Moebius est mort ce week-end. Sylvain Fesson l'avait rencontré en octobre 2010, à l'occasion de sa rétrospective à la fondation Cartier. Pour honorer sa mémoire, remontée des archives pour une montée au ciel.

Fondation Cartier. 14e arrondissement de Paris. Le maître a un tandem à la Igor et Grichka Bogdanoff en face de lui, en moins freak, mais quand même. Il nous regarde avec amusement comme un curé malin, avec des yeux et des rides rieuses qui forment comme un canevas, un circuit électronique, immensément visible, dans lequel on se perd. Fasciné. Façonné. C’est comme un arbre dans lequel on aimerait monter. Centenaire. Millénaire. La toile de l’univers.

« La main n’est pas différente de ce qu’elle crée », dit-on. La main, la gueule, tout le bonhomme. Ce côté « réfléchi et roublard, friand de jeux de mots pas toujours très subtils ! » que mon frère fixera en « petites caricatures » pour tenter « de saisir le souvenir de cette entrevue avec Moeb’ », ces traits sur son visage, cet idéogramme qui nous enserre, impérial, c’est l’ADN de son œuvre.

Moebius, c’est une matrice. Dans les années 60, en libérant sous ce pseudonyme/avatar inspiré du nom d’un mathématicien/topographe allemand (August Ferdinand Möbius) la part la plus perso et SF de sa production, Jean Giraud a éclaté les codes de la BD, créant tout un nouveau monde d’images (mentales, mutantes) qui frappa les cinéastes/lecteurs d’Arzach dans les pages de Métal Hurlant. Il a alors story-boardé le Dune (jamais réalisé) de Jodorowsky, Alien, Les Maîtres du Temps, Tron, Masters of the Universe, Willow, Abyss, Little Nemo, Space Jam, Le Cinquième élément. Marvel est allé le chercher pour écrire une histoire du Surfer d’Argent. Et, de la même manière que son esthétique a contaminé d’elle-même celle du Blade Runner de Ridley Scott et des films d’animation de Hayao Miyazaki, sa vision des super-héros a influencé plusieurs auteurs de comics.

Moebius, c’est pas Bilal – dont des planches, élevées au rang de toiles, s’arrachent aussi à prix d’or. Par la grâce de ce narcissisme vers le haut que lui confère son prisme de Cocteau (twins), la grâce de ce grand Autre qu’on appelle Moebius, il s’élance vers l’infini et au-delà. Plus fort, lumineux, onirique. Ludique aussi. Car pop. Métaphysique mais pop. Son premier avatar, comme il l’avoue, n’était-il pas Lucky Luke, qu’on trouve dans sa première histoire publiée ? Et le second, sous les traits burinés du cow-boy Blueberry, n’était-il pas Belmondo, qui a aussi servi à façonner Cobra ? Chez lui, on malaxe toujours du terrestre, de l’anti-héro et du sexe pour mieux en faire jaillir les lignes de force et de fuite d’un trip initiatique. L’Incal, qui fait d’un loser, John Difool, le centre d’une intrigue cosmique en six tomes (scénarisés par Jodorowsky), en est la parfaite illustration.

Bref, Moebius c’est une sorte de Bashung du dessin. Il a redéfini et élargi le champ de son art, essentiellement bâtard, qu’est la BD en y introduisant sa mystique SF. D’ailleurs, le 15 mars 2009, n’avait-il pas signé sur le vif un dessin d’Alain pour le Libé du lendemain qui, suite à son décès, lui était entièrement dédié (Vertige de la vie) ? N’avait-il pas aussi réalisé les dessins du livret de l’album-hommage que Barclay lui avait consacré (Tels Alain Bashung) ? Oui, un Bashung du dessin, mais à l’impact international, car ses cases s’allègent souvent des contingences du langage. Il fait partie de notre pop culture. On vit dans une sphère qu’il a en partie designée.

