Il n'y a pas d'été en Angleterre. C’est un pays triste comme un clip de Bronski Beat uploadé sur Youtube à partir d’un MPEG sale repiqués sur une VHS, c’est triste comme être né petit, gay et roux – courage Jimmy, anxiogène comme de traverser une piscine ou une cantine en écoutant Smalltown boy. Mais s’il n'y a pas de saisons en Angleterre, c'est parce qu'elles sont chimiques; et que le summer of love a ici le gout de la méthylènedioxy-méthamphétamine. Cet été là, au mitan des 80’s, un nouvel ordre s'est levé sur l'Angleterre, et la scène musicale anglaise, prise dans un remix techno de Culture Club, ne s'en est toujours pas remise.

J’esquisserai ici une rapide histoire chimique de la pop anglaise. Le premier summer of love lysédergique remonte aux années hippies – 1967, définissant ainsi les conditions permettant d’écouter un album des Beatles jusqu’au bout, c’est à dire en étant rivé à l’acide. Puis l’arrivée de l’héroïne dans les bagages de tournée des New York Dolls définira le virage punk des quelques années à venir. Se vomir dessus sans vraiment se sentir concerné : “Never Mind the Bollocks”. Ce fut bref et court comme une carrière de toxicomane à la blanche. Evidemment la dépression allait suivre. La dépression que le Gardenal, médicament anti-épileptique, allait asseoir – c’est un effet secondaire – sur la tête de Ian Curtis avec le destin que l’on sait. Surgit alors le second summer of love, qui parvint même à rendre le sourire à Robert Smith. Car autrement, comment expliquer ça ?

Nous avons la réponse à la plupart des objections qui sont faites à la musique de New Order. Ont-ils trahi l’héritage de Ian Curtis, avec leur musiques dansantes et pleines de sons d’animaux rigolos – batraciens sur A Perfect Kiss, chèvres bêlantes sur Fine Time -, à désespérer un gothique ? Ont-ils trahis plus largement le mouvement punk dont ils sont issus, avec leur son commercial et leurs chansons de stade de foot – World in Motion, en hommage à l’équipe d’Angleterre ? Et même le génie mélodique pop des premiers héros anglais du punk, avec leurs refrains stéréotypées ? A toutes ces questions, il faut une réponse chimique. Tout ceci n’était qu’une question de drogue. Et le MDMA ne prête pas à la subtilité. La MDMA exige un socle rassurant, avec un beat dont on est sûr qu’il revient à chaque temps, pour permettre au Coeur de la foule de battre en un seul et même mouvement.

Lorsque le nouvel album de New Order fut annoncé, les fenêtres électroniques bruissaient de chuchotements partagés entre la terreur et l’hilarité : il était particulièrement mauvais. Même parmi les sorties de vieilles gloires dont tout le monde se moque désormais, New Order parvenait encore à choquer. Se pouvait-il, me disais-je, que cela sonne encore pire que Republic ? Un titre surnageait au dessus des commentaires goguenards, et puisque j’aime rire, et nous aimons tous ça, je me précipitai sur People on the High Line. Et qu’y entendait-on ? Un accord de guitare funky qui faisait wha wha, sur lequel se mariait un kick un peu entrainant, maniant crécelles et cymbales tandis qu’un riff de basse slapée se mettait en place sur l’affaire. Ca montait tranquillement et voici que la basse se faisait électronique et lançait une cocotte groovy bien sentie sur une pompe house à faire pâlir Ace of Base. Sans compter le piano bastringue qui emmenait l’affaire comme un Elton John en panama rose.
Je ne sais pas si cela fait un bon titre, mais une sonnerie de telephone à placer Prelude et Scampering Tone, c’est certain. Débutant discret, mais avec une ascension par paliers suffisamment gênante pour te faire décrocher. Mais s’il s’agissait de choisir un disque pour prendre un thé par exemple, agirions-nous de la même façon ? Se pose là une double question. A quoi sert ce disque? Et ensuite, est-il bon? Je peux répondre tout de suite à la deuxième. “Music Complete” ferait un plutôt passable Joy Division, mais un excellent Pet Shop Boys.

