Il y a peu de groupes de black metal de gauche. C'est une constatation qui s'impose et pose question : pourquoi toujours les nazis, alors que les communistes sont les grands gagnants ? Pourquoi toujours les Panzer, alors que les orgues soviets faisaient bien plus de bruit ? Les anarchistes espagnols violaient des nonnes, Ta Mok assassinait à tour de bras : il y avait là prétexte à de splendides pochettes. Mais voilà. Tout bascula lorsque Euronymous, guitariste de Mayhem et admirateur de Staline, fut tué par son bassiste, l'infâme adorateur de Hitler, Varg Vikernes, a.k.a. Burzum.

Fin des années 80, c’était la conjonction des étoiles. Les Pistons de Détroit alignaient les bad boys – Isaiah Thomas, Dennis Rodman, Joe Dumars – et terrorisaient la NBA. Les Hollandais du Milan AC avaient une grosse cote à la fois sur le championnat italien et dans les albums Panini : mention spéciale à Marco Van Basten.
Un peu plus au nord, Mayhem aligne alors un line-up conçu pour faire rêver : Dead au chant, Necrobutcher à la basse, Hellhammer à la batterie et Euronymous à la guitare. Puis Dead meurt. Necrobutcher prend alors du champ après cette histoire d’incendies d’églises et Euronymus trouve malin d’engager un certain Comte Grishnackh. Funeste intuition. Ce qui colle bien d’ailleurs avec la musique proposée par le groupe.

Comte Grishnackh est le pseudonyme de Varg Vikernes, de son vrai prénom Christian. Évidemment, Christian ça le fait pas dans le petit monde du black metal. Christian a beaucoup de sympathie pour la mort, l’extermination et la haine de l’humanité, ce qui le conduit tout naturellement à vénérer Hitler.
De l’autre côté donc, Euronymous, tout aussi fasciné par la mort, la guerre, mais qui étrangement a plutôt un faible pour Staline. La concurrence de leurs misanthropies respectives se solde le 11 aout 1993 par 23 coups de couteaux, portant à deux le nombre de morts brutales dans le groupe. Trois mois auparavant, le Milan de Van Basten s’inclinait en ligue des Champions face à une tête de Basile Boli, et dans l’année les bad boys de Detroit sont mis à l’amende par Michael Jordan. Une page se tourne.

Satanas et diabolo

Christian en prison, il ne reste donc plus dans le groupe que Hellhammer, ce qui est un peu court pour la tournée. Ce dernier rappelle Necrobutcher et se la joue Fleetwood Mac en reformant un autre groupe sous le même nom, s’entourant désormais de Maniac au chant et de Blasphemer à la guitare – toujours cet amour des blazes qui claquent. Et, tout comme le Fleetwood Mac américain est très différent de l’anglais après le départ de ses trois guitaristes (dans les deux cas, seule la section rythmique restait en place), le Mayhem nouveau s’orientera vers un black plus mélodique, plus moderne, en un mot plus audible, un comble pour un groupe de black. Reste un album, testament musical avant la brouille définitive : « De Mysteriis Dom Sathanas », avec Attila au chant, reprenant les compositions de Dead, déjà mort au moment de l’enregistrement. Tout ceci est certes difficile à suivre.

De son côté, Christian continue d’envoyer depuis sa prison des bandes sous le nom de Burzum, tout en professant un nazisme des plus orthodoxe, jusqu’à changer à nouveau son nom en Varg Qvisling Larssøn Vikernes, en hommage au chef de la collaboration norvégienne. Plus sale, plus vile, plus violent, il ouvre la voie au national socialiste black metal. Après tout, les thèmes de Mayhem sont la mort, la nuit et un cimetière. Guère plus, finalement, que n’importe quel épisode des Contes de la Crypte.
Imaginons maintenant un monde parallèle où c’est Euronymous qui aurait assassiné Christian de 23 coups de marteau. Mayhem serait devenu les Lenine Boys et c’est Moscou qui serait aujourd’hui la capitale du black metal. Les thèmes seraient panslavistes et les spikes et autres corpse paint auraient été abandonnés au profit de simples bleus d’ouvriers. Avec Zebda en première partie.

Si le black metal était une expression du visage, il serait un froncement de sourcil.

Après, pourquoi ne pas plisser le nez, montrer les dents et faire un petit grrr avec un regard ténébreux. Et c’est là que le national socialisme rafle la mise. Regardez Pol Pot : il sourit tout le temps. Il ne fait peur à personne ! Pensez à Hitler : vous l’imaginez sourire ? Non. Ensuite les paroles. Quel groupe de black oserait chanter « tous ensemble nous allons construire une société meilleure » ? Personne. « Tuez-les tous et brûlez leurs putain d’églises ; buvez leur sang… » sonne nettement mieux. Dans les deux cas, la politique vis-à-vis du clergé est la même, mais il faut dire qu’avec leurs petites têtes de morts sur la casquette, les SS ont l’air de vrais bad boys. La faucille et le marteau, d’un point de vue marketing, c’est moins funky.