Mais qu’en est-il des jeux vidéo ? S’y intéresse-t-il ? Y joue-t-il ? Est-il plus Sega ou Nintendo ? Mario ou Sonic ? Quelques pistes nous laissent croire que ça devrait l’intéresser : il a aussi fait des dessins pour des jeux vidéo (Fade to Black, Panzer Dragoon, Pilgrim : Faith as a Weapon) ; à San Francisco le complexe Metreon dispose d’une borne d’arcade contenant trois jeux vidéo (Quaternia, Hyperbowl, Portal One) inspirés des BD Le Garage Hermétique et Le Major Fatal. C’est peu. Quand on le rencontre on ne sait pas. Mais on se dit qu’un grand rêveur de mondes de 73 ans ne peut pas ne pas s’intéresser à ce nouvel eldorado d’images et d’expériences. Que celui qui a bossé sur le premier film en images de synthèse et qui est fasciné par « la menace de l’engloutissement » de la beauté, doit loucher sur le champ des possibles des mondes virtuels.

« Je voulais faire un jeu où on aurait revécu toutes les sessions du premier Elvis »

Moebius aura tellement à dire qu’il fera de ma dernière question un trip final de 9 minutes, le tiers du temps qui nous était imparti. Et tout l’entretien sera comme ça : idyllique. Bien que débordé et fatigué (on sait que cette première grande exposition parisienne qui lui est consacrée est aussi la dernière, qu’il va bientôt mourir car il a un cancer, comme le suggérera mon frère dans un de ses dessins) il aura l’élégance de n’en rien faire paraître, affichant la fraîcheur d’un cerisier japonais, souriant, disponible, fourmillant d’idées. Et nous, pendant cette demi-heure, on sera comme des mômes devant Jean Rochefort quand il lançait les aventures de Winnie, comme deux mômes ayant l’impression d’être arrivés au dernier level devant le rêveur ultime, sans sauvegarde ni crédits pour remettre ça. Deux gars conscients de tenir l’un des derniers « grands ». Rencontre avec un destin poétique.

Bonjour Moebius. Etes-vous intéressé par les jeux vidéo ? Y jouez-vous ?

Non, je ne joue pas, mais j’adore les jeux. Aujourd’hui il a un peu arrêté et il ne me laisserait plus m’installer derrière lui mais à une époque mon fils jouait beaucoup à tout ça, et je passais des heures à le regarder. Pour moi c’était comme de voir un film.

Vous souvenez-vous des jeux que vous aimiez regarder ?

Oui ! Il y en a un que j’aimais beaucoup, c’était Zelda, notamment le moment où il traverse l’océan, où on voyait le bateau avancer, ce genre de séquences où il ne se passait rien, j’adorais ça ! J’aimais aussi beaucoup le plombier là…

Super Mario ?

Oui, Super Mario, j’adore !

Vous n’étiez pas insensible à un héros qui se transforme sans cesse en prenant des champis et dont l’univers s’inspire d’Alice au Pays des Merveilles ?

Ah complètement, c’était un ravissement absolu ! Mais j’aime aussi Grand Thief Auto, c’est vachement bien, superbe. Je me rappelle aussi d’un jeu japonais que j’adorais, ça ressemblait un peu aux dernières versions de Prince of Persia : le gars devait libérer la princesse, ce qu’il faisait assez vite, mais ce qui était dur c’était de s’enfuir car après c’était piège sur piège…

Ico ?

Voilà, Ico ! Alors ça, pour moi, c’est le top du top de tous les jeux que j’ai pu voir. En termes de graphisme, de fascination, de beauté, mais j’en ai loupé plein parce que je n’ai pas le temps de jouer et puis je ne sais pas jouer, je ne sais pas aller à gauche, à droite, revenir en arrière, mais j’adorerais regarder mon fils jouer… Et il jouait vachement bien.

Avez-vous déjà pensé à adapter ou faire adapter l’une de vos BD en jeu vidéo ?

Oui, à l’époque j’avais commencé à réfléchir à ça autour de l’univers du Garage Hermétique. Je voulais en faire un jeu hybride, où il y ait à la fois de l’action et de la contemplation. C’est-à-dire que je voulais qu’il y ait beaucoup de traversées de déserts, de voyages…

Ces idées de voyage et de contemplation étaient peut-être un peu trop avant-gardistes vu l’état d’avancement des jeux vidéo de l’époque…

Je ne sais pas. De toute façon je n’ai jamais cherché un producteur pour concrétiser cette idée, c’est resté dans ma tête. Mais oui, j’étais parti assez loin. Je voulais créer un univers où on puisse de temps en temps sortir de la problématique du jeu pour entrer dans des zones faussement aléatoires…

Des déviations ?

