des films révisionnistes où la fiction change le cours de l’Histoire. C’est d’abord le cas avec Inglourious Basterds, où les nazis se font botter le cul dans la France occupée. Puis en 2013 avec Django Unchained, où un esclave noir se libère et massacre ses anciens geôliers. Cette idée de revisiter de manière tarantinesque des événements tragiques et aussi chargés émotionnellement que la Shoah et l’esclavage n’a pas vraiment fait l’unanimité. Comment le spécialiste des petites histoires de malfrats insignifiants peut-il oser s’attaquer à l’Histoire avec un grand H et en faire des farces en changeant le cours d’événements bien réels ?
Sur le plan commercial, il n’y a pas de quoi pleurer pour Quentin, puisque ces deux films sont pour lui des records au box-office. Mais quand il tente un retour à la pure fiction et à ses fondamentaux avec le western The Hateful Eight en 2016, il réalise de loin son moins bon long-métrage et fait un petit flop que tout le monde a déjà oublié. Pire encore, le film cristallise toutes les critiques faites à Tarantino depuis des années en termes de racisme et de sexisme. La sortie de ce dernier long-métrage de Tarantino produit par Weinstein précède d’ailleurs de peu la révélation du scandale dont on a déjà parlé.
Et après avoir été critiqué entre autres par Spike Lee pour son utilisation répétée du mot « nigger » dans ses films, Tarantino a même été mis en cause par nulle autre qu’Uma Thurman, puisque la star de Pulp Fiction (également victime de Weinstein) a révélé avoir été maltraitée sur le tournage de Kill Bill. Ajoutons à tout ça que Once Upon a Time… in Hollywood sort pile pour le cinquantième anniversaire des meurtres de la famille Manson, que l’idée de faire un film sur cette histoire ne plaît déjà pas à tout le monde, et « le premier long-métrage post-affaires Weinstein de Tarantino » se retrouve donc attendu en partie à cause de cette étiquette qu’il n’a pas demandé, mais à laquelle il ne peut pas échapper.
L’auteur de Pulp Fiction le sait pertinemment : le monde de l’audiovisuel n’est plus le même et le perçoit différemment, mais son nouveau long-métrage montre qu’il n’en a pas grand-chose à foutre. Certes, l’époque est dominée par le flux constant des séries majoritairement aseptisées, médiocres et jetables de Netflix, obsédées par l’idée de mettre cyniquement en avant et avec d’énormes sabots des sujets de société dans l’ère du temps, via des messages symboliques de fond très visibles (à défaut d’être engagés) pour attirer tous les moins de 30 ans. Mais heureusement pour nous, Tarantino fait comme si tout ça n’existait pas et continue de montrer une obsession démesurée pour la forme, devenue quasiment désuète aujourd’hui, avec un bon gros film hollywoodien à l’ancienne, pensé pour rester intemporel.
Et pourtant, Tarantino n’a pas une ambition incroyable. Il pense que montrer deux acteurs beaux comme des dieux dans une Cadillac Coupe de Ville dont la radio locale KHJ diffuse Paul Revere & The Raiders pendant qu’ils traversent Los Angeles sous une lumière naturelle à tomber par terre (ou au coucher du soleil sous les néons du Sunset Strip) est un plaisir pour les yeux et les oreilles de tout le monde, et il a sûrement raison. Il arrive à un stade de sa carrière où il peut se faire un pur trip nostalgique, filmer Al Pacino en vieux producteur de films, et Brad Pitt (le cascadeur) et DiCaprio (l’acteur) en vieilles gloires sur le déclin pendant l’année 1969, celle de la fin abrupte et violente du rêve hippie, et de l’irruption du Nouvel Hollywood. Le tout en installant un climat de malaise qui le rapproche parfois des westerns dont ses acteurs sont les seconds couteaux, mais aussi du thriller.
Un peu comme Tarantino, les personnages incarnés par Brad Pitt et Leonardo DiCaprio sont devenus des hommes du passé qui ne comprennent plus leur époque
Un mélange de western, de thriller et de conte de fées dont la morale risque d’être au moins autant discutée que la véracité historique. Un peu comme Tarantino, les personnages incarnés par Brad Pitt et Leonardo DiCaprio sont devenus des hommes du passé qui ne comprennent plus leur époque. Ils détestent viscéralement les hippies et ont les comportements déplacés de leur temps, mais ils ne sont pas présentés comme de mauvais bougres par Tarantino. On a donc un doute sur l’ampleur de la mélancolie qui a frappé le réalisateur. Quentin serait-il vraiment devenu un vieux réac qui regrette l’époque où « les hommes étaient des hommes » et où des acteurs de western auraient pu casser la gueule de la famille Manson, dont les trois assassins de Sharon Tate (Charles « Tex » Watson, Patricia Krenwinkel et Susan Atkins) sont tournés en ridicule de façon jubilatoire ? Quand dans l’une des meilleures scènes du film, on voit une jeune actrice très douée de huit ans faire la leçon et apprendre la vie à l’acteur alcoolique, peu sûr de lui et ringard interprété par DiCaprio, on ne sait plus vraiment quoi répondre à cette question.
Bien sûr, la fin du film fera forcément débat, et sans en dire trop (car Quentin est obsédé par les spoilers depuis la fuite du script de The Hateful Eight), ceux qui n’apprécient pas de voir Tarantino réécrire une partie de l’histoire risquent bien de s’étouffer pour de bon. On peut y ajouter que Once Upon a Time… in Hollywood rompt avec quasiment tout ce qui a fait la marque de fabrique de Tarantino depuis ses débuts, et qui a fini par épuiser une grande partie du public (revoir The Hateful Eight). Il est donc à la fois assez surprenant et satisfaisant de voir que ce film ne comporte pas vraiment de narration non-linéaire, de dialogues abscons, d’histoire de vengeance ou d’explosions de violence (sauf dans une scène). Le Tarantino nouveau s’est converti à une forme de classicisme et de retenue, et il pourrait y avoir pire manifestation de la crise de la cinquantaine.
