Le groupe anglais Saxon est revenu en France au Zénith de Paris le 8 avril 2024, et quelques jours avant à Lyon en première partie des piliers du heavy-metal Judas Priest, et avec un nouvel album : « Hell, Fire And Damnation ». Influence majeure du heavy-metal, fondation de la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) du début des années 1980, on ne sait pourtant pas grand-chose de ce courageux, talentueux et coriace groupe anglais.
Le Black Country
Lorsque l’on parle de hard-rock et de heavy-metal en Grande-Bretagne, le terme est indissociable de ce que l’on appelle le Black Country, soit le pays noir. Ce surnom est donné au Nord de l’Angleterre, siège de l’industrie sidérurgique britannique, ainsi que de l’essentiel de ses charbonnages. On y trouve aussi la majorité de l’industrie automobile du pays, ainsi que son textile. Birmingham est le coeur de ce secteur, entouré de Sheffield, Manchester, Newcastle, ou Liverpool, et non loin des Gallois de Cardiff, autre haut-lieu du charbon britannique.
Ces villes noircies par la suie des usines et des poussières de l’extraction charbonnière sont essentiellement des alignements de petites baraques en briques rouges d’ouvriers entourées de cheminées d’usines et de divers terrils, et au milieu desquelles passent des trains chargés de marchandises puis de vastes autoroutes reliant les cités ouvrières aux principaux points névralgiques du pays. Elles ont beaucoup souffert des bombardements pendant la Guerre, d’abord ceux de la Bataille d’Angleterre en 1940-1941, puis des V1 et V2 en 1944. Dans les années 1960-1970, les terrains vagues révélant les stigmates de la guerre sont encore bien présents.
Peter Rodney « Biff » Byford voit le jour le 15 janvier 1951 à Skelmanthorpe dans le West Yorkshire, au sud de Leeds. Il est le petit dernier d’une union recomposée entre Ernest Charles et Irene Byford, les deux ayant déjà des enfants chacun de leurs côtés. La vie du jeune Peter ressemble à un roman de Dickens. Il perd sa mère à l’âge de onze ans. Son père, alcoolique et violent, perd un bras, emporté dans une machine de l’usine de textile dans laquelle il travaille, à peine deux ans plus tard. Les enfants subviennent largement au revenu du foyer en travaillant. Peter abandonne donc vite l’école à quinze ans pour devenir charpentier apprenti. La même année, sa première petite amie tombe enceinte, et le couple doit se marier. Ils auront deux enfants, mais le couple ne résistera pas à la soif de liberté du jeune homme. Byford n’abandonnera toutefois pas ses enfants, s’assurant d’apporter au moins leur confort matériel, ce qui alimentera sa volonté de se battre pour réussir.
En attendant des jours meilleurs, Peter survient aux besoins de sa famille, il cherche un travail. Faisant plus d’un mètre quatre-vingt, il ne peut être embauché dans les mines, trop grand pour se faufiler dans les boyaux. Il trouve finalement un emploi dans une chaufferie industrielle, où il manie une gigantesque machine à vapeur aspirant le charbon des mines à plus d’un kilomètre de profondeur.
January 15, 1951, Peter « BIFF » Byford was born in Honley, West Yorkshire, England. He is an English musician, songwriter, and record producer, known for being the vocalist and one of the founding members of the heavy metal band SAXON. pic.twitter.com/1U2jyPDFHR
— 𝑯𝑬𝑨𝑽𝒀 𝑴𝑬𝑻𝑨𝑳Ⓒ (@HeavyMetal_999) January 15, 2024
D’une côte à l’autre
Peter Byford a débuté la musique vers quatorze ans par la guitare. Il a appris grâce à un ami de son grand frère. Au début des années 1970, il rejoint des groupes de Huddersfield, la ville où il travaille. Il fait sa première apparition à … la flûte sur l’unique album du groupe psychédélique Jumble Lane en 1971. En 1973, il fonde son propre groupe, Coast, avec le guitariste Paul Quinn. Byford a émigré à Barnsley, où la scène rock est plus petite mais plus active. Le nom de la formation vient d’un morceau de Trapeze, Coast To Coast, trio local mené par Glenn Hughes et Mel Galley, et originaire de Wolverhampton, dans les environs de Birmingham. Coast existe pendant trois ans, avant que Quinn et Byford ne décident de créer un autre groupe à la sonorité plus dure dans l’esprit de UFO et Thin Lizzy. Peu à peu, un nouvel ensemble se constitue : Graham Oliver prend la seconde guitare, Steve Dawson la basse. La formation est fondée en 1976, et se nomme avec provocation Son Of A Bitch, sans savoir que le punk est en train de naître à Londres. Le quintette historique est au complet en 1977 avec l’arrivée du batteur Pete Gill. Ils ont tous largement vingt-cinq ans et déjà de la bouteille sur le circuit lorsque le punk bat son plein, mettant au rebut toute la scène hard-rock, du moins autour de Londres et de quelques cités comme Manchester. Pour l’essentiel du Black Country, le style destroy, crêtes et épingles à nourrice ne fait pas recette. On y aime toujours les riffs qui tapent à base de rock’n’roll et de boogie. Status Quo y tourne largement, ainsi que les débutants AC/DC, Judas Priest et Motörhead. La plupart des groupes heavy et hard sont partis aux USA pour connaître la fortune initiée par Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath. Queen, Thin Lizzy ou UFO fuient aussi un contexte social violent. Les grèves de 1977 et 1978 dans la sidérurgie et les charbonnages sont particulièrement durs, voyant les ouvriers chômer sans salaire pendant des semaines, se retrouvant sans nourriture ni chauffage, survivant uniquement grâce aux caisses de grèves.
