Après en avoir perdu quelques-unes lors de la soirée inaugurale du 12 janvier dernier, Marseille compte bien sur cette année pour se remplumer culturellement. Mais d'anorexique à boulimique, comment maîtrisera-t-elle son Indice de Masse Culturelle? Commençons par mesurer la taille, et le poids de la population concernée.

Prologue: Off (the record)

2-marseille-2013_pierre-delortEn marge de la programmation In dont vous trouverez le détail dans les meilleurs hebdomadaires, le Off intitulé M2K13 se rebelle depuis quelques années et fait front contre une « techno-structure imposante qui perd peu à peu contact avec la réalité à force d’utiliser son énergie à sa propre survie » [1] . A base d’initiatives assez drôles quoique restant un peu floues, l’équipe du Off proposera toute l’année un événement par mois [2]. Leur credo, selon Stéphane Sarpaux co-fondateur de Marseille 2013: « si la culture peut être instrumentalisée pour des opérations de requalification urbaine, l’art ne peut pas l’être car son objectif n’est pas d’ordonner, mais de créer le désordre, de provoquer la secousse, et celle-ci peut avoir lieu partout ». La fracture nette et sans appel entre l’officiel et l’off(icieux) illustre finalement bien l’interprétation différente de chacun de la notion de « capitale européenne de la culture » ; qui plus est à Marseille, où il eut peut-être fallu que les habitants se réapproprient la ville dans un élan solidaire avant qu’elle s’offre, du moins sur le papier, à l’Europe toute entière. Une ville en pleine crise d’ado depuis un moment à qui on demanderait soudain d’être adulte, et de remplir correctement ses talons de chèque. Et d’ailleurs c’est comment d’être adulte à Marseille? De grandir à Marseille? D’être musicien à Marseille? De partir de Marseille? Après notre première partie qui faisait déjà trembler le cochonet, pour siroter un pastis avec Mathieu Poulain, le musicien de Oh Tiger Mountain !, rendez-vous au chapitre 7. Et si vous préférez discuter avec Panida au train bleu en attendant votre IDTGV et parler de ce qui l’a poussée à gagner le nord, rendez-vous directement au chapitre 9.

Chapitre 6 : ‘Poubelle la ville’

14h50 : Bouche de vieille ! J’ai la tête qui tourne avec ce rosé de Provence sans pamplemousse. Bordel mais ça fait une heure que j’attends le ferry-boat à Riveneuve ; je m’étais renseignée pourtant, c’est la semaine ou il est censé ne pas y avoir de panne. Rhah leur réputation de feignasses, ils l’ont pas volée ces « gens du sud ». 15h24 : ça y est j’ai fait 100 mètres en une demi-heure. En débarquant place aux huiles (la bien nommée, celle qui en compte pas mal à l’hôtel de ville de la taille de la maison de pirouette cacahuète), j’aperçois le yacht de Bernard Tapie dans l’ombre (de son ego). « Reborn » qu’il l’a appelé. En toute modestie et simplicité quoi. 15h40 : enfin arrivée au quartier du Panier, j’ai pas trop envie de traîner ici. Ok c’est sympa vos boutiques de savons les gars, mais moi ce qui m’intéresse c’est de savoir où ils habitent les gens de Plus Belle la Vie. J’ai promis à ma tante de lui ramener une photo dédicacée de Vincent Chaumette. 15h55 : j’avise le patron d’un bar, qui m’a l’air d’être dans son jus depuis des lustres, en essayant de parler son langage ; je lui demande poliment où habite Roland, le patron du bar du mistral dans PBLV (oui on dit comme ça quand est cool) Très courtois et aimable, je comprends à travers son accent chantant qu’il m’indique une direction. Je jette les dés : 1 et 3, 13, c’est ma chance.

En fait, escagassé par les milliards de touristes qui lui demandent tous les jours la taille du soutif de Colette Renard quand elle jouait dans PBLV, Dodo le scampi vous a envoyé ‘cité du mistral’, Marseille-nord, 13é arrondissement. Malheureusement vous ne le savez pas et courez vers un tragique destin: rendez-vous au chapitre 8.