Oui, plein de déviations proposant des petits jeux parallèles. Par exemple, on aurait pu voir un bâtiment, et une fois dans le bâtiment on serait tombé sur un joueur d’échecs, et pour pouvoir continuer il aurait fallu disputer une partie avec lui. J’avais plein d’idées basées sur les jeux vidéo ! Par exemple, je voulais pouvoir reconstituer le studio d’enregistrement où Elvis a fait son premier disque. Je voulais qu’on puisse revivre toute la session ! Tourner tout autour du truc et découvrir des morceaux ratés. Je voulais aussi faire ça avec des peintres, par exemple montrer Picasso dans son atelier en train de peindre son œuvre. J’aurais réutilisé la séquence du Mystère Picasso, le documentaire qu’il avait fait avec Clouzot. Voilà, rien que des idées comme ça. (sourire)

Et aucune ne s’est jamais concrétisée ?

Non, c’est même la première fois que j’en parle ! À l’époque j’ai eu plein d’idées comme ça. J’en ai oublié plein. J’avais aussi fait un scénario sur l’idée de safaris virtuels dans des villes reconstituées. On aurait eu un avatar de soi-même et, en compagnie de cinq ou six avatars d’autres personnes, on aurait été lâché dans un simulacre de ville pour y faire ce qu’on veut. L’idée est vachement intéressante. À un moment, j’avais aussi imaginé de faire un business d’immobilier virtuel, c’est-à-dire de créer un territoire où j’aurais vendu des emplacements virtuels à des grosses boîtes comme Sony, Kookaï. Leur argent m’aurait permis de pouvoir continuer à nourrir ce monde en espace virtuel parce que ça coûte très cher à développer. Entre-temps le truc a certainement dû être fait…

Oui, en gros c’est l’idée de Second Life !

Je n’y suis jamais allé, mais de ce que j’en ai entendu dire, oui, il y a de ça. Du coup je n’ai pas envie d’aller voir à quoi ça ressemble !

Qu’est-ce que ça fait d’avoir eu une idée près de 20 ans avant qu’elle ne se réalise et fasse un carton, même éphémère ? Se dit-on qu’on a eu un flair monstre ?

Oui, mais je suppose que je n’étais pas le seul à avoir eu cette idée, c’était dans l’air du temps. Si on a le cerveau un peu holographique, on capte ce genre de choses et d’un coup on ouvre la boîte de Pandore et on embrasse le paysage ! Après, ce qui prend du temps c’est de raconter la vision. Mais si on prend le temps de le faire et qu’on se focalise dessus, alors le cerveau va se mettre en branle et toutes les ramifications qu’on avait senties d’instinct vont petit à petit prendre forme, et on va finir par avoir une sorte de monstre, un peu comme celui qui j’ai dessiné pour l’affiche de mon exposition à la Fondation Cartier ! (rires)

À quoi ressemblait votre Second Life telle que vous la fantasmiez ?

Elle se rapprochait de l’univers du Désert B. Elle aurait pris les traits des traversées de désert à dos d’oiseau qui remplissent les pages de cet ouvrage. Dans ma Second Life on voyait donc le paysage d’assez haut et, de temps en temps, dans la monotonie de ce désert, on apercevait des choses qui pouvaient sembler intéressantes. Alors là on s’approchait et on passait à un mode d’exploration, plateforme. Je voulais donc encore une fois que ce jeu combine des scènes de contemplation et des scènes d’action où il faut tuer des gens, parce que je trouve que c’est vachement sympa ! (rires)

C’est votre côté GTA !

Oui, mais associé à l’onirisme de ce jeu japonais que j’aime beaucoup, et qui a au moins 15 déclinaisons…

Final Fantasy ?

Oui ! Parce que dans Final Fantasy il y a des trucs vraiment incroyables et c’est un peu le foutoir, comme dans ce que moi j’entrevoyais : tout est mélangé.

Les jeux vidéo sont donc quelque chose qui vous stimule vraiment…

Oh, je trouve ça formidable ! Pour moi, le déclencheur a été le premier jeu de mystères, ce jeu où il fallait résoudre des énigmes… Ah, j’ai plus le nom en tête…

Myst ?