Une nouvelle scène hard-rock fait donc son apparition à ce moment-là. Elle est d’ailleurs qualifiée de heavy-metal, car elle s’écarte clairement des bases blues-rock des origines pour créer un son plus nerveux inspiré de l’énergie du punk. Samson, Diamond Head, Def Leppard, Angel Witch ou Iron Maiden font leurs apparitions dans le circuit des pubs et des clubs, dans l’ombre du mouvement punk agonisant.
Un label français
Les choses s’éclaircissent en 1978 lorsque Freddy Cannon, représentant en Grande-Bretagne du label français Carrère, très orienté disco, est à la recherche d’artistes nouveaux. L’homme sent que le punk et le disco sont en train de disparaître, et que le son nouveau se nomme heavy-metal. Contre toute attente, il fait enregistrer une démo de cinq titres à Son Of A Bitch, convaincu du potentiel de ce groupe solide et expérimenté.
Carrère se laisse convaincre, mais émet de sérieux doutes sur la capacité commerciale du nom de la formation. Le quintette change donc de patronyme en 1978. Peter Byford, désormais surnommé Biff, trouve le patronyme de Saxon. Malgré sa courte scolarité, il se passionne pour l’histoire à ses heures perdues, et notamment celle de son pays et des Normands. Saxon lui saute aux yeux, portant une âme chevaleresque et une identité britannique forte dont ils sont tous fiers.
En janvier 1979, ils se retrouvent aux Livingston Studios du Nord de Londres. Ils saisissent rapidement huit morceaux qu’ils arrangent et jouent depuis deux ans. John Verity est appelé à la production. Ancien membre des groupes psychédéliques et progressifs Zombies et Argent, il saisit avec maladresse la brutalité de groupe dont certaines compositions sont déjà de sacrées torgnoles sonores : Stallions Of The Highway, Backs To The Wall, Still Fit To Boogie. La pochette est par contre parfaitement raccord avec l’esprit de la musique. Il s’agit d’un guerrier saxon dessiné, avec une épée sanguinolente et un bouclier. Le logo du groupe est en rouge, et déjà définitif, avec ses armes sur le S de Saxon. Etonnamment court, à peine vingt-neuf minutes, il jette les bases d’une musique nouvelle, bien avant tout le monde, où en tout cas quasiment simultanément après les premières pierres angulaires du nouveau heavy-metal : « Stained Class » et « Killing Machine » de Judas Priest en 1978, « Overkill » de Motörhead en mars 1979. « Saxon » sort en mai 1979, et devient l’un des premiers disques de ce qui va être appelé très officiellement New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) par la presse anglaise en décembre de la même année.
Comme les Motörhead, ils ne sont pas des jeunes premiers, frisant désormais la trentaine à l’approche de la nouvelle décennie 1980. De leurs éducations musicales, on trouve d’ailleurs des scories seventies, comme les influences progressives sur le duo de titres Rainbow Theme/Frozen Rainbow. Big Teaser reste la dernière cendre d’un son inspiré du glam-rock de Slade et Sweet du début des années 1970. Le reste est beaucoup plus brutal et annonce la suite avec déjà beaucoup de solidité.