Chapitre 7 : Aix-fan des sixties, Estaque in the middle, Aubagne masqué

marseille-2013Il n’y a pas à dire, on arrive à faire des super jeux de mots de chansons avec la toponymie des Bouches-du-Rhône. Pourtant, Marseille comme ça spontanément, ça n’inspire pas vraiment la musique. En premier on pense à IAM, peut-être ensuite à Zebda – si on est nul en géographie et que le sud forme une seule et même entité, de Toulouse à Nice – à la limite à Manu Chao, pour le côté latin, rythmes colorés etc. J’ai pourtant rendez-vous quelque part entre Yahoo et Gmail avec Mathieu Poulain aka Oh Tiger Moutain ! que j’avais précisément découvert ici. Un marseillais born and raised here – même s’il est en fait de Salon-de-provence, et qui plus est musicien. Ca peut être intéressant de savoir ce qu’il en pense lui, de Marseille 2013. Une chance pour la ville ou un gros gâchis? « Ni l’un ni l’autre. A la base on avait le droit de trouver ça pourri mais désormais il semblerait que le mot d’ordre soit de laisser la chance à l’amour. Un 14 juillet/une fête de la musique en plein hiver? Des feux d’artifices, des jolies lumières? Solliciter les habitants comme s’ils étaient des touristes? Réunir les gens pour leur faire hurler l’amour de la vie au coeur de la bête, c’est tout de même un peu rude… Pour l’instant 2013 m’a l’air plus parti du côté « Marseille » que du côté « Europe ». Mais je ne voudrais pas gâcher la fête, on va bien voir« .
Perplexe, un peu comme tout le monde ici et là-bas. Peut-être plus ici que là-bas d’ailleurs. Même s’il écrit qu’il n’a aucune fierté à être marseillais, et qu’il se sent ‘d’ici comme d’ailleurs’ , Mathieu avoue avoir toujours du mal (contrairement à d’autres artistes du coin) à pourrir cette ville: « mais je ne me sens certainement pas mieux ici qu’ailleurs! Il faut dire qu’étant de culture plutôt anglo-saxonne (et je ne parle pas que de rock!), c’est plutôt moi l’intrus ». C’est drôle comme finalement la musique souffre également d’un certain déterminisme géographique: souvent la pop est à Marseille ce que l’oranger est au sol irlandais. Ce que la bossa-nova est à Oslo. Le shoegaze à La Havane. Mais toi qui as grandi là-bas Mathieu, il y a eu une évolution dans l’offre culturelle? Le dynamisme? « En un mot comme en cent, j’aimerais bien mais en fait pas vraiment. Où alors oui si on tire le bilan sur les dix dernières années: le Midi Festival [3], B Side Fest, Marsatac sont tous là mais curieusement les tournées ne comportent que très rarement une date marseillaise. J’ai vu Spiritualized jouer devant 300 personnes. Et s’il y a des choses, de bonnes assos, de chouettes salles – l‘Embobineuse, La Machine à coudre, le disquaire Lollipop – il n’y a pas mille groupes locaux non plus. Pourtant les institutions (Région, Département) sont là et soutiennent (financièrement) la création « musiques actuelles », peut-être plus qu’ailleurs. Il y a une forme d’inertie que je n’explique pas… C’est dur de réunir 200 personnes. Parfois on dirait que ce n’est pas l’offre qui fait défaut mais la demande!’

Je proposerais bien à Mathieu de jeter les dés pour savoir s’il reste ou s’il est temps de se casser. De piocher une carte dans le jeu de Brian Eno. Mais il me répond avant que j’aie à le lui demander: « Je n’ai pas encore su quitter cette ville, ce qui n’est pas le cas de nombre de mes amis. Et pas plus tard que la semaine dernière, on me disait encore que rester c’était m’enterrer. J’aime voir dans cette ville l’image de notre époque, si je prends à l’envers les paroles de New-York-New-York: « If I can make it there… ». Et Marseille en un mot? « Témoin. Comme ville-témoin ».

Une ville-témoin dont 2013 serait le relais vers une culture plus naturelle? Vous faites un 6 : rendez-vous à l’Épilogue – 7è arrondissement –

Chapitre 8: Jorétapo           

timthumb.phpAu milieu des tours du Mistral et du Clos la Rose, vous ne distinguez presque plus les collines. Vous continuez d’avancer sur un chemin hasardeux, croisant ça et là quelques ‘choufs’: de petits elfes locaux dont on vous a prévenu qu’ils pouvaient être agressifs. Ici les gens ont l’air d’avoir l’accent, rien à voir avec le feuilleton à la télévision. Ce n’est pas un endroit qui ressemble à la Louisiane, et très peu à l’Italie, bizarrement. Soudain, deux jeunes hobbits à capuche m’avisent. L’un deux sort un dé. Il me reste deux maigres points de vie mais je tente. Pas le choix. Il lance, claque un 5. C’est à mon tour de faire un 3. J’ai envie de dire ‘Pute borgne’ mais j’ose pas trop les provoquer. Joe la capuche doit lancer: il balance 2 barrettes de shit. Par chance, je surenchéris avec une sav’ – de Marseille. L’autre claque un 30 grammes. Bataaaailllle ! Et alors qu’on s’apprête tous deux à sortir nos atouts maîtres, je me retrouve encerclée par deux véhicules de la BAC sud – coucou la BAC nord. Après avoir saisi la marchandise – ben voyons, comme par hasard – ils m’embarquent au commissariat de Mazargues. L’équipe étant trop occupée par l’affaire de l’incendie de la Cité radieuse – voir chapitre 1 – je suis transférée aux Baumettes pour comparution immédiate. Au bout du rouleau, désespérée de finir mes jours ici telle une Monte-Cristo des temps modernes, j’aperçois une pub en dernière page de La Provence : « Maurice Lantourne(loupe), avocat de Bernard Tapie pour Adidas et le Crédit Lyonnais est à Marseille pour 48 heures' ». Comme quoi, si on tend la main pour elle, la vie est.. pfff, ok on a compris… CLIFFHANGER mais GAME OVER quand même.