Voilà, c’est ça. Myst j’ai trouvé ça vachement bien. Mais un peu trop dur. Je n’ai jamais pu aller au-delà des 5 premières minutes ! (rires) Du coup, ça m’a vraiment découragé ! J’étais furieux, parce que j’étais frustré à un point inimaginable.

Il y a donc tout de même un joueur qui sommeille en vous !

Oui, je suis très joueur en fait. Par exemple, je suis fan des échecs. J’aime beaucoup les jeux qui mélangent stratégie et adresse comme le billard, que j’ai longtemps pratiqué. Au billard, il est beaucoup question de gestion de la perspective et d’anticipation de la balistique, des trucs vraiment balèzes. Moi j’étais plutôt dans le billard européen, à trois boules, mais les mecs qui font du billard américain, le snooker, ils sont aussi très très balèzes. Les champions de billard ont des cerveaux monstrueux ! (rires)

J’ai appris qu’en 1995 vous aviez travaillé sur le design des jeux vidéo Panzer Dragon et Fade to Black. Concrètement, en quoi cela a-t-il consisté ?

Oh, ce n’était pas du design, c’était juste un dessin pour la pochette du jeu. Du design de jeu, je n’en ai jamais fait car le milieu du jeu vidéo a très vite généré son cheptel de designers. Le seul qui ait vraiment fait un boulot à ce niveau-là, c’est Sokal. Il a fait un jeu un peu pompé sur Myst. Un jeu d’aventures assez difficile à digérer.

Druillet en aussi fait un, non ?

Oui, il a fait Excalibur, mais je crois que c’était plus une série en images de synthèses. En tous cas, moi j’aime beaucoup les jeux vidéo. Je trouve qu’il y a vraiment quelque chose de cinématographique là-dedans.

Quelque chose de plus que cinématographique, non ?

Oui, plus que cinématographique ! Parce que ça va dans l’ESSENCE même du cinéma, qui est souvent – je ne dirai pas pollué – mais perverti par la tradition littéraire et théâtrale qui veut qu’une HISTOIRE soit racontée…

Ce qui fait qu’on aboutit souvent à des narrations sans surprise…

Oui, on part trop souvent du principe qu’un bon film c’est d’abord un bon scénario, ensuite un scénario, enfin, un bon scénario. Ça peut donner de bons résultats mais parfois c’est vraiment le cul-de-sac mental absolu. Et surtout, pour moi ce n’est pas ça le cinéma. Pour moi le cinéma c’est être assis devant un écran alors quelque chose bouge sur l’écran.

L’exemple phare de ce cinéma ne serait-il pas 2001 : L’odyssée de l’espace ?

Oui, mais la partie la moins narrative, c’est-à-dire le final. C’est pour ça que J’ADORE David Lynch. Parce qu’il a maltraité le scénario à un point tel que d’un seul coup, le cinéma émerge. À l’époque du surréalisme il y avait des gens comme ça, des gens qui, comme Buñuel avec Le Chien Andalou, étaient dans cette espèce de pureté cinématographique. Et, autre période où il y a eu de la pureté cinématographique, c’était aux débuts de l’image de synthèse.

Est-ce pour cela que vous avez déclaré être fier d’avoir travaillé sur Tron, le premier film en images de synthèse de l’histoire ?

Oui, je suis TRES fier d’avoir fait Tron. Ce film reste basé sur une histoire, mais qu’il soit fait d’images de synthèse change tout. À l’époque, pour m’expliquer ce qu’étaient ces images que personne ne connaissait, on m’a emmené au M.I.T voir les gens qui étaient en train de mettre ça au point. J’ai découvert des ingénieurs qui travaillaient sur de petits écrans avec des ordis de 3000 tonnes enfermés derrière eux dans des pièces réfrigérées. On était vraiment dans la science-fiction.

En tant que passionné de science-fiction, ça a dû vous faire une forte impression ?

En fait, c’était tellement extraordinaire que j’étais ahuri, en overdose d’informations. Je n’ai jamais pu retranscrire tout ce que j’avais vu. Mais ce que faisaient ces ingénieurs était génial, parce qu’ils étaient mandatés pour faire des expérimentations, c’étaient des explorateurs armés de logiciels et de principes mathématiques. Les mecs devaient réaliser des animations en boucle et en perspective. Et comme ils n’avaient aucune notion artistique, ils faisaient ça avec des girafes, des pianos, des ronds. Sur leurs écrans ça donnait de drôles de manèges qui tournaient en tout sens. Et voilà, sans le savoir, ces ingénieurs étaient dans l’ESSENCE absolue du cinéma, c’est-à-dire un art fascinatoire. Essentiellement fascinatoire.