Sans trop de surprise, l’album ne se classe nulle part. Trop agressif visuellement, trop sec soniquement parlant pour les amateurs de Wishbone Ash et de UFO, et distribué par un label français pas encore bien implanté en Grande-Bretagne, Saxon continue de se battre sur la route. Ils font la première partie de Gillan, groupe du chanteur historique de Deep Purple, mais surtout de Motörhead en 1979. Les deux groupes sympathisent rapidement, les musiciens ayant le même âge, et sont des amateurs de bécanes, de filles et de hard rock’n’roll qui tabasse. Ils sont aussi et surtout issus du même milieu ouvrier, Lemmy Kilmister de Motörhead voyant en Biff Byford une sorte de frère esquinté par la vie.
Des roues d’acier
Fort de deux mois de tournée avec Motörhead en novembre et décembre 1979 alors que le trio infernal est en promotion de son troisième album, « Bomber », Saxon intéresse la presse et les médias musicaux de Londres qui sentent eux aussi que le vent tourne. Le 15 février 1980, le Friday Rock Show de Tommy Vance, la nouvelle émission de la BBC consacrée au heavy-metal, diffuse cinq titres captés en live de Saxon. Le quintette de Barnsley explose littéralement tout sur son passage. Après deux mois à se frotter avec Motörhead et son public, les Saxon ont serré les rangs et la musique. Finies les approximations progressives et les guitares un peu timides. Ca tape dur et fort tout au long de ces vingt minutes de pur génie. Les trois chansons les plus heavy du premier album sont emballées avec maestria dont un Stallions Of The Highway totalement dément, avec ses overdrives de guitares qui annoncent déjà le thrash-metal. Mais surtout, Saxon présente deux nouvelles compositions particulièrement efficaces et savoureuses : Motorcycle Man et 747 (Strangers In The Night), qui montrent les progrès immenses à tous les niveaux du quintette ouvrier. En cette année 1980, l’émission de Tommy Vance est plus que devenue une niche pour amateurs éclairés. C’est une référence, comme les articles de Geoff Barton dans Sounds, l’homme qui a inventé le terme de NWOBHM. Il sera le fondateur du premier magazine spécialisé dans le hard et le heavy : Kerrang !.
Ces deux titres sont un apéritif à un disque définitif enregistré le même mois de février 1980, et publié le 3 avril : « Wheels Of Steel ». Il sort deux semaines après « On Through The Night » de Def Leppard, mais dix jours avant « Iron Maiden » d’Iron Maiden et « British Steel » de Judas Priest. Surtout il se classe n°5 des ventes britanniques, ce qui provoque un véritable cataclysme dans les charts, un groupe de heavy-metal n’ayant jamais atteint une telle position depuis Led Zeppelin. Iron Maiden puis Judas Priest feront ainsi aussi bien dans les ventes dans la foulée. Plus fort encore, Saxon réussit à faire des hits ! Le simple Wheels Of Steel accroche la 20ème place, 747 (Strangers In The Night), la 13ème. Saxon devient commercialement intéressant, et impose son style, y compris vestimentaire. Biff Byford est l’un des premiers à porter des pantalons de spandex de couleurs que l’on retrouvera chez tous les groupes anglais puis américains de la décennie.
Au verso de la pochette de « Wheels Of Steel », les cinq musiciens de Saxon posent comme un gang. Rien n’est feint. Ils sont ensemble depuis quatre ans. Ils sont le look heavy-metal avec leurs blousons de cuir, leurs jeans denim ais pas que. Biff Byford porte une paire de baskets pourrie, Paul Quinn et Steve Dawson se dégarnissent sur le front, Graham Oliver porte encore un jeans pattes d’éléphant élimé et des bottes usées. Seul Pete Gill semble un tant soit peu cohérent dans son style et son attitude, avec son tee-shirt Black Sabbath de la tournée 1978. Ils ont des styles un peu péquenauds et dépareillés, Dawson et Oliver portant la moustache comme Tony Iommi de Black Sabbath, vestige des années 1970 remis au goût du jour par Lemmy Kilmister de Motörhead. Ils sont fiers, simples, sans fioritures, et plaisent à un large public prolétaire. Leur succès leur permet d’être à l’affiche du premier festival des Monsters Of Rock en 1980 sur le circuit de Donington avec Judas Priest et Rainbow en têtes d’affiche. Saxon est la seule formation issue de la NWOBHM et calme tout le monde.