Chapitre 9: Marseille ‘je te haime’

J’arrive à la bourre au train bleu gare de Lyon pour retrouver Panida P, 35 ans, parisienne depuis 14 ans mais marseillaise pour toujours. Pour toujours, mais plus jamais, j’ai l’impression. Si je lui ai donné rendez-vous c’est que j’avais envie de savoir pourquoi elle était partie. Pourquoi Marseille tu l’aimes mais tu la quittes. « J’ai quitté Marseille lorsque j’avais 21 ans parce qu’à l’époque, je ne trouvais pas l’offre culturelle qui me correspondait. Le culte de l’OM m’était (et m’est toujours) totalement étranger, je me sentais du coup totalement exclue de la liesse générale les soirs où l’équipe gagnait; et désemparée devant l’ambiance mortifère et parfois la violence de la ville les soirs où elle perdait. J’avais l’impression que toute la ville ne vibrait qu’à travers ça. J’avais envie et besoin d’autres stimuli ».
Des stimuli culturels: des expositions – et pas qu’au soleil , des films en VO, une vie nocturne moins compliquée avec des transports qui ne s’arrêtent pas à 20h dans une ville très étendue. La description de Panida ressemble un peu à la chanson de Florent Marchet, Rio Baril. Il y décrit une ville de province dont tout le monde s’est tiré, de combien, 50 000 habitants à tout casser? Quand Marseille en compte près d’un million… « Ce que je n’aime pas, continue Panida, c’est le mauvais accueil qu’on peut recevoir dans les cafés et restaurants si l’on n’arbore pas son meilleur accent du sud. La fermeture des gens dès lors que l’on est étranger. La haine de Paris. La culture du foot. La limite des transports en commun. Le peu d’offre culturelle, ou la mauvaise communication autour« .

panida

J’ai oublié de demander à Panida si elle avait l’impression que c’était toujours le cas, notamment avec toute la communication autour de Marseille 2013. Les affiches « Descendez à la capitale » fleurissent dans les gares parisiennes depuis le 12 janvier. Il y a eu mille émissions de radio – je m’en suis tapé la moitié au moins, mille débats sur le sujet de ‘prête/ pas prête’. Ce que je n’ai pas eu besoin de lui demander et qui semble être si particulier aux habitants de Marseille, passés ou présents, c’est l’ambivalence de leur rapport à la ville. Qu’elle a bien illustré dans cette réaction post-cérémonie d’ouverture: « Marseille: populaire mais exigeante, cosmopolite mais ghettoïsée, inculte mais cultivée, prévisible mais surprenante' ». Avant de se quitter, je donne rendez-vous là-bas à Panida cet été. Là-bas, « où la lumière est inimitable et où le ciel me semble plus bleu qu’ailleurs » me dit-elle en guise d’au-revoir.

17h24, le train part direction St Charles. J’ai rendez-vous à l’Épilogue, 75 rue Sainte 13007 Marseille.

Épilogue: « C’est ici que les choses se passent, qu’on trouve les énergies et les injustices » [4]

La boucle est bouclée, me voilà attablée devant mon pastis Janot à essayer de remettre toutes ces idées en place. Ce papier, à l’image de la ville dont je parle depuis deux fois 13000 signes, est peut-être aussi déglingos que fascinant, c’est possible. Ce qui serait assez cohérent finalement.

De mon histoire avec Marseille, de mes rencontres – virtuelles ou réelles, de mes lectures, ma revue de presse depuis trois mois, je garde un sentiment bizarre. Le sentiment de n’avoir toujours pas compris cette ville. De n’avoir même aucune idée de ce qu’elle peut devenir. Marseille me fait l’effet d’une adolescente : mal dégrossie, ou les bâtiments pris un à un, les parties individuelles sont sans intérêt mais où le tout forme un parfait ensemble, harmonieux dans la dissonance. Une ville qui se rebelle un peu dans son coin, dans ses coins mais qui a du mal à socialiser. Et qui parle trop fort parfois pour se faire bien entendre.

Si elle peut atteindre le bilan de Glasgow en 1992 – un rayonnement international et un chômage divisé par deux – ou de Lille en 2004, bien malin celui qui saurait le dire. Mais un peu comme tout et tout le monde dans la vie, ne sont-ce pas les choses bancales, les gens imparfaits et les failles qui rendent le tout un peu plus intéressant ? Marseille, si t’es radieuse, rendez-vous en 2014.

Fin de l’aventure.

Illustration d’ouverture pour Gonzaï : Styli Boc


[1] http://www.marsactu.fr/culture-2013/le-off-peut-etre-un-peu-plus-marrant-que-mp2013-30052.html
[2] toute la prog sur www.marseille2013.com
[3] qui a lieu à Hyères en réalité (NDA)
[4] http://www.liberation.fr/theatre/2013/01/10/nathalie-marteau-marseille-corps-et-ame_873085

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