Et vous trouvez que le jeu vidéo réhabilite cette notion de fascination ?

Oui, d’une certaine façon. Prends un jeu de labyrinthe style Lara Croft ou d’autres, où tu dois aller de pièce en pièce, armé d’un pétard. Eh bien moi ce que j’aime c’est d’oublier le pétard et le scénario qui consiste à franchir les niveaux, pour me contenter d’être là et d’explorer sans fin ces mondes qui n’ont pas de fin. C’est aussi comme ça qu’on peut prendre mes BD.

Comme des mondes en soi ?

Oui, et c’est là où je manque un peu de courage car je rêve depuis longtemps de montrer mes personnages en train d’avancer en vue subjective comme dans les jeux vidéo. Je vois ça : on est dans leur dos et ils marchent dans des couloirs, ils marchent, ils marchent, ils poussent une porte, poum ! il y a un truc, ils regardent – gros plan sur l’expression de leur visage – et puis ils continuent leur marche. Je pourrais faire des bouquins de 2000 pages rien qu’avec ça ! Mais bon, il faut être génial pour bien faire un truc comme ça.

Il faut s’entourer d’une bonne équipe ?

Oui, on peut faire ça en équipe, c’est sûr. Mais on peut aussi faire ça seul. Mais pour ça il faut s’investir graphiquement sans aucune retenue, car il ne faut pas que ce soit juste du dessin fait en vitesse, il faut que ce soit H-Y-P-E-R beau. Je me rappelle d’un jeu qui était sublimissime, c’était un jeu à énigmes qui se passait dans une ambiance de fête des morts mexicaine, avec un personnage à tête de mort…

Grim Fandango ?

Oui, c’est ça, et mince, que c’était beau ce truc ! J’en avais des frissons !

Avez-vous vu l’univers très blueberryesque de Red Ded Redemption ?

Ah, oui, très beau ! J’ai vu quelques images en démonstration à la Fnac. Je m’étais dit que j’allais l’acheter, mais je ne l’ai pas fait car je n’ai pas de Playstation et je ne me voyais pas l’acheter pour ce seul jeu. De toute façon, comme je te disais, je n’ai pas le temps de jouer ! Mais oui, j’ai vu que c’était beau et je me suis dit « Merde, ils l’ont fait ! ». Car bien sûr que j’avais pensé à faire un jeu comme ça à partir de Blueberry. Il y avait tout : de la baston, du poker et même des chamanes pour pouvoir rentrer dans des univers hallucinatoires.

Dernière question : en tant que quelqu’un qui s’en est crée un en la « personne » de Moebius et qui a fini par se confondre avec lui, vous parlez souvent du thème clé de l’avatar pour expliquer votre rapport au dessin. Avatar, c’est un mot qu’on emploie souvent pour qualifier les identités numériques que les nouvelles technologies de type Myspace et Facebook nous permettent d’emprunter. Que pensez-vous de tout ça ?

C’est sûr qu’on est dans la délégation sensorielle. J’ai lu une très très belle nouvelle sur ça, je ne sais plus qui l’avait écrite, mais c’était vraiment extraordinaire. Ça racontait l’histoire d’un type qui vivait une super sexualité à travers un avatar de stimuli. On était dans une société où c’était devenu quelque chose de commun, mais pas non plus recommandé. Disons que c’était perçu comme une sorte de déviation du système. Et le mec ne vivait plus que comme ça, dans une espèce de cocooning délirant où il se nourrissait en intraveineuse pour pouvoir vivre cette sexualité imaginaire 24h/24. On nous la décrivait et ça semblait être une sexualité d’une folle complexité, car le sexe des deux partenaires avait comme conquis chaque parcelle de leurs corps, ce qui donnait des orgasmes délirants…

Le rêve !