Le tonnerre du heavy-metal
Carrère comprend très vite que son poulain anglais est devenu une poule aux œufs d’or. Il encourage Saxon à repartir en studio pour battre le fer tant qu’il est chaud. Dès le mois de mai 1980, le quintette est aux Ramport Studios de Londres par intermittence entre de multiples concerts, désormais en tête d’affiche. « Strong Arm Of The Law » sort en novembre 1980 et est encore meilleur que « Wheels Of Steel ». Saxon a gagné en brutalité dans ses riffs et ses rythmiques. C’est une tornade de heavy-metal écrasant que l’on peut déjà qualifier de speed-metal, avec des riffs accrocheurs et saignants qui sont presque proto-thrash.
Tout commence par l’hymne absolu Heavy-Metal Thunder, cavalcade infernale de presque quatre minutes et trente secondes absolument géniale, avec son riff ultra-tendu et agressif. Biff Byford éructe son texte comme un animal enragé. Son style vocal est désormais fixé : il oscille entre chant rageur et craché, et envolées lyriques. Il est tellement unique et identifiable qu’il est impossible à copier, comme Lemmy Kilmister de Motörhead ou Brian Johnson d’AC/DC. L’album se classe n°11 des ventes anglaises, et assure un second disque d’or en Grande-Bretagne dans l’année pour Saxon. Le disque propose des titres de génie devenus des classiques comme To Hell And Back Again, 20,000 Feet, ou Dallas 1 PM sur les souvenirs de Byford du choc de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy en 1963.
Saxon tourne intensément en Grande-Bretagne, mais le territoire devient vite trop étroit pour ces guerriers de la route. Grâce à leurs succès de 1980, Saxon bénéficie du financement pour les meilleurs studios européens. Ils vont ainsi enregistrer le disque « Denim And Leather » aux Aquarius Studios de Genève et aux Polar Studios de Stockholm, ceux de ABBA dans lesquels Led Zeppelin à enregistrer son dernier album studio : « In Through The Out Door » en 1979. la qualité de la prise de son a indéniablement progressé, même si le groupe reste sur sa ligne heavy-metal saignant et sans concession. La pochette reste d’une simplicité inique avec son aigle, le logo de Saxon, et ce fond bleu couleur jeans. L’aigle saxon est devenu l’étendard de la formation. Comme Motörhead et son bombardier, Saxon utilise un aigle métallique constitué de projecteurs en guise de de fond de scène. Comme Motörhead avec ses oripeaux du 3ème Reich, on ira leur chercher des noises sur la forme de l’aigle, proche de celui des Nazis. Il faudra de la patience à Biff Byford pour expliquer que le symbole de l’aigle aux ailes ouvertes est en fait d’origine britannique, remontant aux temps Mérovingiens. Et les Nazis ne feront que voler le symbole pour leur propre mythologie bidon, comme la croix gammée était à l’origine un symbole de la Grèce antique.
« Denim And Leather » est un album prodigieux, réunissant des titres d’une puissance musicale supérieure aux deux disques précédents, déjà impressionnants. Saxon semble laisser un peu de côté l’aspect speed et brutal de sa musique pour un heavy-metal plus construit. C’est le cas de Princess Of The Night, dans lequel Biff Byford évoque ses souvenirs des locomotives à vapeur qui passaient sous ses fenêtres d’enfant, et qui finiront à la casse à la fin des années 1960 pour des motrices électriques. Comme sur les albums précédents, Byford raconte son vécu de petit loubard de banlieue : les virées à motos pour aller à la soirée où l’on picole et l’on drague, mais aussi la rage qu’il faut avoir pour y arriver. Never Surrender, Play It Loud, ou And The Band Played On sont plein de ces souvenirs des galères passées, comme le furent des titres comme Hungry Years ou See The Light Shining sur les disques précédents.
Comme Motörhead un an avant, Saxon sort son album live en disque simple. « The Eagle Has Landed – Live » accroche la cinquième place des ventes britanniques en mai 1982. L’année précédente, Saxon est parti en tournée européenne, et le quintette a renversé la table. Pete Gill, devenu trop limité techniquement et de plus en plus tatillon en coulisses, est remplacé par le prodige Nigel Glocker, issu d’univers loin, très loin du heavy-metal, issu des studios londoniens et jouant tout et surtout n’importe quoi. Mais il va tellement se plaire qu’il va devenir l’autre pilier de Saxon avec Quinn et Byford dans l’histoire du groupe. Glocker entre en scène sur le disque « The Eagle Has Landed – Live ». Sa batterie est à la fois respectueuse, mais aussi plus virtuose que celle de Gill. Les morceaux sont propulsés par une nouvelle dynamique et c’est fantastique. Saxon voulait sortir un double album, mais Carrère refusera, malgré les protestations vigoureuses du groupe. Il atteindra la 5ème place des ventes anglaises, confirmant, comme un an auparavant « No Sleep ‘Til Hammersmith » de Motörhead n°1 des ventes, que la puissance live paye aussi sur disque.