Quand à la première question : il y a certainement dans l’album de quoi animer les compétitions sportives anglaises pour les vingt prochaines années. Cela sonnera toujours mieux que le générique d’Intervilles choisi comme hymne par notre équipe de rugby. Autrement dit ce New Order est gai et entrainant. Evidemment il ne s’écoute ni pour les paroles, ni pour ses mélodies, ni pour la voix de Bernard Sumner. “Je t’aime à mourir, pourquoi t’es tu éloigné”, voilà tout ce que vous aurez à entendre. Mais tout est bien à sa place, le kick frappe là où on lui demande de faire, et il en est de même avec la cymbale et le snare. C’est une jouissance de maniaque de l’ordre : pour peu que le son du kick vous plaise, et sachant qu’il frappe toutes les deux secondes environ – parfois plus, parfois moins selon les titres – vous pouvez déjà comptez jouir à un rythme régulier pendant quatre minutes. Depuis l’album “Technique” (1989) c’est ma façon d’appréhender New Order; je n’aime plus leurs chansons. J’aime leur son, les drapés des synthétiseurs, les dégradés d’une reverb, l’effet de perspective d’un delay, la texture du kick de Blue Monday, les déliés des cordes de basse de Perfect Kiss, le crash inaugural de Bizarre Love Triangle, l’accent du faux-italien prononçant “Tutti Frutti” sur le titre éponyme. C’est là que New Order se rapproche le plus de la musique concrète, en mettant l’accent sur le son même des éléments employés, le donnant à réentendre à chaque fois, jusqu’à ce que nous apprenions à les apprécier. C’est là que des gens comme Xenakis ou Autechre ont fait fausse route : des bidouillages que l’on n’a jamais le temps d’apprécier tellement ils frisotent sans interruption.
Si Autechre fait de la musique expérimentale, New Order livre sans détours le résultat. Et c’est souvent moins comme ensemble que comme addition de jouissances que leur musique s’apprécie. Evidemment cela prend du temps, le temps de percevoir chaque élément dans ce torrent eurodance, de l’apprécier, jusqu’à rendre l’oreille assez agile pour drifter de piste en piste jusqu’à dessiner le circuit idéal. Cela necessite evidemment beaucoup d’efforts, et moi même ne me suis encore jamais complètement remis de “Technique”.

Plastic est une invitation furieuse à prendre l’autoroute, n’importe laquelle, le titre calé en repeat one, et Unlearned this Hatred est parfait pour animer un match de hockey sur glace, et je pense même qu’il soit possible de tomber amoureux sur Nothing but a fool. Evidemment Ian Curtis est mort, et le contenu poétique s’en ressent. Evidemment Peter Hook est parti. Il était l’inventeur du jeu de basse qui fit New Order. Mais de la même manière qu’il n’y a pas besoin d’avoir Graham Bell à côté de soi pour utiliser un téléphone, nul fut besoin de Hook pour faire sonner l’album. Si l’apparition d’Iggy Pop est dispensable, l’ajout de choeurs féminins sur quelques uns de ces titres, même si elle évoque parfois les albums tardifs de Leonard Cohen, apporte une touche de diversité parvenant presque à faire oublier les limites vocales de Sumner. Par sa bizarrerie “Music Complete” démontre que New Order reste ce grand groupe bancal, bancal comme cette jambe qui manque à Sumner pour faire summer, bancal comme toute leur histoire faite de défections plus ou moins définitives.

Je pense désormais avoir donné toutes les raisons d’acheter ce CD, alors je me pose un peu et j’écoute Brandon Flowers des Killers au chant pour le grand final de l’album : “You told me that it’s over and that you were gonna leave / Now that it’s over (x8) / It’s over, it’s over, it’s over”.

New Order // Music Complete // Mute
http://www.neworder.com/

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