Oui, quel rêve incroyable ! Et un jour, il y a une panne ou une grève, je ne sais plus, le gars se retrouve déconnecté et sort donc d’un coup de son appartement. Il débarque dans le couloir et là il voit sa voisine d’en face qui sort elle aussi de son appartement. Elle vit la même situation. Ils sont tous les deux dans un état de manque absolu. Ils réunissant leur détresse et ils tombent amoureux. Ils tombent amoureux et ils font l’amour. Ils n’avaient jamais fait ça avant, pour de vrai, là ils le font enfin et en fait ils sont très déçus. Alors, malgré l’affection qu’ils ont l’un pour l’autre, ils retournent chacun à leur machine.

C’est une parabole de notre situation actuelle face aux nouvelles technologies ?

Disons que c’est un peu vers ce dilemme qu’on s’achemine. Le jour où les stimulations seront suffisamment  intenses et complexes pour concurrencer la réalité, alors la réalité sera devenue obsolète. Et c’est là qu’on verra apparaître des publicités pour se reconnecter à la réalité. C’est déjà l’histoire que je racontais dans Le Monde d’Edena. Stel et Atan étaient les cobayes d’une tentative de proposition d’alternative à la réalité virtuelle, qui consistait, en méditant, à rendre la réalité naturelle plus belle que jamais afin que les humains la préfèrent à la réalité virtuelle. Et il y a urgence ! Sur Terre les gens vivent dans des cuves, connectés à une réalité alternative où c’est la guerre perpétuelle. La guerre parce que c’est ce qui offre le plus de stimuli. Il y a urgence car on s’est aperçu qu’à l’échelle de la planète, la création d’univers virtuels altère la réalité de l’univers, que depuis qu’ils existent, au lieu de s’étendre l’univers se rétracte. Il y a tout simplement un transfert d’énergie qui s’opère en faveur du virtuel au détriment du réel. Et c’est donc pour combattre la peste de l’irréel qu’une race d’extraterrestres hyper ancienne envoie Stel et Atan sur Edena. C’est là qu’ils doivent s’entraîner à embellir la réalité par la force de leur esprit avant d’être envoyés sur Terre. Mais je n’ai pas réussi à aller au bout de l’histoire. C’était trop ambitieux, parce qu’ensuite il fallait que Stel et Atan aillent dans le monde, dans le rêve de guerre auquel les humains sont connectés, et pour rendre compte de cette multiplicité de niveaux de réalité dans le cadre d’une BD…

Il aurait fallu faire un film, n’est-ce pas ? Parce qu’en fait ce qui se tramait déjà en plein cœur du Monde D’Edena, créé au début des années 80, c’était le thème des « rêves emboîtés » qui vient de faire le succès colossal d’Inception !

Ecoute, ce film est extraordinaire, vraiment superbe, mais oui, tout est pratiquement en germe dans Le Monde d’Edena. D’ailleurs j’emploie carrément le terme « rêves emboîtés » dans mon Chasseur déprime. C’est fou, hein ?

N’est-ce pas tout simplement un thème qui travaille de nombreux créateurs ?

Disons qu’il y a deux grandes sources d’inspiration. Il y a tout d’abord le contexte de l’époque dans laquelle tu vis. Cette réalité t’amène à faire certains constats, ces constats t’amènent à tirer des conclusions, ces conclusions vont pouvoir se mettre en réseau et ainsi de suite. Mais il y a aussi ceci : les activités humaines génèrent des champs d’énergie, ce sont des connexions qui ne sont pas encore identifiées, mais sans le savoir on s’y connecte tous dès qu’on se met à  réfléchir ! On pense que tout nous vient par les voies rationnelles de la perception consciente, que tout vient de nous, en tant qu’individu, et de notre système culturel, mais je pense qu’il y a ce troisième système d’imprégnation qui est plus dur à capter, et qui est peut-être de nature électromagnétique ou quantique ! (rires) En tout cas moi je crois très fort en ces trucs-là. D’un autre côté, je pense que ces choses sont intéressantes si on les pratique sans vraiment chercher à savoir comment elles fonctionnent. Mais voilà, je sais que des gens ne vont pas pouvoir dormir tant qu’ils ne sauront pas comment ça fonctionne. Je sais que des gens cherchent là-dessus parce qu’il y a du blé à se faire ! (rires) Du pouvoir ! Etc., etc., etc.

 

8 commentaires

  1. Je me suis récemment demandé quel était le nom de cette nouvelle, et j’en ai aucune idée, va falloir chercher ! Bonne quête…

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