L’aigle se pose
Durant l’été 1982, Saxon revient pour la seconde fois sur la scène des Monsters Of Rock à Castle Donington et assied un peu plus sa place de leader du heavy-metal anglais. Cependant, le groupe commence à tourner en rond en Grande-Bretagne et en en Europe. Il est nécessaire d’aller ailleurs, notamment aux USA.
Le groupe s’exile aux Axis Sound Studios à Atlanta à l’automne pour enregistrer un nouveau disque qui doit être décisif. Jeff Glixman, qui a produit tous les meilleurs albums de Kansas, ainsi que des disques de Gary Moore et Magnum, est à la console. « Power & The Glory » sort en mars 1983, et marque un vrai tournant dans le son de Saxon. Moins brut, il est surtout charpenté pour plaire au public heavy américain plus habitué aux grosses productions. Si le côté très direct est un peu gommé, Saxon conserve de la puissance bien mise en valeur par Glixman. La composition a aussi évolué vers un heavy-metal plus épique, perdant en passant de son côté boogie frénétique. L’album est cependant d’un très haut niveau, avec des titres comme Power And The Glory, Redline, le génial Midas Touch ou le fantastique et atmosphérique The Eagle Has Landed, aux teintes blues à la Robin Trower. Les tentatives mélodiques sont modestes, concentrés sur le titre Nightmare, toutefois encore très heavy-metal. La chronique est très divisée entre les USA et la Grande-Bretagne. L’Amérique adore, les Anglais boudent, et trouvent le disque trop produit, trop propre. La pochette elle-même montre clairement une évolution : elle est signée Ridley Scott lui-même, et montre un guerrier Saxon fantasmatique et fluorescent, se démarquant nettement de tous les autres albums simplement logotés de l’aigle symbole de Saxon.
Preuve que le groupe a pris la bonne option, si la Grande-Bretagne boude un peu en le classant seulement 15ème, la Suède le place 9ème. La tournée mondiale va être décisif, passant dans les plus grandes salles européennes. Puis, Saxon s’envole avec Iron Maiden et Fastway pour sa première tournée US. Les Américains craquent pour eux. A Los Angeles seule, le nouvel album se vend à quinze mille exemplaires. Il atteint la 155ème place du Top 200 US. Cette fois, Saxon a pris une toute autre dimension, et des choix décisifs vont devoir être faits.
Il devient évident que Carrère n’a pas les épaules pour supporter Saxon dans son ascension américaine. Etant donné ses chiffres de ventes et la taille de ses concerts, cette fois, les majors s’intéressent enfin à eux. EMI les signe à la fin de l’année 1983. Mais pour beaucoup de groupes de la NWOBHM, c’est souvent le baiser de la mort. Diamond Head et Tygers Of Pan-Tang vont en faire les frais juste avant en signant chez MCA, qui les obligera à faire du hard-rock mélodique après les succès colossaux de « High’N’Dry » puis « Pyromania » de Def Leppard. Diamond Head se séparera en 1984 après l’échec commercial de l’album « Canterbury ». Quant aux Tygers, ils vont littéralement se planter avec le très mièvre « The Cage » en 1982 suivi d’une daube incommensurable du nom de « The Wreck-Age » en 1985. Les gars de Newcastle Raven vont eux aussi se planter près leur signature avec la major Atlantic, abandonner leur heavy-metal proto-thrash pour la mélodie, le rimmel et les synthétiseurs avec le disque « Stay Hard » en 1985 avant de faire marche arrière en 1988. Saxon, fort de déjà cinq albums et d’un live d’une solidité impeccable, ne semble pas devoir faire marche arrière. « Power & The Glory » a prouvé qu’ils étaient capables de séduire le public américain sans se prostituer. Au plus fallait-il une production plus accrocheuse, et quelques touches de mélodie qui de toute façon permettent de renouveler un peu la musique du groupe. Et même si le titre The Eagle Has Landed a nécessité quelques touches de claviers, Saxon assure en interview ne pas avoir l’intention de prendre un claviériste sur scène.