Mon propos ne sera pas de renvoyer dos à dos communisme et nazisme, ou de dire que l’un est pire que l’autre, alors qu’évidemment c’est quand ils sont ensemble qu’ils sont les meilleurs. Et ça, Marduk l’a bien compris. À la question de savoir si leur album « Panzer Division Marduk » était une apologie de la Wehrmacht ou du nazisme, Legion – le chanteur – avait répondu : « Non, la seule chose qui m’intéresse, c’est la guerre. Je voulais que l’album évoque une bataille de chars de la Seconde Guerre mondiale. » Et pour qu’il y ait bataille, il faut être deux : le black n’a jamais été aussi brutal que lorsqu’il évoque le front de l’Est, Hitler contre Staline. « Panzer Division Marduk » est probablement l’apogée du black, et même du metal en règle générale : le concept poussé à son paroxysme, la guerre comme prétexte abstrait à la terreur bruitiste. Il s’agissait de proposer une musique violente et sans concession, l’album a été vendu comme étant l’album le plus violent de tous les temps. Et il l’est.

Pas de mandoline, pas d’introduction à la guitare sèche, pas d’évocation du vent soufflant dans les forêts du Nord : l’album brille par son absence de contraste. Une implacable démonstration de force de bout en bout, du titre éponyme, Panzer Division Marduk, à Fistfucking God Planet. Le satanisme de Marduk ne s’embarrasse pas de subtilités théologiques, comme le laisse pressentir ce dernier titre, ainsi que Christraping Black Metal. Les paroles sont inaudibles, seuls les titres des morceaux indiquent le sujet de chacune de ces petites dissertations. Ou alors il y a les fanvids qui pullulent sur YouTube, et dont la plupart sont, sans surprise, composées d’images d’archives de la Seconde Guerre mondiale.

Après ça, tout paraîtra terne.

Le black lui-même semble avoir atteint son altitude plafond. Plus vite ? Au delà d’un certain tempo, le rythme s’effondre sur lui-même et ça donne du drone metal. Ca blast à 400 bpm mais c’est punchy comme deux moines qui se prennent au ping pong. Plus fort ? On peut toujours pousser les amplis à 11, voire à 12 ou 22, à un moment les tympans saignent, et sans tympans la musique perd de son intensité. Plus méchant ? Les provocations nazies ne font plus recette qu’en Pologne, Satanic Warmaster ayant été par exemple interdit de Hellfest pour propos peu amènes sur les Juifs.

Nous sommes en 2012 et c’est l’heure des comptes. 30 ans de black metal, 30 ans de vitupérations contre l’Église, et il faut bien admettre qu’il y a toujours plus de monde aux JMJ qu’à Clisson. Et dans le fond, si le black s’est autant attaqué à l’Église catholique apostolique et romaine, c’est qu’il y voyait son principal concurrent.
Voyez : un type fils de Dieu planté sur une croix, déjà ça fait un logo d’enfer. Et cette histoire de sang et de corps du Christ qu’on mange entres fidèles : les Cannibal Corpse sont des enfants de chœur à côté de ça. Et les petits chanteurs à la croix de bois, vous connaissez quelque chose de plus inaudible que ça ? Sans parler des croisades. Non, désolé, la véritable capitale du black metal c’est le Vatican.

Pour achever cette démonstration, je laisserai la parole au plus catholique et au plus black metal de nos philosophes français, j’ai nommé monsieur le comte Joseph de Maistre (1753-1821) :

« C’est l’homme qui est chargé d’égorger l’homme, ainsi s’accomplit la grande loi de la destruction violente des êtres vivants. La Terre entière, continuellement imbibée de sang, n’est qu’un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu’à la consommation des choses, jusqu’à l’extinction du mal, jusqu’à la mort de la mort. Mais l’anathème doit frapper plus directement et plus visiblement sur l’homme : l’ange exterminateur tourne comme le soleil autour de ce malheureux globe et ne laisse respirer une nation que pour en frapper une autre. »

Cornes de diable avec la main.

15 commentaires

  1. C’est marrant que tu parles des Detroit Pistons, c’était vraiment une sale équipe humainement, avec une sacrée défense en muraille de Chine.

  2. De véritables ordures, pour le spectacle, c’est toujours le bon, la brute et le truand, les affreux bad boys, les daltons black, avec Jordan dans le rôle de Lucky Luke, l’homme qui shoote plus vite que son ombre, et là soudainement me viens l’idée d’une formidable monographie sur le basket des années 90

  3. Grand declaration of war est un énorme album. Son ambition de dépasser les limites du genre est à noter. Hellhammer y est genial. Et quelle couverture…

  4. Si je puis me permettre, il n’existe peut être pas de black métal de gauche (haha) mais il existe bien un black métal écolo rad qui emprunte ce thème des « forces de la nature » au black tradi scandinave. On le trouve aux états unis principalement. #wittr

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