Evidemment, on retrouve quand même certaines obsessions comme le fétichisme pour les pieds. Et parce que Quentin est incorrigible et complètement déconnecté de son époque, il fait dire quelques blagues racistes envers les Mexicains à ses deux acteurs principaux, et affuble le personnage de DiCaprio d’une femme actrice italienne caricaturale qui n’est qu’un fardeau financier pour son mari. Quant à Bruce Lee, s’il est présent dans le film, c’est pour se faire ridiculiser par Brad Pitt qui lui ferme sa grande bouche dans une scène de combat qui fait déjà polémique pour son racisme supposé. En parlant de Brad, le cascadeur qu’il interprète est aussi ambivalent. À plusieurs reprises, le script indique sur le ton de la plaisanterie qu’il a tué sa femme et s’en est sorti, ce qui est une façon étrange d’évoquer le sujet des violences conjugales. En même temps, il refuse les avances d’une hippie car son personnage est mineur, ce qui peut difficilement être innocent dans un long-métrage qui évoque, certes d’assez loin, le destin de Roman Polanski.
Si le film ne raconte pas à proprement parler l’histoire du meurtre de Sharon Tate par la famille Manson, Tarantino a quand même pris soin de reconstituer à peu près correctement le contexte de l’époque. Une scène de western mémorable avec Brad Pitt prend place au Spahn Ranch où ont été tournés certains westerns avant qu’il ne soit occupé par Charles Manson et ses adeptes à la fin des années 1960, et où un cascadeur a d’ailleurs été assassiné par la famille en août 1969. Et même si Charlie n’apparaît lui-même qu’une seule fois dans le film, la scène est assez glaçante pour que son ombre menaçante plane pendant plus de deux heures au-dessus des différents personnages qui habitent à Cielo Drive.
Quant à Margot Robbie, à défaut d’avoir beaucoup de dialogues, elle incarne une version fantasmée de l’innocence de Sharon Tate, dont le personnage est une sorte de fantôme qui hante tout le film, offrant au passage une vision peut-être simpliste de l’actrice dont la personnalité semble se résumer à danser en écoutant des disques. Mais malgré cette vision réductrice, elle est éblouissante dans au moins deux scènes centrées sur elle : une fête au Playboy Mansion où l’on retrouve Mama Cass et Steve McQueen (drôle de sensation dans un long-métrage de Tarantino), et une promenade sur le Strip où elle se rend à une projection d’un film dans lequel elle joue. Après la polémique de Cannes, Once Upon a Time… in Hollywood a été augmenté de deux minutes supplémentaires avec Robbie à l’écran. Même si Tarantino dirait sûrement qu’il s’agit d’une coïncidence, on a envie de croire à une petite prise de conscience.
Mais en réalité, Margot Robbie n’est pas vraiment le premier rôle féminin du film. C’est le personnage de la hippie Pussycat, membre de la famille Manson, qui lui vole la vedette. Elle est incarnée par la prodigieuse Margaret Qualley, dont on savait qu’elle allait exploser dès sa première scène dans la meilleure série des dernières années, The Leftovers. Tarantino lui offre un personnage composite qui n’a pas existé au sein de la famille Manson, mais qui agrège plusieurs influences, avec son physique à la Patti Smith et ses aisselles au naturel.
Once Upon a Time… in Hollywood est un film imparfait et pétri de contradictions dont les défauts font tout le charme. Avec son histoire bancale et sa tendance à s’abandonner longuement à la mélancolie et à l’auto-contemplation, il achève paradoxalement très bien la trilogie « révisionniste » de Tarantino, et permet d’affirmer que ce dernier se bonifie en réalité avec les années. La façon dont il réécrit les pages les plus tragiques de l’histoire de façon grand-guignolesque et dont il se sert de la fiction pour raconter ces variations sur le mode de la rêverie a quelque chose de jouissif, tout simplement. Non, sa production des années 1990 n’est pas faite de chefs d’œuvre intouchables, et ses films des dix dernières années ne sont pas des bouses parce qu’ils sont vus par dix fois plus de personnes que Reservoir Dogs. En montrant dans sa scène finale la rencontre entre l’ancien monde du cinéma populaire et les ambitions artistiques du Nouvel Hollywood, Tarantino réussit avec Once Upon a Time… in Hollywood à réconcilier ces deux forces qu’il place à égalité à égalité dans sa filmographie et qu’il aimerait sûrement voir cohabiter davantage. Une rêverie de plus et une déclaration d’amour réussie à une époque révolue à qui il donne l’apparence d’un fantasme, mais qui était aussi un cauchemar que tout le monde ne regrette pas.
10 commentaires
C l’ete we’re all racists.
Pfff Hateful Eight c’est un pur film peut-être son meilleur
c l’été mange des merguezes venues d’afghanistan.
… pas secure qu’il aille aux baleapopos…..
Ville 2 Rennes_psg en etat de siege…. Viva Totto catchio!
? çà $ent pas L’avoine cramée ?
;;; right now…. in Grazzia!!!!!!!! les tofs de Clinton en tapette Travolta, mais pas d’images de THE HUNT!
oh the best-her! ? vamos a biarriOt ?! besoin d’avocados en renfort, douche gratosse…….
Mouais
Tarantino et ses obsessions ne me font plus d’effet depuis un moment .
Y a beau avoir des comédiens « beau comme des dieux » ça ne me fera pas changer d’avis.
Je conseille plutôt d’aller voir « Midsommar » qui mériterait un petit papier non?