Le groupe part aussitôt aux Sound City Studios de Los Angeles à la fin de l’année 1983 avec le producteur Kevin Beamish, dont le principal fait d’armes est d’avoir produit les disques les plus commerciaux du groupe REO Speedwagon, notoirement hard-FM dans le giron de Foreigner et Journey.
Un pied dans le tapis – la malédiction de la NWOBHM continue
Le concept de l’album « Crusader » va rester typiquement Black Country. Le bassiste Steve Dawson expliquera que l’idée viendra du logo d’un journal anglais, le Daily Express, un chevalier Croisé. Il y avait aussi des pubs pour une nouvelle génération de Ford Cortina, la Crusader. Alors les gars de Saxon se sont dits que ce serait une bonne idée de partir sur le concept du Croisé. Le résultat va cependant être moins Black Country, car le groupe enregistre à Los Angeles dans le bain américain de l’époque.
Dès le morceau Crusader, par ailleurs d’excellente qualité, on comprend que Saxon a bien du mal à résister à la pression de EMI pour signer des tubes. Et ce d’autant plus que le quintette n’a pas calculé un point : la concurrence est terrible au sein même du label, car ce dernier a aussi dans ses poulains un certain Iron Maiden, qui lui poursuit son ascension géniale sans la moindre concession. Saxon a une épée de Damoclès au-dessus de la tête : lequel des deux va conserver les faveurs de EMI grâce à ses ventes ?
Crusader montre par ailleurs la volonté de Saxon d’aller dans le heavy-metal épique dans le giron d’Iron Maiden et de morceaux comme Revelations. Beamish leur concocte un son chromé du plus bel effet. Malgré la critique véhémente sur cet album, il est de très bonne qualité, avec un son encore très heavy-metal, et des accommodements avec l’aspect mélodique encore bien maîtrisés, comme le titre Sailing To America qui tente de refaire le coup du Hello America de Def Leppard. Le titre est cependant très bon, et l’album est encore très réussi. Beamish en rajoute un peu trop sur les effets de claviers et sur les toms de batterie, qui sonnent presque électroniques sur Crusader. On distingue rapidement que Saxon cherche à séduire le public californien. Le début des années 1980 voit arriver les premiers groupes de glam-metal, dont Mötley Crüe, qui sont tous fans des anglais de Sweet. Cela tombe bien, Saxon aussi, aussi il reprend le tonitruant Set Me Free de 1974. Il y a cependant quelques demi-déceptions comme Just Let Me Rock ou Do It All For You qui louchent sévèrement vers le heavy-metal MTV.
Dans le genre, c’est plutôt réussi. Mais pour ces rustauds du Black Country, la greffe ne prend pas bien. Beamish a aussi beaucoup patiné le son de Saxon, car si l’on compare les démos et les morceaux enregistrés au Kaley Studio, Just Let Me Rock ou Do It All For You sonne davantage comme des boogies mélodiques qu’à des endives tièdes. Les ventes s’effritent en Europe, et ne progressent pas aux USA : 18ème en Grande-Bretagne, 20ème en Allemagne, 174ème aux Etats-Unis. EMI tente de looker le groupe dont les membres font trop prolétaires anglais. Biff Byford bénéficie d’une permanente eent davantage comme des boogies t de mèches blondes, ainsi que d’une garde-robe plus glam-rock. Nigel Glocker, plutôt musculeux, bénéficie aussi de ce traitement sexy. Par contre, pour les autres, les choses ne se passent pas si bien. Paul Quinn, dont la calvitie est flagrante depuis 1979, et qu’il cache avec une casquette, se voit affubler d’une perruque ridicule. Le bassiste Steve Dawson, dégarni et moustachu, est à peine récupéré avec un bandana sur le front. Quant à Graham Oliver, rien ne peut effacer son côté péquenaud à moustaches.
Le clip de Rockin’ Again, filmé avec force moyens pour MTV, essaie par tous les moyens de les rendre sexy et impressionnants, mais ils restent des prolos maladroits, complètement perdus dans ce monde d’apparence futile. Malgré ce ratage, ils vont s’enfoncer plus ou moins malgré eux un peu plus dans la séduction commerciale américaine, car toujours sous le coup de la concurrence interne avec Iron Maiden.
Le groupe publie « Innocence Is No Excuse » en 1985. La pochette tranche clairement avec les précédentes, montrant une fille, jeune, beaucoup trop jeune, croquant la pomme au logo de Saxon. Les synthétiseurs sont à tous les étages, la batterie de Nigel Glocker sonne comme une boîte à rythmes. Quelques chansons sont à sauver, comme Call Of The Wild ou Back On The Streets, mais c’est bien peu. Les niaiseries tartes sont nombreuses comme Rockin’ Again ou Broken Heroes.
Si les ventes européennes ne tiennent désormais que sur les fans purs et durs encore nombreux de Saxon, l’album connaît un progrès aux USA, atteignant la 133ème place du Top 200 grâce à ses clips sur MTV. Mais on est loin, très loin du succès commercial d’un Def Leppard.
EMI décide de mettre un coup de polish supplémentaire sur Saxon. Steve Dawson, décidément irrécupérable du côté de la sexy attitude, est viré et remplacé par Paul Johnson, ex-Demon et Heritage. Le groupe décide de mettre un peu en retrait le côté commercial mélodique, pour se concentrer sur une attitude plus acceptable en terme de heavy-metal. Oliver rase sa moustache, Quinn a une belle perruque à bouclettes, et tous arborent des guitares Jackson et du spandex noir, hormis Byford, le frontman avec ses vestes d’inspiration napoléonienne et son pantalon moulant argenté.
L’album « Rock The Nations » revient vers un son plus heavy-metal, bien qu’encore balourd. En coulisses, le corde continue de se serrer autour du cou de Saxon. Pendant qu’Iron Maiden a enregistré « Powerslave » et « Somewhere In Time » aux Compass Point Studios à Nassau aux Bahamas, Saxon a capté « Innocence Is No Excuse » à Munich en Allemagne et « Rock The Nations » aux Pays-Bas. Sur ce disque, le quintette cherche à reconquérir ses fans européens, tout en restant en phase avec la demande américaine, ce qui est un exercice vite impossible. Car depuis 1983-1984, sont apparus les scènes thrash-metal américaine et allemandes avec des groupes comme Metallica, Megadeth, Slayer, Anthrax, Destruction, Exhumer ou Sodom. Saxon est clairement dans une situation impossible à tenir, et ses tentatives commerciales deviennent vaines.
EMI finance un ultime album nommé « Destiny » qui sort en mars 1988. Nigel Glocker lâche le groupe et est remplacé par Nigel Durham. Le disque débute par une version hard’n’heavy de Ride Like The Wind de Christopher Cross. La chanson étant excellente à l’origine, cette reprise sonne agréablement, mais nous sommes à des années-lumière du Saxon de 1980. Le reste du disque est tiède, dans la lignée heavy surproduit de « Rock The Nations ». Il y a cependant quelques titres réussis, comme Where The Lightning Strikes ou For Whom The Bells Tolls. Mais tout sonne lourdingue, boursouflé de synthétiseurs aigres.
Malgré l’arrivée de la scène grunge et du souffle du succès de Rage Against The Machine, Guns’N’Roses et Metallica, ce dernier les citant comme une influence majeure, Saxon continue de s’embourber dans son heavy-metal aux influences US. Même les soubresauts comme Altar Of The Gods sur l’album « Solid Ball Of Rock » n’y change rien. « Destiny » est le dernier album à se classer en Grande-Bretagne, à la 49ème place, et aux USA à la 149ème.
La lente résurrection
Pour « Solid Ball Of Rock », Nigel Glocker a accepté de revenir pour un disque plus rock. Paul Johnson n’ayant pas trouvé la gloire à la hauteur de ses ambitions, il est remplacé par un excité de la basse nommé Nibbs Carter. Le quintette capte dans plusieurs studios entre l’Autriche, la Grande-Bretagne et les USA le disque « Forever Free » qui sort en mai 1992. C’est une sorte de résurrection du son initial de Saxon, avec des riffs saignants, des rythmiques nerveuses, et surtout, c’est la fin des fioritures électroniques !
Dès Hole In The Sky, il semble que le Saxon du début des années 1980 soit ressuscité. Alors que certains groupes de la NWOBHM décident de se reformer sous l’impulsion de la double compilation concoctée par Lars Ulrich sur le mouvement et parue en 1990, Saxon ne s’est jamais séparé, et conserve son noyau dur : Byford, Oliver, et Quinn, auquel s’ajoute le fidèle et solide Nigel Glocker. En guise de révérence à leurs origines prolétaires, ils reprennent le blues Just Wanna Make Love To You de Willie Dixon, et joué auparavant par John Mayall, les Rolling Stones, Savoy Brown puis Foghat. « Forever Free » est vraiment bon, et ouvre la voie à un retour au heavy-metal nerveux et tendu des débuts.
« Dogs Of War » est publié en septembre 1995 sur une filiale microscopique de Virgin. Le disque est capté entre Boston et Manchester, et la pochette est signée Paul Raymond Gregory, qui va suivre le groupe à l’avenir. Le disque, superbe, retrouve toute les qualités du Saxon du début des années 1980, les touches heavy mélodiques de ces mêmes années en plus. C’est un disque épatant, inespéré, de la part d’un groupe à-priori fini.
Cependant, les discussions sur le retour à une musique plus heavy-metal frictionnent les piliers de Saxon. Oliver Graham souhaite un retour au son initial. Byford et Quinn veulent tenir une ligne heavy, mais modernisée. Graham est viré sans ménagement pour être remplacé par Doug Scarratt, un copain de Nigel Glocker. Depuis « Solid Ball Of Rock », Saxon n’a plus aucune existence commerciale en Europe hormis en Allemagne. Et cela n’est pas bon signe. Comme les pays d’Amérique du Sud et l’Europe de l’Est, avoir du succès dans ces secteurs est le révélateur d’une déchéance commerciale effective.
« Unleash The Beast » et « Metalhead » poursuivent cette patiente reconquête du public heavy-metal. Fritz Randow remplace le batteur Nigel Glocker, handicapé par une blessure au cou et divers problèmes de santé qui l’éloignent de la batterie. Il continue toutefois à contribuer à la composition des albums. Les petits nouveaux Doug Scarratt et Nibbs Carter contribuent largement au nouveau son de Saxon, alors que Paul Quinn se montre un peu en retrait, même si il reste l’un des piliers historiques du groupe avec Biff Byford.
Constant en qualité, Saxon entre à nouveau dans les meilleures ventes françaises avec « Killing Ground » en 2001, et dans celles en Grande-Bretagne avec « Lionheart » en 2004. Nigel Glocker fait son retour sur le très bon « The Inner Sanctum » en 2007. Avec « Battering Ram » en 2015, Saxon place son album dans le Top 50 britannique pour la première fois depuis 1988. Saxon s’est depuis réimposé comme une institution du heavy-metal classique européen. L’album est 12ème en Allemagne, 13ème en Suède, 21ème en Suisse. Ces pays, considérés au début des années 1990 comme le refuge des vieilles gloires passées du hard-rock et du heavy-metal, sont devenus au contraire des bastions de la culture rock et metal où un disque de ce genre peut encore monter haut dans les meilleures ventes de disques, et où la demande en concerts restent importantes.
Une institution du heavy-metal
Désormais réinstallé comme une valeur sûre du genre, alignant tranquillement les albums de bonne facture depuis le milieu des années 1990, Saxon s’est aussi organisé autour de son chanteur. Propriétaire d’une ancienne ferme en Normandie, Biff Byford a installé un studio dans une dépendance où le groupe répète et enregistre désormais tous ses disques.
En 2023, Paul Quinn annonce sa volonté de quitter le groupe, lassé par la route. Biff Byford a alors l’idée géniale de proposer le poste à une autre sommité de la NWOBHM : le brillant Brian Tatler, guitariste de Diamond Head. Ce dernier, dont la formation n’a jamais réussi à passer le cap de la formation culte, et qui ne cesse de vivre dans l’ombre de son génial premier album de 1980, ne peut décemment pas refuser. Il va immédiatement se mettre au travail pour co-composer les nouveaux titres qui vont constituer le coeur de « Hell, Fire And Damnation ». Le disque est attendu dans le circuit metal pour savoir si la greffe Tatler sur l’arbre Saxon allait prendre de manière heureuse.
Et le disque ne déçoit pas, bien au contraire. Saxon retrouve de l’ambition artistique avec un heavy-metal plus complexe. Les thèmes restent largement inspirés par l’Histoire, une grande passion de Biff Byford. Brian Tatler est un soliste brillant, et met au défi Doug Scarratt à tous les niveaux. Des titres comme There’s Something In Roswell ou Pirates Of The Airwaves ravivent les très grandes heures de Saxon. Les vieux briscards ne semblent pas vouloir baisser la garde, et avec Judas Priest et Iron Maiden, ils restent les piliers d’un son heavy-metal historique, continuant à montrer la voie à de jeunes formations qui cherchent leur son.